Pologne : entre théorie du complot et nécrophilie politique
Il y a six ans, l’avion du président polonais Lech Kaczynski se crashait en Russie. Son frère jumeau Jaroslaw est revenu au pouvoir l’année dernière et a rouvert l’enquête car il pense qu’il s’agit d’un attentat.
Arrivé au pouvoir en octobre, le gouvernement du parti Droit et Justice (PiS) qui soutient l’hypothèse d’un attentat à Smolensk, a tenu ses promesses électorales et aussitôt rouvert l’enquête sur les causes de cette catastrophe aérienne, rejetant les conclusions officielles du gouvernement libéral précédant attribuant l’accident notamment aux mauvaises conditions météorologiques et à des erreurs des pilotes polonais et des contrôleurs aériens russes.
A la veille des cérémonies, dans une interview à Gosc Niedzielny, un hebdomadaire catholique, le chef de la nouvelle sous-commission d’enquête Waclaw Berczynski, sans citer aucune preuve, a réaffirmé sa thèse d’une explosion en vol du Tupolev 154.
« Avec une très grande probabilité, pratiquement avec quasi-certitude, on peut dire que l’appareil s’était désintégré en vol. Des photos montrent des débris de l’avion dispersés devant le bouleau, qui aurait prétendument brisé l’aile du Tupolev », a déclaré Berczynski.
‘Nécrophilie politique’
« Le PiS ne cesse de pratiquer de la nécrophilie politique sur la tombe des victimes », s’est indigné samedi un député du parti d’opposition libéral, la Plateforme civique (PO), Rafal Grupinski. Les experts de l’ancien gouvernement du Premier ministre Donald Tusk, ainsi que les experts russes, avaient exclu la thèse d’un attentat, concluant qu’il s’agissait d’un accident dû au mauvais temps. Les Russes avaient aussi relevé des pressions de la délégation sur les pilotes, et les Polonais des erreurs des contrôleurs aériens russes.
La nouvelle commission n’exclut pas d’exhumer les corps des victimes pour refaire les autopsies mettant en doute celles réalisées en Russie tout juste après la catastrophe.
Mais l’enquête a surtout pour but de trouver les responsables de la catastrophe, même si les responsables politiques ont déjà été désignés par le PiS qui accuse directement Donald Tusk, aujourd’hui président du Conseil européen, d’être à l’origine du drame ainsi que le président russe Vladimir Poutine, considéré par la droite comme un ennemi de la Pologne.
Des voix au PiS s’élèvent de plus en plus fortement pour envoyer Tusk devant le Tribunal d’Etat. Interrogé sur la question, le ministre de la défense Antoni Macierewicz, principal auteur de la thèse d’attentat et qui a parlé récemment de « terrorisme » russe, a confirmé samedi soir à la télévision publique qu’il était « évident que Tusk devrait subir toutes les conséquences de ses actes ».
Certains milieux plus radicaux encore veulent la peine de mort pour Tusk.
« Le Tribunal d’Etat pour Tusk, ce n’est pas assez(…) Il faut la peine de mort », a lancé samedi Ewa Stankiewicz, journaliste de Gazeta Polska, lors d’une manifestation organisée par cet hebdomadaire ultra-nationaliste devant l’ambassade de la Fédération de Russie à Varsovie.
Thèses de manipulation
Six ans après le crash, l’épave de l’avion se trouve toujours en Russie ainsi que les boîtes noires, Moscou refusant de les restituer à la Pologne tant que la justice russe n’aurait pas achevé sa propre enquête judiciaire.
Ce refus alimente forcément les thèses d’un attentat russe ou d’une manipulation polono-russe pour dissimuler les raisons de la catastrophe.
Jusqu’à présent la nouvelle sous-commission n’a présenté aucune preuve pour appuyer ce genre de thèses, soulignant que ses travaux ne faisaient que débuter.
Durant toute la journée, des messes, des prières et des cérémonies sont organisées à travers la Pologne ainsi qu’à Smolensk à la mémoire des victimes, des cérémonies auxquelles le pouvoir conservateur a donné une dimension plus solennelle que le pouvoir précédant.
Pour la première fois, une garde militaire a accompagné les cérémonies devant le palais présidentiel. A 8H41(7H41 GMT), à l’heure de l’accident, le chef de file des conservateurs, Jaroslaw Kaczynski, y a déposé une couronne de fleurs devant le portrait du couple présidentiel.
Dans l’après-midi, le président Andrzej Duda doit y inaugurer une plaque commémorative à la mémoire du président défunt. Les cérémonies culmineront dans la soirée, Jaroslaw Kaczynski devrait prononcer un discours, une occasion de défendre sa politique de réformes controversées, alors qu’il est très critiqué pour sa révolution conservatrice tant par l’opposition en Pologne que par le Parlement européen.
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