Ota Benga, l’homme qui vivait dans une cage au zoo
Ota Benga a été enlevé en 1904 au Congo pour être exposé parmi les singes dans un zoo de New York. Une histoire hallucinante qui remonte pourtant à moins d’un siècle.
En septembre 1906, le New York Times raconte l’histoire de ce jeune Africain, un « pygmée », qui partage la cage des singes dans le zoo du Bronx, l’un des plus grands de la ville. La publicité bat son plein, et de nombreux spectateurs affluent.
Le directeur du zoo précise alors le plus sérieusement du monde qu’il s’agit ici d’une exposition ethnologique. Ce dernier n’est pas un obscur personnage, c’est même l’un des plus fameux zoologistes du pays et est un proche du président Theodore Roosevelt. Le New York Times se fend, à l’époque, d’un édito qui explique que les pygmées sont à un niveau très bas sur l’échelle humaine. « Celui qui suggère qu’il (Ota NDLR) ferait mieux d’être à l’école que dans son enclos, ignore le fait que l’école serait un lieu de torture pour lui. L’idée que nous serions tous égaux si nous avions eu les mêmes opportunités éducationnelles est désormais largement dépassé. » Pour le journal ce n’était donc pas du domaine du divertissement, mais bien de l’éducatif. L’institution se bornait à « montrer une espèce inférieure, l’échelon manquant entre le singe et les hommes ». Et comme, même parmi l’élite intellectuelle, ils étaient nombreux à penser de même, les spectateurs n’y voyaient aucun mal. Au point qu’à peine quelques voix s’élèvent pour dénoncer qu’un être humain soit maintenu en captivité avec des singes. Quatre décennies après la fin de l’esclavage, c’est aussi la preuve par l’exemple que le statut des noirs aux États-Unis restait très précaire.
En Belgique aussi
267 Congolais ont été amenés en 1897 à Bruxelles pour l’Exposition universelle où ils seront exhibés devant un million de visiteurs. Léopold II fit construire une exposition temporaire dans le parc de Tervuren. Parmi d’autres « attractions » plusieurs dizaines de Congolais logés dans des villages africains reconstitués. Sept d’entre eux y moururent de maladies ou de froid.
L’explorateur qui « ramena » Benga du Congo
Samuel P Verner, l’explorateur qui « ramena » Benga du Congo, et qui se prétend ami personnel de Léopold II, raconte en 1906 dans les colonnes du New York Times qu' »Ota est totalement libre. La seule restriction, c’est qu’il ne doit pas s’éloigner des gardiens. Mais, ça, c’est pour ça sécurité. S’il est en cage, c’est uniquement pour qu’il puisse prendre soin des animaux. Et pour ménager les âmes chrétiennes, il a relâche le dimanche. »
La destinée de Ota Benga est en marche lorsqu’en 1903, Verner, qui est aussi un adepte de la suprématie blanche, entend parler de la foire universelle de 1904 à Saint Louis. L’organisateur de cette foire espère célébrer l’impérialisme américain et la victoire de la civilisation sur la sauvagerie. Pour cela, il aimerait l’enrichir de pygmées qui selon lui sont l’échelon le plus bas sur l’échelle de l’évolution. Et l’explorateur va tout naturellement lui offrir ses services. Il aura pour mission de ramener « un patriarche, si possible sa femme. Et deux enfants. Ainsi que quatre autres pygmées de préférence jeune. Un vieux médecin ou un prêtre pourrait aussi faire l’affaire. »
Une semaine après son arrivée au Congo, il aurait capturé son premier pygmée. L’explorateur précise que le jeune homme était ravi de venir avec eux, puisqu’il était retenu captif par une tribu cannibale. S’il n’est pas impossible qu’il l’ai vraiment trouvé dans une région reculée, l’endroit d’où fut postée la bonne nouvelle se trouve aussi être une plaque tournante du trafic humain. À ce jour les circonstances de la rencontre entre Ota et l’explorateur restent floues. L’explorateur reviendra avec Ota Benga et 8 autres jeunes à la Nouvelle-Orléans. Le plus jeune avait 12 ans. Deux ans plus tard, Benga sera exposé dans le zoo.
Si on l’autorise à sortir de sa cage pour se balader sous la houlette de gardes, Ota Benga sera rapidement harcelé par la foule et est obligé de se défendre. Cependant l’attention médiatique dont Ota fait l’objet empêche le zoo de le punir puisque « dans ce cas, on nous accuserait directement de cruauté » précise le directeur dans un courrier. Avec le temps, le captif se rebelle de plus en plus et l’opinion est de moins en moins favorable au zoo. Le maintien d’Ota Benga « en cage » devient intenable et le 28 septembre 1906 Benga quitte enfin le zoo, en toute discrétion, pour un orphelinat. En 1910, il est envoyé en Virginie pour parfaire son éducation. Il s’y fait des amis et vit dans une ambiance familiale. Mais les années passent et la mélancolie se fait plus profonde. Comprenant qu’avec la Guerre qui gronde en Europe, un retour en Afrique est impossible, le 20 mars 1916, Ota prend un fusil et se tire une balle dans le coeur.
L’intrégalité du long portrait que lui a consacré The Guardian est à lire ici (anglais)
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