« Chercher le sens de la vie est vain »
Comment faire face à la mort? Pourquoi sommes-nous seuls? Comment concilier notre goût du savoir et notre inévitable ignorance? Comment trouver le sens de la vie? Réponses dans l’introspection philosophique de Jean-Louis Servan-Schreiber.
« Le ciel est vide, Dieu s’est dilué dans la modernité. » Dans son nouveau livre C’est la vie! (éd. Albin Michel), le journaliste et essayiste français Jean-Louis Servan-Schreiber pointe le doigt vers la terre. Attentif aux leçons multiples de la réalité, ouvert aux observations du terrain, il dresse un inventaire méthodique de ce que nous avons sous les yeux, dans la tête, et de ce que nous en faisons. Sans se prendre au sérieux ni vouloir refaire le monde, il essaye de classer quelques idées générées par le simple fait de vivre. Car penser et vivre, au fond, c’est la même chose.
Le Vif/L’Express: Dieu s’est dilué dans la modernité, dites-vous. Comment garder la « verticalité » et rester droit face aux vicissitudes de la vie?
JLSS: La vicissitude ultime, c’est la mort. Comme les humains ont beaucoup de mal à supporter cette fatalité, ils se sont créé une entité supérieure susceptible de leur faire une promesse pour l’après-vie. Dieu est né comme ça. Mais aujourd’hui, ne pouvant plus nous raccrocher à rien de certain au-dessus de nous, il faut vivre en mouvement pour rester en équilibre. Désormais, la qualité la plus importante et la plus nécessaire, c’est l’adaptabilité, un entraînement permanent à rebondir sans pester contre le destin.
A notre époque d’individualisme exacerbé, vous affirmez que nous avons besoin des autres car nous leur devons tout…
Les autres créent et réalisent tout ce dont je peux avoir besoin et que je serais bien incapable de faire seul. Ils sont surtout des sources d’émotion, de stimulation et de désirs. Bref, de vie. L’autre me permet aussi de mieux me définir: par effet miroir, par comparaison ou par opposition. L’existence des autres me sécurise et me réconforte. L’individualisme de nos sociétés modernes fait penser à nos illusions d’adolescents qui croyaient pouvoir s’affranchir de leurs parents pour se distinguer. Plus tard, ils reviennent à l’ancrage irremplaçable que constitue la famille. L’individualisme est le fantasme d’adolescence de l’humanité contemporaine. On est en train d’en revenir.
Vous insistez sur notre destin collectif en l’illustrant par la métaphore d’une cordée. De quoi s’agit-il?
On associe souvent la chaîne aux humains. Une chaîne est lourde, elle entrave et elle casse. La cordée, en revanche, est constituée de minuscules brins qui ne sont pas attachés les uns aux autres mais seulement tressés ensemble. Ces brins, c’est vous, c’est moi, c’est nous qui assurons la solidité et la continuité de la cordée, bien qu’éphémères. Et ça dure depuis des millions d’années. L’histoire de notre espèce montre que cette cordée est ascendante et tend vers un progrès permanent. Elle a survécu à la grande peste du XIVe siècle, au nazisme, au stalinisme et au maoïsme, et a même fait reculer la pauvreté, la maladie et l’analphabétisme. Sans intervention divine.
La quête du sens de la vie est sur toutes les lèvres. Quelle réponse proposez-vous?
Le sens de la vie? Quand une question reste si longtemps sans vraie réponse, peut-être s’agit-il d’une fausse question? Serait-il cohérent de poser la question du sens d’une source de sens, en demandant, par exemple, ce qui éclaire la lumière? Chercher le sens de la vie est vain. Le seul fait d’être vivant et d’aimer la vie donne son vrai sens à cette dernière. Le sens, c’est la vie.
- C’est la vie!, par Jean-Louis Servan-Schreiber, éd. Albin Michel, 192 p.
L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine
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