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Le règne des religions à mystères

Claire Aubé Journaliste

Dans le monde gréco-romain, de nouveaux dieux ont réussi à se faire une place à côté du panthéon « officiel ». Les cultes à mystères ont connu un succès considérable, avec des initiés dans toutes les sphères de la société. Plutôt tolérés, dans leur ensemble, certains ont aussi subi la répression.

Quand on évoque les cultes antiques, de Dionysos à Mithra en passant par Cybèle ou Isis, des images spectaculaires et sanglantes de rites, d’offrandes et de sacrifices viennent en tête. Halte-là! « C’est une vision historiographique léguée par un XIXe siècle fasciné par l’occultisme », explique Nicole Beylache, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Paris). Aujourd’hui, cette fascination pour les aspects rituels a cédé la place à une analyse plus subtile de la place occupée par les mystères dans les sociétés grecques et romaines.

Subtile? En effet, le terme mystère n’a, à l’époque antique, pas le même sens qu’aujourd’hui. Certes, les « mystes » sont des initiés. Ils participent à un phénomène religieux qui est de l’ordre de l’indicible. « Comme l’écrit Aristote, il ne s’agit pas de comprendre les mystères mais de les ressentir », souligne Anne-Françoise Jaccottet, chargée de cours en archéologie classique à l’Université de Genève. Mais pour la plupart, il n’y aucune coupure avec la société, pas davantage de volonté de subversion.

Nous sommes en effet dans une société polythéiste où l’on peut aussi bien prier les dieux officiels de la cité que sacrifier à un dieu secondaire dans le cadre d’un engagement plus personnel. « C’est un monde ouvert, dans lequel les cultes se répandent par l’intermédiaire des commerçants voyageurs ou des soldats », raconte Laurent Bricault, professeur d’histoire ancienne à l’Université de Toulouse II – Le Mirail (1). Il y a des modes et de la concurrence; on se bat pour les dévôts et les contributeurs, sans pour autant constituer une organisation sectaire. D’ailleurs, les plus hauts personnages de l’Etat se font initier quand d’autres récupèrent le culte pour trouver une forme d’adoubement. « A Rome, la relation entre le pouvoir et les religions est claire: tant que les groupes ne troublent pas l’ordre public, ils sont acceptés », explique Nicole Beylache. Cette intégration dans la société ne signifie pas pour autant une harmonie totale. Des répressions se produisent, comme les expulsions isiaques à la fin de la République romaine ou, plus sanglant, le scandale des Bacchanales en 186 av. J-C.

Dans les cultes aussi, il y a des modes

En dehors du culte de Mithra, fermé aux femmes, la plupart de ces communautés spirituelles acceptent tout le monde. On aurait pourtant tort d’y voir des ferments d’égalitarisme: la hiérarchie en leur sein reproduit plutôt fidèlement celle de la société dans laquelle ils se trouvent. « L’élite occupe les charges en vue, les couches inférieures de la population se contentant de charges subalternes », note Anne-Françoise Jaccottet.

Les membres des cultes ne font pas société. Bien sûr, un adepte du culte isiaque en voyage ira trouver le temple et les fidèles qui lui sont proches. Mais en général, l’entraide mutuelle se limite à l’aide à la sépulture pour le dévôt. « Ce qui unit ces cultes est la promesse d’un salut dans l’au-delà », souligne Catherine Salles, professeur de civilisation romaine à l’Université de Paris X Nanterre. Les dévôts cherchent un approfondissement personnel avec une divinité grâce à l’expérience rituelle et un certain apaisement qui n’est pas toujours permis dans les rapports entretenus avec les dieux « officiels », plus froids et parfois incompréhensibles.

(1) Auteur de Les Cultes isiaques dans le monde gréco-romain, Belles Lettres 2013

LE RÔLE-CLÉ DE L’ORACLE

Il est consulté à propos des décisions importantes de la cité, mais aussi des problèmes du quotidien rencontrés par la population. Il y a alors deux manières de l’interroger: soit par l’intermédiaire du personnel sacerdotal à qui l’on remet sa question, soit directement. Mais il fallait être alors initié. A Claros (Asie mineure), on a retrouvé les vestiges d’un sanctuaire oraculaire qui permettent d’imaginer ce qui se passait alors. « Alors que ce sanctuaire a été d’abord un temple classique dédié à Apollon, une crypte a ensuite été ajoutée au IIe siècle av. J-C pour permettre aux initiés de poser leur question à l’oracle, raconte Jean-Charles Moretti, directeur de recherche au CNRS, spécialisé en architecture antique. Dans cette crypte, on emprunte un couloir de marbre noir, puis l’on change sept fois de direction avant d’atteindre la salle des consultants. De cette salle part un petit couloir qui donne sur une autre salle où se trouve un puits. L’oracle buvait l’eau de ce puits et répondait à la question posée en fonction de son inspiration. » Cette évolution du lieu est symptomatique d’une époque de troubles et d’inquiétudes, où se développent les religions « orientales » qui tentent d’apporter des réponses aux angoisses et à la question de la vie après la mort.

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