Les déboires de la flotte américaine en Asie, une aubaine pour Pékin
La série de collisions impliquant des navires de l’US Navy dans le Pacifique fait la joie de l’appareil de propagande chinois à l’heure où Pékin entend muscler sa propre marine, tout en inquiétant les alliés des Etats-Unis dans la région.
Pas moins de quatre incidents ont entaché cette année les opérations de la 7e Flotte de la marine américaine dans le Pacifique, dont deux collisions meurtrières – qui ont finalement conduit cette semaine à la démission de son commandant. C’est un revers cuisant pour la 7e Flotte, pièce centrale du dispositif militaire américain en Asie, et dont le rôle s’avère crucial en pleine montée des tensions autour du programme nucléaire nord-coréen et face aux démonstrations de force de l’armée chinoise. Suite au dernier incident en date – une collision lundi entre le destroyer lance-missiles USS John S. McCain et un pétrolier dans le détroit de Singapour -, dix marins ont été portés disparus.
Mi-juin, déjà, sept marins américains avaient péri dans un accident entre le destroyer USS Fitzgerald et un porte-conteneurs au large du Japon. Ces incidents ont été largement commentés par les médias d’Etat chinois comme une illustration de l’arrogance et des lacunes de l’armée américaine.
Hasard du calendrier: le destroyer USS McCain venait juste d’effectuer « une opération » de promotion de la « liberté de navigation » en mer de Chine méridionale, à la grande fureur de Pékin, qui revendique la quasi-totalité de cette région stratégique. « Du point de vue chinois, cela fait de l’excellente propagande », commente James Char, expert de la sécurité régionale à l’université Nanyang de Singapour. Ces incidents interviennent « au moment où Pékin affirme aux autres pays de la région: Vous ne pouvez plus compter sur les Américains pour assurer votre sécurité« , explique M. Char.
Menace sécuritaire
Le ministère chinois des Affaires étrangères s’est ostensiblement inquiété de la « menace sécuritaire » que posent selon lui les navires de guerre américains pour les bateaux civils. L’US Navy « devient un danger dans les eaux asiatiques », a abondé le quotidien officiel China Daily. Avant de s’interroger, non sans sarcasme: comment des navires de guerre aussi perfectionnés ont-il été incapables d’éviter de gigantesques navires de fret ?
Pour le journal Global Times, proche du Parti communiste, ces collisions montrent que l’aptitude au combat et la qualité du commandement militaire des Américains « ont décliné de concert ». Les incidents « ont été applaudis » par le public chinois, en « colère » contre les manoeuvres américaines dans la région, assure même le journal. Pékin est vent debout contre les interventions des Etats-Unis en mer de Chine méridionale, zone riche en ressources et route maritime cruciale, que le géant asiatique revendique en quasi-totalité contre les prétentions territoriales des pays riverains (Vietnam, Philippines, Malaisie, Taiwan).
Soucieux d’appuyer ses revendications de souveraineté, la Chine muscle son appareil militaire. Le pays, qui possède la première armée du monde en termes d’effectifs, a gonflé son budget de la Défense de 7% cette année – même s’il reste très loin de celui des Etats-Unis. Pékin a mis à flot en avril un deuxième porte-avions et récemment ouvert sa première base militaire à l’étranger, à Djibouti.
« Téméraire »
« La Chine s’efforce de conforter son statut de puissance sécuritaire régionale » et peut espérer que les déboires américains encourageront certains pays à accepter « l’étreinte chinoise », souligne James Char, notant les ouvertures du président philippin Rodrigo Duterte à l’égard de Pékin.
Pour les principaux alliés des Etats-Unis, les incidents minant la 7e Flotte viennent alimenter des inquiétudes préexistantes sur la solidité de l’engagement américain en Asie sous l’administration du président Donald Trump. Si ces collisions n’auront pas d’impact opérationnel « critique », elles ont « infligé des dommages psychologiques » et entamé la confiance, insiste Hideshi Takesada, professeur à l’université japonaise Takushoku.
Alors que Tokyo et Séoul nourrissaient des doutes sur les garanties militaires américaines, « ces accidents navals (…) ne vont certainement pas aider », abonde Daniel Pinkston, expert en sécurité à l’université sud-coréenne Troy.
Les Etats-Unis, eux, tentent de temporiser: au lendemain de l’accident de l’USS McCain, l’amiral Harry Harris, chef du commandement Pacifique de la marine américaine, a estimé qu’il serait « téméraire » pour quiconque de miser sur d’éventuelles vulnérabilités de l’US Navy. « Nous avons de larges moyens et nous les mobiliserons s’il le faut », a-t-il martelé depuis une base aérienne américaine en Corée du Sud.
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