Carte blanche

CETA, et maintenant ?

Concluant des travaux qui ont duré plus de deux ans, le Parlement européen a voté ce midi à une large majorité (408 pour, 254 contre et 33 abstentions) une résolution favorable au projet de traité UE-Canada. Cela entraîne deux types de conséquences.

Tout d’abord, l’assentiment des eurodéputés a ouvert la phase de ratification du projet de traité dans les Etats membres. Ce sera la véritable épreuve de force pour le CETA car 1500 villes et communes européennes se sont déclarées hors TTIP/CETA et des sondages d’opinion révélaient à l’automne dernier qu’une majorité d’Autrichiens, Français, Allemands et Slovènes, pour ne citer que ceux-là, étaient opposés au texte.

Une grande partie de l’opinion publique se sent désavouée par le vote du Parlement européen et l’obstination des Etats membres à boucler l’accord. Si les parlements nationaux et régionaux faisaient également la sourde oreille au message qui vient de la rue, le CETA pourrait gonfler les voiles des eurosceptiques (Front National, Geert Wilders et AFD) dans trois des pays fondateurs de l’UE où des élections se tiendront cette année (sans même parler de l’Italie où des élections anticipées qui pourraient confirmer la nette progression du populiste Beppe Grillo ne sont pas à exclure). Tandis que l’on s’apprête à célébrer en mai les 60 ans de Traité fondateur de Rome, les conséquences seraient désastreuses pour le futur du projet européen.

Ensuite, les dispositions du texte n’impliquant que les compétences européennes comme l’accès préférentiel au marché, la réduction des droits de douane et l’élimination de certaines barrières « techniques » au commerce entreront provisoirement en vigueur à compter de ce mois de mars.

Affaire(s) à suivre

La clause de règlements des différends entre investisseurs privés et Etats ne s’appliquera pas tant que le CETA n’aura pas été ratifié par tous les pays. Mais avant cela et en conséquence de la saga wallonne autour du CETA et de la déclaration belge qui en a résulté, le gouvernement fédéral doit encore demander un avis à la Cour Européenne de Justice au sujet de la compatibilité de cette clause avec les traités européens. Et cela prendra un certain temps car, dans une affaire similaire (UE-Singapour), plus de deux ans ont passé entre la saisine de la Cour et les conclusions de l’avocat général (la Cour n’a pas encore rendu son avis).

Par ailleurs, alors que s’enclenche la phase des ratifications nationales, une autre procédure se déroule en parallèle et conformément aux engagements pris dans l’ « instrument interprétatif conjoint » : l’UE et le Canada doivent élaborer ensemble un code de conduite pour garantir de l’impartialité des membres des tribunaux d’arbitrage. Ils clarifieront aussi la méthodologie sous-jacente à leur rémunération et à leur sélection. Cet affinage des règles doit être bouclé d’ici à la pleine entrée en vigueur du CETA.

Ainsi, la suite du parcours du CETA donnera encore d’autres possibilités de mobilisation de la société civile et des mandataires politiques déterminés à faire en sorte que les intérêts privés de quelques multinationales n’étouffent pas l’intérêt général.

Mais, outre celui avec le CETA, une vingtaine d’accords sont en cours de négociation, voire en voie de conclusion et requièrent toute notre vigilance. Certes, le premier qui vient à l’esprit est le TTIP avec les Etats-Unis. Si son avenir est incertain depuis l’élection de Donald Trump, personne n’a officiellement prononcé son oraison funèbre. Donc, il ne faudrait pas l’enterrer trop vite. Le texte le plus avancé est certainement l’accord avec le Vietnam ; il fait l’objet d’une relecture juridique. Les négociations avec le Japon sont également en bonne voie si bien que l’objectif est de le conclure dans les premiers mois de cette année.

Depuis 2013, l’UE et la Chine cherchent à faire aboutir un accord d’investissements. Les Européens se présentent en position de faiblesse en raison du sous-investissement chronique qui les frappe et freinent la relance. Parce que leur politique d’austérité a fragilisé la demande intérieure et bridé les investissements publics, Ils ont cruellement besoin des liquidités dont regorge la Chine.

Après 21 rounds de négociations (dont vous n’avez sûrement jamais entendu parler), les 23 négociateurs dont l’UE (au nom des Vingt-huit) ont déjà bien avancé au point que la conclusion serait proche. Les travaux sont ici aussi en stand-by, en attentes de signaux de Trump.

Conclusions

Alors qu’elle va célébrer son soixantième anniversaire, l’UE est plus faible que jamais et son seul projet prend les apparences d’une vaine fuite en avant : plutôt que de consolider la maison européenne, la Commission et les Etats membres cherchent à conclure des accords tantôt avec la Turquie (pour la « gestion » des réfugiés), avec le Canada, voire les Etats-Unis (pour une improbable embellie économique). Et tout cela pour gagner moins de 0,1 % de produit intérieur brut dans le long terme (selon les quatre analyses d’impact économique justifiant l’ouverture des négociations). Cependant, il est plus probable qu’il faille déplorer la destruction de quelque 200.000 emplois ainsi qu’une étude de l’Université de Tufts nous mettait en garde.

Tout comme la directive Bolkestein qui visait à libéraliser le marché des services avait contribué au rejet du traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas, la ratification du CETA pourrait souffler sur les braises du populisme et de l’euroscepticisme. A l’heure actuelle, à peine 1 Européen sur 3 se dit confiant à l’égard de l’UE (Eurobaromètre Standard 86). Son entrée en vigueur serait une victoire à la Pyrrhus pour cette Commission qui se considère pourtant être « la Commission de la dernière chance ».

Le dernier argument massue des partisans du CETA consiste à dire que l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche nous oblige, Canadiens et Européens, à resserrer les coudes. Le raisonnement est fallacieux car Donald Trump est justement le produit de la mondialisation néolibérale qui se fait contre la majorité des citoyens qui se sentent démunis face aux multinationales sur lesquels les gouvernements ne semblent plus avoir de prises. Ce sont ces citoyens qui ont voulu renversé la table en portant Trump au pouvoir. L’acceptation du CETA aurait pour conséquence de rendre de plus en plus plausible ce type de scénario en Europe. Est-ce bien cela que nous voulons ?

Au XXIe siècle, le rôle de l’Europe, forte de ses atouts que sont notamment son marché unique et son pouvoir d’achat, doit être de réguler le commerce, protéger ses citoyen(ne)s et au-delà, veiller à ce que la poursuite des intérêts mercantiles ne ruine ni les gens ni la Planète. Elle en a les moyens, il lui manque la volonté.

Philippe Lamberts, eurodéputé Ecolo, co-Président du groupe des Verts/ALE

Bart Staes, eurodéputé Groen

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