LMP : la start-up de stratégie électorale qui lie Emmanuel Macron, François Hollande, et le Parti socialiste belge
Big data et porte-à-porte. C’est la recette (miracle) qui a permis à la start-up Liégey Muller Pons (LMP), du nom de ses trois fondateurs, de se faire connaître dans le milieu politique. Emmanuel Macron est le dernier en date à avoir fait confiance au logiciel » Cinquante Plus Un » développé par cette jeune boîte parisienne pour optimiser sa campagne électorale.
Mettre le Big Data et la technologie au service du porte-à-porte. Voilà le concept tout droit arrivé des États-Unis avec le trio Guillaume Liégey, Arthur Muller et Vincent Pons, fondateurs de LMP, de leurs initiales. Au siège de leur start-up, située dans une grande rue du XIe arrondissement de Paris, l’ambiance est plutôt décontractée. Les jeunes employés –leur moyenne d’âge ne dépasse pas les trente ans- travaillent sur leurs ordinateurs sous la surveillance de François Mitterrand et Jacques Chirac, dont les authentiques affiches de campagne décorent les murs.
C’est ici que se trouvent les coulisses de la « grande marche » d’Emmanuel Macron. Objectif de l’opération : poser des questions simples et ouvertes à 100 000 Français du type « selon vous, qu’est-ce qui marche, en France ? » ou « qu’est-ce qui ne marche pas ? ». Les réponses obtenues devant permettre à l’ex-Ministre de l’Économie d’établir son programme tant attendu. Mais pour cela, encore faut-il que les militants d' »En Marche ! » frappent aux bonnes portes. C’est là qu’intervient LMP.
Porte-à-porte 2.0
Pour mettre en place ce qu’ils appellent « le porte-à-porte 2.0 », les fondateurs de cette start-up ont développé le logiciel « Cinquante Plus Un ». Un petit bijou de technologie qu’ils acceptent de vendre -environ 3200 € pour une circonscription de 100 000 habitants- à n’importe quel acteur ou parti politique tant qu’il n’est pas d’extrême droite.
En analysant les résultats électoraux dans chaque bureau de vote, et en les recoupant avec les données sociodémographiques d’une région ou d’un quartier, le logiciel est capable de déterminer, grâce à des statistiques et des algorithmes, les quartiers où un candidat est le plus susceptible de convaincre des électeurs.
Tout cela est possible grâce au fait que de nombreux gouvernements européens ont récemment mis toute une série de données telles que l’âge, les revenus ou encore le type de ménage en libre accès. « Grâce à ces données disponibles en ‘open data’, nous sommes aujourd’hui capables de découper la France en quelque 60 000 petits carrés », nous explique Arthur Muller, l’un des cofondateurs de la start-up. Et de poursuivre : « ces carrés représentent un quartier de Paris, soit environ 1000 personnes. Et pour chacun de ces carrés, on a le résultat des élections depuis 2007 et le détail des recensements organisés par l’Insee (l’équivalent de l’INS en Belgique). C’est grâce à ces données que nous pouvons identifier les quartiers qui sont les plus importants à aller visiter en fonction des attentes du candidat ».
Il ne faut toutefois pas confondre le logiciel créé par cette jeune entreprise à des produits comme ceux proposés par NationBuilder, utilisés par le parti Les Républicains ou par Jean-Luc Mélenchon. « Notre spécialité, ce n’est pas la communication sur le web ou sur les réseaux sociaux, notre spécialité c’est l’utilisation du ‘Big data' » nous détaille le jeune patron. Reste que « Cinquante Plus Un » est également un outil d’organisation puisqu’il permet de créer des événements, rassembler les militants, ou partager des documents et kits de campagnes.
L’inspiration américaine
Cette idée n’est pas tout à fait neuve puisqu’elle vient des États-Unis. Alors qu’ils terminent leurs études dans les prestigieuses universités d’Harvard et du MIT, Guillaume Liégey, Arthur Muller et Vincent Pons s’engagent dans la campagne de Barack Obama. C’est à cette époque qu’ils découvrent, avec stupéfaction, que les campagnes électorales se font en partie au porte-à-porte, comme au bon vieux temps. « Ca ne faisait pas très 21e siècle » ricane le « M » de LMP, qui s’attendait plutôt à assister à un grand match sur les réseaux sociaux ou sur les blogs.
Il n’est pas étonnant que les Américains aient pris autant d’avance dans ce domaine. Il faut dire que la loi sur la protection de la vie privée a toujours été beaucoup moins forte aux États-Unis qu’en Europe. C’est donc en s’appuyant sur une base de données reprenant un tas d’informations sur chaque citoyen, telles que la couleur politique, les abonnements à certains journaux, ou les préférences pour certaines chaînes de télévision, que l’équipe de Barack Obama avait mis en place une application permettant de trouver les démocrates dans son voisinage. « En creusant, on s’est rendu compte que derrière le porte-à-porte, il y avait tout un appareil technologique et toute une série de travaux scientifiques qui avaient démontré que c’est le meilleur moyen de convaincre les gens », commente Arthur Muller.
Une success-story
C’est cette idée de mettre le data au service du terrain que les trois jeunes hommes ont décidé d’importer en Europe. Non sans succès. À leur retour de Boston, les trois jeunes diplômés se mettent au défi, avec Jean-Paul Huchon (à l’époque président du conseil régional d’Île-de-France), d’augmenter le taux de participation, grâce au porte-à-porte, dans certaines zones en Île-de-France, lors des élections régionales de 2010. Le pari n’est pas aisé puisque dans certains quartiers, ce taux ne s’élevait pas à plus de 30 %. Mais l’objectif est atteint et fait écho jusque dans les couloirs du PS, où François Hollande prépare les présidentielles de 2012. « À l’époque, la start-up n’existait pas encore », rappelle M. Muller. Et de poursuivre, « On a chacun pris six mois de pause dans nos emplois respectifs pour pouvoir participer à cette campagne présidentielle. Une opportunité pareille, ça ne se refuse pas ». Et le jeu en valait la chandelle lorsque l’on connaît le résultat. Sur les six mois de campagne, les militants du PS auraient frappé à environ cinq millions de portes.
Afin d’ évaluer l’impact de cette grande action, Vincent Pons, qui est également professeur à Harvard, avait mis en place un travail de recherche scientifique. « Dans les bureaux où on était allé, ses scores étaient supérieurs de deux points par rapport à ceux où l’on n’était pas allé », lance fièrement Arthur Muller. Un chiffre qui peut sembler anecdotique sur des millions de votes, mais qui a certainement contribué à faire la différence dans ces élections si serrées.
Des campagnes partout en Europe, y compris avec le PS belge en 2014
Forts de ce succès retentissant, les trois trentenaires fondent alors LMP en 2013 et s’attaquent rapidement au marché international. « La vision que nous avons de notre entreprise, c’est que notre outil va devenir un standard. Aujourd’hui, ça ressemble à un outil de pointe, mais moi mon feeling, c’est que dans cinq ans, tout le monde aura ça » avance M. Muller. « Celui qui n’aura pas ça, ce sera un ringard. Et même le bourgmestre de la plus petite commune utilisera notre outil » martèle-t-il avec ambition.
Si l’objectif à court terme en 2017 est d’ouvrir un bureau en Allemagne, où se tiendront les élections fédérales en septembre, LMP peut déjà se targuer d’avoir pu séduire des partis en dehors de la France. C’est le cas du Parti socialiste en Belgique, qui a déjà fait appel à la jeune pousse en 2014 pour les élections fédérales, régionales et européennes. Élio Di Rupo et sa bande avaient alors acheté de manière exclusive le logiciel « POPS « , encore accessible à n’importe quel internaute, afin d’offrir une plateforme à ses élus et ses militants. « On a une meilleure version à leur offrir pour 2018 et 2019 », insiste l’ancien étudiant d’Harvard.
Cette plateforme compte d’ailleurs toujours un certain nombre d’utilisateurs. Mais contrairement à Emmanuel Macron, qui se sert d’une certaine manière de LMP pour sa propre communication — et ainsi perpétuer son image de jeune cool à la pointe de la technologie- le PS belge a très peu communiqué sur le sujet. « Peut-être parce que nous sommes des Français » ironise le cofondateur de la start-up. Ou peut-être parce que les électeurs wallons n’apprécieraient pas d’être réduits à du simple data.
Grégory Sacré
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