Carte blanche
Le Brexit et « l’arme nucléaire » de l’UE, l’article 7
À l’analyse politique du résultat du référendum britannique sur l’appartenance à l’Union européenne, s’est ajoutée une inédite discussion juridique.
Depuis quelques jours, comptes rendus, commentaires et opinions se suivent et se succèdent, et discutent ce que le Royaume-Uni peut – et ne peut pas – faire en vertu du droit national, européen et international. Un article du Traité sur l’Union européenne (TUE) occupe l’espace médiatique ; il s’agit de l’article 50 qui permet à un État de se retirer de l’Union, en notifiant sa décision au Conseil européen.
Mais voilà: faute de candidat au rôle d’exécuteur testamentaire du Brexit, le Royaume-Uni ne semble pas pressé de notifier sa demande de retrait. Et l’Union ne dispose pas du pouvoir d’imposer cette notification au Royaume-Uni. Le cas échéant, chaque jour qui passe laisse accroître l’idée que le Royaume-Uni pourrait ne pas « brexiter ».
Il n’y aurait évidemment rien de pire, pour des institutions européennes quotidiennement accusées de déficit démocratique, que de se retrouver contraintes à l’attentisme. Les populistes d’Europe, Marine Le Pen en tête, vitupèrent déjà contre le statu quo, oeuvre d’un complot britannico-bruxellois sourd aux souhaits du peuple britannique. Les mêmes mettent en garde contre un remake du scénario irlandais, qui consisterait à « effacer » le résultat référendaire, en soumettant à nouveau au peuple britannique la question de l’appartenance à l’UE, mais cette fois indirectement, lors des prochaines élections parlementaires au Royaume-Uni.
De manière contre-intuitive, une notification rapide semble donc nécessaire pour protéger l’Union de toute accusation de bricolage anti-démocratique. Cette position est au demeurant partagée par les Présidents de la Commission et du Parlement européen, ce dernier ayant évoqué une « prise en otage » des institutions européennes.
Comment, le cas échéant, l’Union peut-elle se prémunir d’un risque durable de non-notification ? Cette question a peut-être une réponse, qui se loge de nouveau dans les articles des Traités européens.
Pour l’heure, le Royaume-Uni reste un État membre de l’UE, soumis à ce titre à l’ensemble du droit européen. Or l’article 7 du Traité permet de sanctionner un État membre lorsqu’il viole de manière grave et persistante l’une des valeurs de l’Union consacrées à l’article 2 du TUE. Parmi ces valeurs figure en bonne place le respect de la démocratie. La procédure de l’article 7 peut ultimement mener à la suspension de certains droits dont l’État contrevenant bénéficie en vertu des traités.
Au plan politique, la mise en oeuvre de l’article 7 est complexe : elle nécessite l’assentiment des 27 autres États membres. Toutefois, dans la mesure où le respect de la volonté des citoyens, telle qu’exprimée par un vote, constitue l’une des manifestations les plus fondamentales du principe démocratique, un constat de violation grave et persistante de l’article 2 par le Royaume-Uni n’est pas totalement chimérique, à défaut de notification dans un délai raisonnable.
Le cas échéant, le Royaume-Uni pourrait se voir priver de quelques avantages qu’elle retire du marché intérieur. La totalité des obligations qui incombent au Royaume-Uni en vertu du droit de l’Union resterait en revanche contraignante pour celui-ci. Par la suite, le Conseil pourrait abroger ces mesures après avoir reçu notification du Royaume-Uni en vertu de l’article 50.
u003cstrongu003eN’ajoutons pas à la déception du Brexit celle d’une Union européenne politiquement pusillanime, incapable d’envisager son avenir sous une forme nouvelle.u003c/strongu003e
Cette procédure, souvent qualifiée d’arme nucléaire, a déjà été envisagée en 2015 à l’égard de la Hongrie, lorsque Victor Orban souhaitait lancer un débat national visant à réintroduire la peine de mort.
Actionner cette arme à l’encontre du Royaume-Uni serait a priori choquant. L’article 7 fut initialement pensé pour sanctionner les dérives étatiques autoritaires et liberticides. Il serait étrange qu’il soit appliqué pour la première fois au Royaume-Uni, berceau des démocraties libérales et de l’Etat de droit.
Nonobstant, le spectre d’une application de l’article 7 ne peut être exclu. Imaginons, un court instant, que David Cameron soit un populiste eurosceptique, comparable à tout point de vue à un Victor Orban. Discuterait-on ne serait-ce qu’un instant de l’idée de sanctionner le non-respect du résultat d’un scrutin référendaire si celui-ci était en faveur du maintien dans l’Union ? Les doutes les plus sérieux sont permis. Pourtant, la protection du principe démocratique ne semble pas devoir – et ne devrait pas – obéir à une géométrie variable.
Le peuple anglais a parlé. À l’heure où d’aucuns regrettent le Brexit, n’ajoutons pas à cette déception celle d’une Union européenne politiquement pusillanime, incapable d’envisager son avenir sous une forme nouvelle. Le retrait du Royaume-Uni doit intervenir à brève échéance.
Qui plus est, l’UE doit se montrer intransigeante lors des négociations en vertu de l’article 50, et refuser au Royaume-Uni le maintien, post Brexit, des avantages qu’il retirait de sa participation au projet européen. Car s’il ne coute rien de sortir de l’Union, tous les pays gagnés par la fièvre eurosceptique risquent de se presser au guichet de l’article 50. Marine Le Pen, encore elle, déclarait récemment que le Royaume-Uni « continuer(ait) à commercer et échanger avec les pays d’Europe (…) peut-être avec plus d’efficacité qu’avant son indépendance« . Puisse l’Europe tordre le cou, dans les semaines qui s’ouvrent, aux prophéties de Cassandre…
Nicolas Petit et Sofia Vandenbosch, université de Liège, Faculté de droit et de science politique.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici