Les états baltes s’arment, « mais la guerre avec la Russie a déjà commencé »
Les missiles de croisière et les forces militaires servent surtout à intimider, mais la vraie guerre entre l’Occident et la Russie se joue dans les médias.
Vêtu d’un treillis et armé d’un pistolet, le garde-frontières Linas Ubertas patrouille le long de la frontière russe. Au volant d’une vieille Renault cabossée, il parcourt les chemins glacés de la campagne lituanienne. Parfois il freine, abaisse la vitre, scrute l’herbe, hoche la tête et continue. Il cherche des empreintes, de l’herbe abîmée ou des traces de pneus : quelque chose qui trahisse la présence de Russes ayant traversé illégalement. Le paysage est désolé, les seuls signes de vie sont de longues rangées de poteaux-frontières et de clôtures en fer. « Ces trois dernières années, Moscou a installé trois barrières », explique le garde-frontières. Il nous ont précédés.
Les Lituaniens aussi construisent une barrière, dont l’Union européenne paie la plus grande partie. Équipée de caméras et de technologie moderne, elle permet de surveiller la frontière à tout moment de la journée.
En Lituanie, on craint qu’après la déstabilisation réussie de l’Ukraine, les états baltes soient le prochain objectif de Poutine. « Évidemment, la barrière ne va pas retenir les tanks », déclare Raimundas Karoblis, le ministre lituanien de la Défense. On craint que la Russie déclenche le conflit en usant de subterfuges et qu’ensuite elle affirme que la Lituanie a attaqué en premier. Le ministre se trouve dans la cantine de l’armée qui abrite des soldats belges, allemands et néerlandais. Ils font partie de quelques milliers de troupes envoyées par l’OTAN pour aider à surveiller la frontière russe.
En Russie, on rit à la pensée que le Kremlin prépare une attaque directe contre un membre de l’OTAN, mais en Lituanie la peur de ce scénario catastrophe est largement répandue. Le service militaire aboli en 2008 a été réinstauré avec un soutien important de la population. Entre-temps, les groupements paramilitaires gagnent rapidement en popularité. Même les citoyens pacifiques se présentent en masse pour les exercices de tirs dans les forêts et les champs lituaniens. « Attaquer un membre de l’OTAN serait de la folie », admet le ministre des Affaires étrangères Linas Linkevicius, même si pour lui la véritable lutte a déjà commencé.
Alors que les citoyens lituaniens jouent au soldat et s’exercent à sécuriser les ponts, l’état se débat dans un plus grand danger, qui menace aussi le reste de l’Europe. Les pays baltes sont victimes d’une pluie de cyberattaques déstabilisantes. La Russie mène une guerre de l’information zélée et essaie de monter les pays occidentaux les uns contre les autres à coup de propagande. L’élection de Trump en Amérique et la popularité de candidats pro-russes et anti-européens aux élections françaises ne sont que quelques exemples. Les griffes de l’ours russe lacèrent les fondements de l’ordre mondial libéral.
« Le message qui passe bien auprès de notre population, c’est que l’Occident ne nous aidera jamais », déclare le capitaine Mindaugas Neimontas, le chef du service de contre-propagande de Lituanie. Celui-ci répond à une douloureuse sensibilité historique : « Lors de la Seconde Guerre mondiale, nous avons attendu que l’Occident vienne nous libérer des nazis. Ils ne sont pas venus et nous avons été annexés par l’Union soviétique. »
Ailleurs en Europe, la Russie raconte une autre histoire. « Nos alliés de l’OTAN entendent que nous sommes tous des nationalistes et des fascistes et que nous ne cadrons pas dans la culture occidentale », déclare Neimontas. « La guerre ne ressemble plus aux films, elle est devenue hybride. »
Neimontas pense que la Russie planifie la même stratégie dans les états baltes qu’en Ukraine. Le processus démarre par la déstabilisation à coup de propagande, ensuite, c’est l’armement des minorités et l’intervention militaire ne vient qu’à la fin. On présente ce dernier élément comme une étape nécessaire pour protéger ces minorités et « la paix ». C’est une stratégie machiavélique que dans le monde de Relations internationales d’après Valery Gerasimov, l’un des généraux haut placés du Kremlin, on appelle la « doctrine Gerasimov ».
Les alliés européens de l’OTAN comme la Belgique sont conscients de cette tendance. « La guerre hybride, c’est l’association de moyens militaires et non militaires pour déstabiliser un pays », explique le cabinet du ministre belge de la Défense Steven Vandeput, qui cite aussi « une série d’actions militaires et de désinformation en Transnistrie et en Géorgie. » Selon le ministre belge, la réponse à la propagande russe doit en être une influence par la présence et l’intimidation. C’est la raison pour laquelle il y a également des soldats belges dans les états baltes.
En Lituanie, ils ne sont pas tranquilles. Pour contrer activement les attaques, le pays a créé des équipes spéciales qui analysent et déconstruisent la propagande. Les équipes doivent y opposer la « vérité ». Très fier, un collaborateur de la défense montre une pile de livrets qui commémorent la guerre d’indépendance lituanienne et l’opposition contre l’Union soviétique. Un autre livre publié par le ministère montre des dessins satiriques de la Russie et de Poutine : un homme corpulent coiffé d’une casquette soviétique aux airs stoïques peint un arc-en-ciel en rouge vif. Une autre caricature montre un petit garçon réfugié sous un bureau pour échapper à des oiseaux agressifs coiffés de couronnes orthodoxes qui lui donnent des coups de bec à travers son écran d’ordinateur.
Une autre démarche entreprise par le ministre de la Défense Raimundas Karoblis, c’est de resserrer les liens avec les journalistes. « Eux aussi ont intérêt à diffuser les bonnes informations. »
Du coup, la Lituanie aussi emprunte le chemin des stratégies d’informations offensives. Elle risque aussi diffuser de la propagande ou d’exercer une censure. Il y a quatre mois, la Lituanie a décidé de priver une chaîne russe de ses droits de diffusion quand un invité de talk-show russe a hurlé qu’il voulait reconquérir toute l’Europe de l’Est. « Si les tanks américains s’approchent de nos frontières, ils brûleront avec tous leurs hommes. »
Si l’UE a rappelé la Lituanie à l’ordre, elle a décidé récemment que l’action du chien de garde des médias était proportionnelle à la décision de l’état balte. Leur conclusion est un soulagement pour Karoblis et son équipe. « Il est très clair que c’étaient des mensonges et un discours de guerre. » Entre-temps, quatre chaînes russophones du pays ont été muselées.
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