DSK, la malédiction
L’ancien patron du FMI avait retrouvé une autre vie professionnelle et une forme de sérénité, mais son association avec un financier endetté, Thierry Leyne, a tourné au drame et à la faillite. Alors que va être jugée l' »affaire du Carlton », le voici de nouveau dans la tourmente. Pour avoir, une fois de plus, fait preuve d’une grande légèreté.
Pour l’instant, je stabilise le bordel. » A quelques semaines du procès dit « du Carlton de Lille », où il est mis en examen pour » proxénétisme aggravé en réunion », Dominique Strauss-Kahn n’a guère le temps de profiter de son riad à Marrakech, embelli par de longs travaux. Depuis le 23 octobre, jour du suicide de son associé Thierry Leyne, il cavale partout. De Tel-Aviv au Luxembourg, en passant par Genève, l’ancien directeur général du FMI fait le tour des filiales de Leyne Strauss-Kahn & Partners (LSK), leur société commune, qui a fait faillite le 7 novembre. DSK en était actionnaire et président du conseil d’administration. En première ligne, il prend la parole, le 30 octobre, dans une interview au quotidien français Le Parisien, calibrée au millimètre. « Je précise que j’étais président non exécutif de LSK », se défend-il, anticipant sûrement les ennuis à venir. Depuis, silence radio. Ainsi, sollicité par Le Vif/L’Express, il n’a pas souhaité s’exprimer.
L’affaire surgit à la veille d’un procès qui s’annonce spectaculaire (voir page 78). Elle vient écorner l’image de DSK dans un domaine où, malgré les vicissitudes de ces dernières années, il garde une excellente renommée : l’économie et la finance. Il y a quelques mois encore, il balayait les avertissements de ses proches d’un revers de la main. Désormais, le voici contraint de reconnaître que la réputation de son ex-associé était « contrastée ». Aujourd’hui, il préférerait que cette association à l’épilogue dramatique n’ait jamais eu lieu.
Il a une « mine affreuse »
Quelques semaines après la défenestration de Thierry Leyne d’une des tours Yoo à Tel-Aviv, le voile se lève sur le parcours de l’homme d’affaires franco-israélien. Pourquoi l’ancien ministre de l’Economie a-t-il pris le risque de nouer un partenariat avec lui ? Pouvait-il vraiment ignorer la situation financière de son associé ?
Ceux qui croisent DSK en novembre lui trouvent de nouveau une « mine affreuse ». Celle des mauvais jours, celle de l’époque de son retour en France, en septembre 2011, après la terrible affaire du Sofitel de New York. Pourtant, depuis quelque temps, l’horizon s’était éclairci. DSK sortait enfin de cette longue période de quarantaine après que la justice américaine l’eut blanchi. En octobre dernier, il assiste à l’anniversaire de sa fidèle communicante, Anne Hommel. Le Tout-Paris politique et médiatique est présent, y compris Anne Sinclair. Les invités ne le traitent plus en pestiféré. La politique, c’est fini. Désormais chef d’entreprise, il a retrouvé une forme de sérénité, une nouvelle compagne et, à en croire son entourage, il envisage le procès du Carlton « avec confiance ».
Il revient de loin. Lorsqu’il rencontre Thierry Leyne, en juin 2012, il s’est tout juste séparé d’Anne Sinclair. Sombre période. A Roissy, à la descente d’un avion, DSK apparaît en chaise roulante à cause d’une sciatique très douloureuse. Il se bourre de médicaments pour son dos, il va mal. L’ex-présidentiable doit entièrement reconstruire sa vie. Pendant quelques semaines, il est hébergé par des proches, notamment par une amie de longue date, ancienne de l’agence Euro RSCG, dont le compagnon est dans les affaires. Son nom est Thierry Leyne, il vit entre le Luxembourg, Paris et Tel-Aviv. Le personnage a du charisme, il est intellectuellement séduisant. « Dominique ne respecte que l’intelligence et Thierry était intelligent », rapporte un homme qui connaît bien « L » et « SK ». Au cours de l’été 2012, les deux sympathisent. « Je crois qu’ils sont vraiment tombés sous le charme l’un de l’autre », raconte une relation de l’ancien ministre.
Le coup de foudre repose pourtant sur un profond malentendu : chacun prend l’autre pour ce qu’il n’est pas. Et s’imagine qu’il va se servir de l’autre pour se refaire. Tous deux seront déçus. Au moment où il rencontre DSK, Thierry Leyne est, lui aussi, mal en point. Il est même sur la paille après la fusion de son entreprise, Assya, avec une société financière, Global Equities. Plusieurs entités dont il est actionnaire accusent des pertes importantes. A la fin des années 1990, Thierry Leyne a connu un certain succès en créant l’une des premières sociétés de Bourse sur Internet, Axfin, très bien revendue à un courtier en ligne. C’est son unique véritable réussite. Depuis, cet ingénieur de formation vit sur le fil du rasoir, jonglant avec l’argent des uns pour rembourser les autres – de la vraie cavalerie. « C’était un court-termiste, borderline, flirtant avec la légalité. Comme il se baladait toujours dans de très belles bagnoles, il donnait le change », rapporte un financier réputé de la place de Paris. A DSK, Thierry Leyne ne dit rien de ses difficultés. Il boit les paroles de l’ex-patron du FMI et songe, probablement, à l’aide providentielle que pourrait lui procurer le carnet d’adresses de son nouvel ami. Lesté de lourdes dettes, Leyne doit à tout prix se renflouer.
Il n’écoute pas les conseils de prudence
Peu de temps après, en septembre 2012, DSK crée sa structure, qu’il baptise Parnasse. Devenu conférencier, il renforce ses liens avec Thierry Leyne et prodigue des exposés sur la macroéconomie aux équipes de son partenaire spécialisées dans la finance. Ensemble, ils travaillent à la création d’une banque pour le Soudan du Sud, un tout jeune Etat. Tous deux assistent, en mai 2013, à l’inauguration de la National Credit Bank par le gouvernement. C’est au cours de l’été, entre deux parties d’échecs, que DSK et Leyne envisagent d’aller plus loin. A Paris, un ami à qui DSK parle du projet le met en garde en évoquant la réputation de Thierry Leyne. « J’ai besoin de me « staffer » et il m’apporte exactement ce qui me manque. J’ai visité ses locaux. Il y a du monde. Ça me semble bien », s’entend-il répondre.
DSK glisse tout de même quelques questions à son futur partenaire. Pour le tranquilliser, Thierry Leyne exhibe les agréments des diverses autorités de contrôle étatiques qu’il détient. Il le rassure, aussi, lui affirmant qu’il n’a jamais été condamné ou rappelé à l’ordre. Faux : en 2012, l’une de ses sociétés reçoit un blâme de l’Autorité de contrôle prudentiel française. Une information que Dominique Strauss-Kahn aurait pu obtenir facilement. » Autant il est rigoureux lorsqu’il analyse la si-tuation d’un pays, autant il est désinvolte pour ses propres affaires », estime l’un de ses amis.
Faisant fi de ces avertissements, DSK s’engage dans l’aventure. LSK, créée en septembre 2013, est, en réalité, l’ex-société holding de Thierry Leyne, Anatevka, qui regroupe la totalité de ses actifs… et de ses pertes. DSK en prend la présidence en octobre 2013. » Une simple lecture des comptes d’Anatevka lui aurait permis de voir que ça ne sentait pas bon », note un analyste. Un mois après la création de LSK, les comptes 2012 sont publiés. Ils font non seulement apparaître de lourdes pertes, mais aussi plusieurs réserves des commissaires aux comptes. Dès lors, DSK a sous les yeux les difficultés de son associé. Il aurait pu approfondir pour y voir plus clair avant de poursuivre. » C’est toujours pareil, il fait trop confiance », soupire un proche.
Il veut faire de l’argent très vite
Plusieurs sources proches de DSK fournissent une autre explication. L’ex-ministre veut faire de l’argent très vite. Il en a besoin pour affronter le procès en cours mais aussi soutenir le train de vie confortable auquel il a été habitué. Désormais divorcé, l’ancien mari d’Anne Sinclair ne peut plus compter que sur lui-même.
Au fur et à mesure, les ambitions des deux associés prennent de l’ampleur, ils veulent dorénavant créer un fonds d’investissement spéculatif de… 2 milliards de dollars, qui portera, cette fois, le nom du seul DSK. « Dans cinq ans, je serai plus gros que la banque Lazard », clame l’intéressé. Un connaisseur de la finance nuance : « Seuls les professionnels aguerris peuvent prétendre ramasser autant d’argent. » Au printemps, commence le roadshow, cette tournée des investisseurs susceptibles de placer leur fortune auprès de LSK. Pékin, Shanghai, Bahreïn… Thierry Leyne fait l’article. Assis à son côté, DSK apporte sa caution.
Leyne et DSK effectuent alors une demande d’agrément au Luxembourg pour leur futur bébé, DSK Global Investment. Mais la réponse tarde. Thierry Leyne devient nerveux, parfois arrogant. Son prestigieux associé ne lui apporte pas assez d’affaires, s’agace-t-il. « Un jour, raconte un ami de DSK, nous étions tous les trois à une réunion de travail à l’étranger. En sortant, Thierry s’approche de moi et me lance d’un ton assez hautain : « Maintenant, si tu veux parler à Dominique, c’est à moi qu’il faut t’adresser. » Je le prends assez mal. Plus tard, j’en fais part à Dominique, qui me répond : « Je sais, il est toujours comme ça, mais il est utile et, maintenant, je suis associé. » »
Pour le meilleur et pour le pire. Le 6 juin 2014, le cours de LSK décroche. Il ne remontera jamais. Thierry Leyne, qui soutenait lui-même le titre de la société en rachetant ses propres actions, semble en panne de liquidités.
Pourtant, il embarque sa fille Vanessa dans sa nouvelle vie. Professeur d’économie à l’ESCP Europe, elle intègre LSK pour animer l’équipe de recherche. Le 23 mai, elle crée sa société, VSK consulting. Sa photo et sa biographie étaient sur le site de LSK avant la disparition de ce dernier. D’après un proche, Vanessa devait être l' »oeil de Moscou » de son père chez LSK. En fait, DSK hésite. Pendant l’été, il confie ses inquiétudes à son entourage. Quasiment au même moment, néanmoins, il participe encore à une augmentation de capital de LSK et remet au pot 374 960 euros en cash. Au total, il aura investi plus de 600 000 euros dans l’affaire. Mais, selon un proche, sa perte finale sera largement supérieure.
Pourrait-il être appelé en garantie ?
Au début du mois de septembre, Dominique Strauss-Kahn donne rendez-vous à l’un de ses amis. Ensemble, ils roulent en voiture dans Paris, longuement, sans s’arrêter, pour parler en toute sécurité. Il reconnaît : « J’ai des problèmes avec Thierry. Tous les jours, je découvre des choses qu’il a faites dans notre dos. Je suis dans la merde. » DSK mobilise d’autres administrateurs de LSK et réclame des explications à son associé. Leyne est dans une situation délicate. Selon plusieurs sources, il aurait eu du mal à rembourser un gros emprunt contracté auprès de financiers russes. Igor Setchine, patron du groupe Rosneft, un proche de Poutine, aurait facilité la transaction. A-t-il été sollicité par DSK en personne ? Depuis 2013, le Français siège au conseil de deux institutions russes, dont l’une, la Banque russe de développement des régions, est une filiale de Rosneft. D’après nos informations, DSK s’est rendu en Russie, où il jouit d’une très bonne réputation, au cours de la semaine du 17 novembre, pour tenter de régler la situation.
Mais ses ennuis sont loin d’être terminés. Malgré sa démission du conseil d’administration, le 20 octobre, trois jours avant le suicide de Thierry Leyne, DSK pourrait être appelé en garantie par les tribunaux luxembourgeois. Redoutant cette éventualité, il a habilement souligné, dans son interview au Parisien, qu’il n’a pas été rémunéré en tant que président ; à d’autres il précise qu’il n’a effectué aucun acte de gestion. Pour l’heure, les avocats sont partagés sur l’analyse juridique du risque encouru. Au Luxembourg, la liquidation de la société est en cours. Elle pourrait être longue et durer plus d’un an. « Cette histoire est celle de deux albatros blessés par la vie », résume son biographe Michel Taubmann (1).
Reste qu’aujourd’hui DSK est à nouveau seul. Pour démêler l’écheveau des mauvaises affaires de son associé. Pour trouver de nouveaux contrats et se renflouer. Pour répondre, demain, à la justice – si des actionnaires déposent plainte – et prouver qu’il est étranger aux opérations de Thierry Leyne. Seul, enfin, pour défendre sa réputation entachée par son insoutenable légèreté.
(1) Le Roman vrai de DSK (Archipoche, 2014).
Par Libie Cousteau
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