Les filles de Chibok, l’arme la plus précieuse de Boko Haram
Le groupe islamiste nigérian Boko Haram a fait plus de 20.000 morts, des millions de déplacés et kidnappé des dizaines de milliers de personnes. Mais les « filles de Chibok », deux ans après leur enlèvement, restent le symbole du conflit, autant qu’une rançon à haute valeur politique et médiatique.
Dimanche, un grand nombre d’entre elles ont réapparu dans une vidéo postée par leurs ravisseurs sur YouTube, après des mois de silence et d’interrogations sur leur état de santé.
Bien qu’on ne sache pas quand cette vidéo a été tournée, sa date de diffusion n’est pas un hasard: le groupe jihadiste, qui a prêté allégeance à l’Etat Islamique (EI) en 2015 traverse une grave crise de leadership et le dirigeant Abubakar Shekau utilise les jeunes filles pour asseoir son autorité sur son rival Abou Mosab al Barnaoui, adoubé début août par l’EI.
« Cette vidéo est ouvertement liée à la décision de l’EI de remplacer le leader Shekau par Barnaoui. C’est aussi un message au gouvernement nigérian pour leur dire que même s’il (Shekau) a été remplacé, c’est toujours à lui qu’ils ont à faire », analyse Kyle Shideler, de Center for Security Policy (CSS) dans un courriel envoyé à l’AFP. « Il rappelle aussi aux combattants de Boko Haram, que le plus grand succès de propagande du groupe, l’enlèvement des filles de Chibok, s’est déroulé sous son commandement », poursuit le chercheur en analyse des risques.
Enlevées en avril 2014 alors qu’elles passaient leurs examens de fin d’étude, 218 jeunes filles sont toujours portées disparues (57 d’entre elles avaient réussi à s’échapper au moment de l’enlèvement, et l’une d’elles a été retrouvée par l’armée au mois de mai).
Relayé par les médias du monde entier, ce kidnapping de masse a provoqué une vague d’indignation à laquelle toutes les plus grandes stars ont participé à coups de hashtags #bringbackourgirls.
Il a offert à la secte jihadiste ce qu’elle attendait depuis quatre ans : une reconnaissance internationale.
Monnaie d’échange
La « résonance » provoquée à l’époque est « unique en son genre », pour Yan St-Pierre du cabinet Modern Security Consulting Group (Mosecon).
« Bien que d’autres otages détenus par des terroristes aient aussi provoqué un certain engouement médiatique – le soldat israélien Gilad Shalit en Palestine (…) ou les otages de l’ambassade américaine à Téhéran en 1980 par exemple – celui-ci était plutôt localisé. Dans le cas des filles de Chibok, la réaction médiatique est internationale », poursuit M. St-Pierre. A vouloir les libérer, les hashtags ont fait des jeunes filles l’arme la plus précieuse du groupe.
« C’est pour elles à la fois une bénédiction – leur « notoriété » les protégeant un peu – et un fléau, puisqu’elles sont devenues ‘la’ monnaie d’échange pour Boko Haram », explique le consultant en contre-terrorisme, faisant référence à la demande faite à travers cette nouvelle vidéo de libérer des combattants.
Et pourtant, les « filles de Chibok » ne sont malheureusement pas un cas unique. Le 14 avril, date du second anniversaire de l’enlèvement, l’Unicef rappelait que « 2.000 à 7.000 femmes et jeunes filles vivent toujours en captivité », souvent mariées de force ou perpétrant des attentats suicide.
« Ce ne sont que des estimations, le nombre est sans doute bien plus important », confie Toby Fricker, pour l’agence onusienne en poste à Abuja à l’AFP. « Chibok n’est qu’une partie de la tragédie qui s’abat sur les filles comme sur les garçons ».
En effet, Human Rights Watch a révélé début août que 10.000 jeunes garçons, « parfois même de 5 ans », étaient toujours portés disparus. En novembre 2014, 300 enfants ont ainsi été enlevés à leurs parents dans la ville de Damasak, dans l’Etat du Borno.
Une survivante du massacre de Bama, le 1er septembre 2014, confiait à l’AFP il y a quelques mois que tous les hommes de la ville avaient été enfermés, et ceux qui refusaient de rejoindre le groupe, massacrés.
« Les jeunes filles de Chibok sont devenues un symbole », rappelle Munir Safieldin, du Bureau de la coordination de Affaires humanitaires de l’ONU (Ocha). Symbole de ces dizaines de milliers de victimes, et symbole d’un conflit tout entier.
Même si l’armée nigériane a remporté de nombreuses victoires militaires, et même si le président Muhammadu Buhari a affirmé que « Boko Haram est techniquement vaincu », la guerre ne prendra véritablement fin qu’à la libération des adolescentes.
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