Un des prévenus dans le procès contre la cellule djihadiste de Verviers, avril 2016 © Belga Image

Islamistes : évaluer la présence de traits paranoïaques

Le Vif

Le psychiatre et criminologue Roland Coutanceau* est amené à expertiser de nombreux islamistes pour les tribunaux français . Il juge possible et urgent de classer ces partisans de Daech selon leur degré de dangerosité.

« Ceux qui adhèrent à l’idéologie de Daech présentent tous des traits de caractère plus ou moins prononcés – un tempérament passionné et exalté, une pensée jusqu’au-boutiste qui signent, à un certain niveau, une tonalité paranoïaque. Attention : on peut être un vibrant idéaliste et se montrer incapable de faire du mal à une mouche ! Tout est question d’intensité. Lorsque les traits sont fortement marqués, on peut parler de pathologie, mais il ne s’agit pas encore de maladie mentale. Ce niveau est atteint avec le délire paranoïaque, qui, lui, requiert des soins cliniques, mais c’est rare. D’après mon expérience de terrain, je distingue trois types de profils : ceux qui voient dans Daech une sorte de « nouvelle religion » proche des pauvres ; ceux qui, séduits par l’islam fondamentaliste, considèrent que l’Etat islamique est le seul endroit au monde où la foi musulmane peut totalement s’épanouir ; et, enfin, ceux qui, sans attaches religieuses particulières, sont déjà transgressifs dans leur vie quotidienne et cherchent à s’identifier à un combat guerrier. Les membres de cette troisième catégorie présentent des troubles de la personnalité – on peut les ranger parmi les psychopathes – et sont aussi les plus dangereux pour la société, car ce sont eux qui sont susceptibles de passer à l’acte lorsqu’ils intègrent un groupe et entrent en lien avec un « donneur d’ordres ». Dans leur cas, on peut parler d’une « islamisation de la radicalisation », alors que, pour la deuxième catégorie, les fondamentalistes, il s’agit à l’inverse d’une « radicalisation de l’islam ». Les deux processus peuvent coexister chez un même individu.

Le problème est que Daech exerce un fort pouvoir d’attraction sur les psychopathes en quête d’identification. L’Etat islamique leur offre en effet ce dont rêvent tous les paranoïaques : un combat dont ils sont les héros, une mission qu’ils doivent mener de manière radicale, jusqu’au bout. Il suffit de voir le soin avec lequel Daech met en scène dans ses vidéos la figure du soldat héroïque et euphorique, la kalachnikov à la main, doté de tous les attributs de la masculinité. Cette image offre aux individus déjà légèrement transgressifs la promesse d’une réalisation mégalomaniaque. Cet idéal héroïque du moi les autorise à libérer ce qui est potentiellement présent dans la psyché de beaucoup d’entre nous : le plaisir de détruire, notamment autrui. Bien qu’il soit très rare, le profil du déséquilibré endoctriné par Internet – le « loup solitaire » – et décidant seul de commettre une action violente peu sophistiquée, au moyen par exemple d’une arme blanche, est aussi à prendre en compte.

Face à ce constat, il me paraît indispensable de hiérarchiser le degré de dangerosité des individus qui font peser un risque sur la sûreté de l’Etat. Aucun gouvernement ne pourra jamais assurer la surveillance d’autant de personnes. Il vaudrait donc mieux classer ces individus en trois catégories : faiblement dangereux, moyennement dangereux, très dangereux. Ensuite, oser dire que l’on investira davantage de moyens dans le suivi et l’accompagnement des cas les plus problématiques. Comment évaluer le risque ? Je suggère que l’on constitue un groupe d’experts pluridisciplinaire qui s’appuierait notamment sur l’un des indices de la potentialité du passage à l’acte : l’intensité des traits paranoïaques chez chaque individu fiché. Bien sûr, l’erreur est toujours possible, mais c’est, à mon avis, la démarche la plus intelligente que nous puissions adopter dans le contexte actuel. »

* Président de la Ligue française pour la santé mentale.

Par CLAIRE CHARTIER

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