"Aucun des deux protagonistes n'aurait intérêt à attaquer l'autre", assure Romain Caillet. © Reuters

Existe-t-il un pacte entre l’Etat Islamique et la Turquie ?

Selon deux spécialistes des mouvements djihadistes au Proche-Orient, un « pacte de non-agression » lierait le gouvernement turc au groupe islamiste.

Dans la nuit de samedi à dimanche, l’armée turque a mené une opération militaire en Syrie afin d’évacuer la dépouille d’un dignitaire ottoman, ainsi que les 38 soldats qui gardaient son tombeau. Effectuée dans une zone contrôlée par l’Etat Islamique, située près de 40 kilomètres à l’intérieur du territoire syrien, l’opération s’est déroulée sans heurts. « Un franc succès », se réjouit le Premier ministre, Ahmet Davutoglu. Ni obstacle, ni affrontement. N’était-ce pas trop facile ?

C’est en tout cas l’avis d’Anthony Samrani, diplômé en sciences-politiques à l’Université de Lyon et collaborateur régulier au quotidien francophone libanais « L’Orient-Le Jour ». « Si la facilité avec laquelle l’armée a pu rentrer en territoire syrien est compréhensible, au vu du chaos qui y sévit, le fait qu’elle ait pu mener cette opération sans livrer le moindre combat a de quoi susciter quelques interrogations » avance-t-il dans un article publié ce lundi. « Cela confirme-t-il les rumeurs d’une alliance entre les deux parties ou cela s’inscrit-il davantage dans une logique de pacte de non-agression ? »

Interrogé par ses soins, le chercheur français Romain Caillet, spécialiste du djihad et de l’État islamique, qui a déjà collaboré avec Le Monde ou Médiapart, penche clairement pour la seconde option. « Il y a effectivement des contacts entre l’EI et les Turcs. Mais il s’agit moins d’une alliance que d’un pacte de non-agression », tranche-t-il, avant de développer sa théorie, selon laquelle aucun des deux protagonistes n’aurait intérêt à attaquer l’autre. « La Turquie peut empêcher les combattants étrangers de rejoindre l’EI en fermant sa frontière, tandis que les jihadistes peuvent commettre des attentats terroristes sur le territoire turc, ce qui provoquerait l’effondrement du tourisme. Sans oublier que la mafia turque est un intermédiaire privilégié pour l’EI dans les opérations de revente de pétrole et d’objets de contrebande. »

Des affirmations concordantes avec celles avancées, en octobre dernier, par l’expert en géopolitique Philippe Sébille-Lopez. « La Turquie, et ses frontières trop perméables, permet au pétrole de contrebande d’arriver plus facilement dans les raffineries européennes et américaines. » Un mois plus tôt, le ministre des affaires étrangères égyptien s’en prenait directement au président turc, M. Recep Tayyip Erdogan, en faisant référence à sa politique de soutien, menée depuis 2012, vis-à-vis de groupes jihadistes qui combattent le régime de Bachar Al-Assad : « [C’est] un homme désireux de provoquer le chaos et de semer la division au Proche-Orient à travers son soutien à des groupes et à des organisations terroristes. »

Reculer pour mieux collaborer ?

La Turquie en contact « intime » avec l’EI ? Une opinion qui ne fait pas l’unanimité. Certains observateurs se sont ainsi empressés de saluer ainsi une « victoire contre les terroristes », estimant également qu’avec ce repli tactique réussi, et après la libération des otages du consulat de Mossoul en août 2014, la Turquie, « désormais débarrassée d’entrave, sera beaucoup plus à même de participer activement au sein de la coalition anti-EI. L’accord pour la formation de rebelles syriens spécialement affectés à cette tâche vient d’ailleurs d’être formalisé avec les Etats-Unis. » (A.V.)

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