L’ISHS, le système de santé pour djihadiste
Dabiq, 9ème parution. Ce nom ne vous dit peut être rien, mais il s’agit du magazine de propagande du groupe terroriste État islamique (EI). Dans cette parution, datant de la fin mai 2015, le monde s’est indigné à l’encontre d’un article justifiant l’esclavagisme sexuel de jeunes Yazidis. Mais un autre article est passé presque inaperçu, surtout dans le monde francophone : celui sur le système de santé mis en place par l’EI.
La tentative d’attentat héroïquement déjouée le week-end dernier est encore dans toutes les mémoires. Bien que le criminel nie toute allégation à l’État islamique, l’inconscience populaire alloue ce type d’événement au groupe terroriste connu pour ses actions violentes. Néanmoins, depuis cette année, l’EI tente de se donner l’image d’un État fonctionnel plutôt que celle d’un État de terreur. Une propagande d’un genre nouveau, qui équivaudrait à la moitié des vidéos du groupe terroriste selon Vocativ, un nouveau media new yorkais spécialisé dans le web.
Cette notion de bonne gouvernance vient du sommet de l’État islamique et apparait dès le début de la création du califat. Dès sa première déclaration publique après la conquête de Mossoul, Al-Baghdadi, calife auto-procalmé, a appelé les médecins, parmi d’autres professions intellectuelles, à participer au gouvernement du territoire contrôlé par l’État islamique.
La volonté du sommet de l’organigramme se retrouve transcrite dans Dabiq, le magazine de propagande du groupe terroriste, qui propose des rubriques entières sur le bon fonctionnement de l’EI.
L’article, intitulé « Healthcare in the Khilafah » fait partie de cette nouvelle propagande. Il fait suite à une vidéo sortie en avril, annonçant le supposé lancement d’un système de soins de santé de l’État Islamique (ISHS), qui, soit dit en passant, lorgne fort vers le système de santé britannique (NHS).
Une image idyllique
Dans une tentative de tromper les musulmans vivant dans des pays développés à voyager vers une zone de guerre, l’article met en scène des photos de complexes sanitaires propres, et se vante de l’ouverture d’un collège médical à Raqqa, la capitale auto-proclamée, en Syrie, et d’un collège pour les études médicales à Mosul en Iraq.
« L’État islamique procure aux musulmans des soins de santé exhaustifs en mettant en place des infrastructures médicales dont des hôpitaux et des cliniques dans toutes les villes majeures, où l’on offre une gamme étendue de services médicaux, de nombreuses opérations chirurgicales complexes à de plus simple services comme la hijama (méthode d’extraction du sang de la surface de l’épiderme à l’aide de ventouse, ndlr) », explique la revue Dabiq, assurant que l’équipe médicale des hôpitaux et cliniques est qualifiée.
« Pour atteindre les objectifs fixés, un nouveau cursus de trois ans a été développé par des experts en médecine », assure la propagande. » Il consiste en une première année théorique intensive avec l’introduction graduelle de travaux pratiques dans les deuxième et troisième années. » Une réduction de 6 à 3 ans dans le cursus, car « à quoi sert la physique, les statistiques quand on apprend la médecine? » demande Abou Abdel Rahmane al-Chami, directeur djihadiste de l’hôpital de Raqqa.
Il est plus étonnant de lire que les cours seront ouverts aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Mais dans des bâtiments séparés, des hôpitaux séparés, et des femmes enseignants pour les femmes, État islamique oblige. Encore mieux, l’EI surenchérit et assure que pour supporter les étudiants dans leurs efforts, il « ne chargera aucun coût et fournira tout ce qui est nécessaire en termes de nourriture, de logement, de transport et de livres ». Il ne faut pas oublier que la revue Dabiq est publiée en anglais et qu’elle vise également le public occidental.
« Cela devrait être un réveil pour les nombreux étudiants musulmans des terres des mécréants qui prétendent étudier la médecine pour en faire bénéficier et aider la Communauté musulmane, mais qui restent dans ces terres, courant après les plaisirs mondains à la place d’émigrer vers l’État islamique – et ceci malgré le fait que l’émigration soit une obligation islamique indéniable, en plus du fait que l’émigration était et reste relativement facile. » Et l’article de conclure : « l’État Islamique offre tout ce dont vous avez besoin pour vivre et travailler ici, donc, qu’attendez-vous ? »
Une réalité sur le terrain contrastée
La majorité du personnel chargé des hôpitaux a pu rester en place, mais la réalité du terrain est difficile. La ville de Raqqa, le modèle de l’État islamique, meurt à petit feu. Le nouveau califat impose chaque jour, depuis début juin, des ordres et des interdits au nom de l’application de la charia. On note, pour les médecins, la mise à l’écart de tous les gynécologues hommes dans les maternités et hôpitaux, ou encore « l’obligation de passer un test sur la charia (loi islamique) sous peine de se voir interdire l’exercice de leur profession », selon Hicham al-Hachimi, spécialiste des groupes islamistes à l’AFP.
En mars, Abu Mohammed, un activiste vivant à Raqqa, a expliqué à l‘International Business Times UK que sous le joug de l’EI, les combattants islamistes avaient effectivement un accès gratuit à la santé, mais que le commun des citoyens n’avait pas ce droit. « Les combattants vivent dans des maisons à l’intérieur de la ville, et ils agissent comme s’ils étaient les maîtres et le peuple de Raqqa, leurs esclaves. »
Abu Mohammed a également expliqué que les cliniques privées de la ville avaient été fermées et que l’hôpital public à Tel Abyad était ouvert, mais le prix des traitements médicaux était prohibitif.
L’avis des associations de médecins internationales
La World Medical Association (WMA), interviewée par nos soins, n’a pu qu’avoir une conclusion sur ces faits. « Nous pouvons seulement avoir de fortes réservations sur le respect strict des principes d’éthique médicale de la part d’une organisation qui ne montre aucun respect envers la vie humaine et qui enfreint des droits humains fondamentaux d’une manière flagrante et inacceptable, et ce de manière journalière », explique Nigel Duncan, consultant en relations publiques de la WMA.
De son côté, Médecins Sans Frontières (MSF) explique la situation qui est la sienne en Iraq et en Syrie, territoires sur lesquels est installé l’État islamique. Selon son rapport annuel 2014, deux millions de personnes ont fui le conflit en quête de sécurité en Iraq. Les combats incessants ont entravé l’acheminement de l’aide humanitaire aux déplacés dans le nord et le centre de l’Iraq. À travers ses interventions d’urgence, MSF a constaté que les mauvaises conditions sanitaires, en particulier le manque de latrines et d’eau potable, étaient responsables de la plupart des pathologies.
Les conséquences du conflit sont telles qu’en juin 2014, la clinique de soins de base construire par MSF à Tikr?t a été détruite par une explosion au lendemain de son achèvement et le personnel médical international et iraquien a été évacué de cette zone. Le groupe EI a pris le contrôle de la ville et MSF n’y est pas retourné depuis.
Côté syrien, pas mieux. MSF devrait déployer des programmes médicaux parmi les plus importants des 44 ans de son histoire mais en est empêché. « Violence et insécurité, attaques contre les structures médicales et les soignants, absence d’autorisation gouvernementale et groupes armés qui renient leur promesse de garantir la sécurité de nos équipes comptent parmi les principaux obstacles à une extension du programme d’aide médicale humanitaire », explique MSF. Des milliers de médecins, infirmiers, pharmaciens et paramédicaux ont été tués, kidnappés ou déplacés par la violence. Le 2 janvier 2014, 13 membres du personnel de MSF ont été enlevés par l’EI. Conséquences ? L’enlèvement a provoqué le départ des équipes internationales de MSF et la fermeture de structures de santé dans les zones détenues par l’EI.
De la mise en scène pour inviter le monde médical dans une zone de guerre
Fin avril, L’État Islamique a diffusé une vidéo qui promeut l’ISHS (Islamic State Health Service), son service de santé, et fournit des détails des traitements offerts aux citoyens du califat auto-proclamé. Le personnel de l’hôpital, vraisemblablement situé à Raqqa, vante la création d’un ministère de la Santé, la qualité des soins offerts et le matériel de pointe utilisé à l’hôpital. Selon la BBC, elle a été tournée pour favoriser le recrutement.
Les images ont été publiées par les réseaux sociaux liés à l’EI qui dispose d’un vaste appareil de propagande sur internet. Semblable à la publicité pour d’autres hôpitaux, la vidéo présente des images d’un hôpital et d’ambulances, de médecins, de séquences d’opérations et de soin sous le logo ISHS.
On peut voir que plusieurs zones de l’hôpital de Raqqa sont endommagées et vides. Plusieurs médecins détaillent les services offert : soins intensifs, rayons X, kinésithérapie pour laquelle travaillent des médecins de différentes nationalités.
« Nous avons besoin d’aide »
La vidéo ne met pas en scène que des médecins arabophones. Deux anglophones y participent et se démarquent, exhortant leurs frères musulmans à les rejoindre car ils manquent de main d’oeuvre. Le premier constat que l’on peut tirer de cette vidéo est que tous les interlocuteurs ne sont pas arabophones. Un kiné s’exprimant en anglais explique, par exemple, que femmes, hommes et enfants sont traités séparément et que des femmes s’occupent des femmes et des enfants.
Il explique également que pour son département, ils recevaient au début 30 patients par semaine, mais qu’actuellement, ils en reçoivent de 400 à 500 par semaine. Enfin, il appelle « ses frères et soeurs qui disposent d’un parcours en médecine, qualifié ou semi-qualifié à venir les rejoindre. » Il ne sera pas le seul à lancer un appel aux musulmans d’occident.
Dans une autre séquence, un médecin australien, affectée au service pédiatrique, fait la promotion du système de santé de l’EI et exhorte la communauté musulmane occidentale à le rejoindre. « Après quelques temps passé ici, il est décevant de penser aux nombreux frères et soeurs musulmans qui sont dans le champ médical – docteurs et infirmières, kinés et dentistes – qui vivent toujours en occident alors qu’ici (à Raqqa, ndlr), les musulmans sont réellement en train de souffrir, pas du manque d’équipement ou de médicament, mais du manque d’effectif médical qualifié », constate-t-il.
« Donc je suppose que le message que je voudrais envoyer aux frères et soeurs vivant en occident qui voudraient venir…je suis vraiment content d’être venu ici, tout répond à mes attentes. Nous avons vraiment besoin de votre aide sans délai. Chaque petit détail bénéficie grandement à la population locale qui souffre. » Et d’insister en conclusion de son intervention : « ce n’est vraiment pas de matériel dont nous avons besoin, mais juste de coéquipiers. » Une information contradictoire avec le constat posé par MSF, selon qui « la guerre entraîne des pénuries extrêmes. » Et à propos du gouvernorat de Raqqa : « les centres de santé et hôpitaux restés opérationnels dans ce gouvernorat peine à maintenir leurs approvisionnements et leurs effectifs et à conserver les médicaments à bonne température. » Le constat est identique, voire pire, dans les autres gouvernorats de Syrie.
Un médecin alcoolique et chasseur de femmes
Selon news.com.au, le jeune docteur aurait été identifié comme un ancien étudiant de l’Université d’Adelaïde, Tareq Kamleh. Il avait la réputation d’un « étudiant en médecine soigné qui buvait de l’alcool et qui avait beaucoup de conquêtes », selon un des anciens étudiants de l’Université.
À tel point que le docteur avait reçu le « spéculum d’or », une récompense de l’Hôpital Royal d’Adélaïde décerné à l’interne qui a couché avec le plus grand nombre de personnes de son staff.
Le vice-président de l’Association Médicale Australienne (AMA), Stephen parnis, a expliqué que l’organisation a été outrée par la vidéo d’Abu Yusuf. « La profession médicale est bouleversée par cela parce que, malheureusement l’Etat islamique est en contradiction avec nos valeurs. Ce que nous avons là, c’est un régime qui fait des dégâts terribles, qui ne respecte pas la vie. La notion de travailler et de supporter ce régime est, je pense, aberrant pour presque tous les docteurs australiens. »
Toujours est-il que la commission médicale australienne devait toujours statuer sur son cas, car il avait toujours, à l’heure de ces déclarations, une licence de médecine en Australie.
L.Z.
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