Libye: une défaite de l’EI ne supprimera pas la menace jihadiste, que du contraire
Une victoire des forces du gouvernement d’union libyen contre le groupe Etat islamique (EI) à Syrte n’écartera pas d’un coup la menace jihadiste en Libye et pourrait même ouvrir une phase encore plus violente, estiment des analystes.
Après avoir conquis de vastes pans de territoire en Irak et en Syrie, les jihadistes de l’EI s’étaient emparés en juin 2015 de Syrte, la ville natale de l’ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi située au centre-nord du pays, sur les bords de la Méditerranée.
Brutalement, les Européens se réveillaient avec une base de l’organisation extrémiste à quelque 300 kilomètres de leurs côtes. L’inquiétude était encore plus grande en Tunisie voisine où l’EI multipliait les attentats meurtriers, mais aussi en Libye même où le péril jihadiste menaçait de s’étendre.
Un an et deux mois plus tard, la situation a basculé et l’EI est sur le point de perdre Syrte face aux forces du gouvernement libyen d’union nationale (GNA), un exécutif soutenu par la communauté internationale et installé à Tripoli depuis le 30 mars.
Après avoir lancé l’offensive le 12 mai, les forces du GNA sont entrées à Syrte le 9 juin. Soutenues depuis début août par des frappes américaines, elles ont chassé les jihadistes de leur QG et les ont acculés dans une petite zone proche de la mer.
Si le gouvernement d’union réussit à reconquérir complètement la ville, il enregistrera un succès de taille, bienvenu alors que sa popularité a été mise à rude épreuve ces derniers mois.
Sa légitimité reste contestée par un exécutif parallèle dans l’est du pays. De plus, services publics défaillants, pénuries de liquidités mais surtout insécurité ont désabusé les Libyens qui l’avaient soutenu au départ.
Une victoire à Syrte devrait lui permettre d’obtenir davantage de soutien international pour redresser l’économie.
Mais la menace de l’EI ne disparaîtra pas d’un coup.
– Intimidation plus diffuse –
Si le groupe extrémiste est vaincu à Syrte, « il faut s’attendre à une mutation de sa stratégie en une campagne de terreur et d’intimidation plus diffuse et plus intense », a indiqué à l’AFP Ethan Chorin, président de Perim Associates, une agence de conseil et d’analyses sur le Moyen-Orient et l’Afrique, et ancien diplomate américain en Libye.
Il rappelle que « les combattants de l’EI (…) ont montré qu’ils étaient capables de se fondre dans le décor » pour passer inaperçus.
L’EI compte des militants dans d’autres zones de Libye même si leur nombre reste difficile à évaluer.
Il y a quelques mois, des sources françaises et américaines, faisaient état de 5.000 et 7.000 jihadistes de l’EI dans toute la Libye.
Vendredi, le porte-parole adjoint du Pentagone, Gordon Trowbridge, a évoqué « quelques centaines de jihadistes à Syrte » et à peine « 1.000 à quelques milliers » en Libye.
Mais l’EI peut toujours compter sur un vivier en Libye, notamment dans des régions qui échappent totalement à l’autorité centrale.
« Daech (acronyme arabe pour l’EI) a perdu Syrte mais n’a pas perdu la Libye, surtout le Sud (…) où se trouve sa ‘couveuse' », estime Abdel Bari Atwane, expert des mouvements jihadistes.
Il souligne également que certaines tribus de Syrte comme les Magariha connue pour leur loyauté envers Kadhafi se sentent marginalisées par le gouvernement d’union et pourraient « inciter leurs fils à rejoindre l’EI ».
– Phase encore plus violente ? –
« Même si la libération de Syrte est censée donner un élan au gouvernement d’union, il est fort probable que les milices victorieuses (qui ont pris part à la bataille contre l’EI) défient le GNA » ensuite, remarque pour sa part Jason Pack, fondateur du site Eyeonisisinlibya.com.
Pour mener la bataille de Syrte, le gouvernement d’union a dû s’appuyer sur différents groupes armés dont les puissantes milices de Misrata, une ville située à mi-chemin entre Tripoli et Syrte.
Mais ces groupes armés risquent de vouloir montrer « qu’en Libye, ce sont ceux qui commandent des combattants qui détiennent le pouvoir politique et pas ceux qui se présentent avec des titres et de beaux costumes », poursuit M. Pack.
M. Chorin partage le même avis, soulignant que l’exécutif d’union encore « dysfonctionnel » est soutenu « par un « ensemble hétéroclite de milices incontrôlables ».
Une victoire à Syrte, poursuit-il, « ne changera pas cette donne, au contraire, (…) elle pourrait engendrer (…) une phase encore plus violente du conflit enLibye« . D’autant que les forces de l’ouest, favorables au GNA, pourraient affronter directement celles loyales aux autorités parallèles de l’Est.
Si les Occidentaux s’étaient contentés d’une intervention à court-terme en 2011, négligeant très vite ensuite les problèmes libyens, ils devront cette fois-ci avoir une vision plus « durable », estime M. Chorin. Toute « intervention » devra notamment assurer « un développement qui puisse inverser le rythme de la radicalisation ».
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