Etienne Dujardin
Brexit : une gifle pour les élites, une chance pour l’Europe.
Malgré une campagne pour le maintien dans l’UE à laquelle étaient associés tous les secteurs de la société (majorité des partis politiques, nombreux médias, patronats, multinationales, et même plusieurs personnalités en tous genres d’Obama à Beckam), le peuple britannique a parlé. A lui seul, le score démontre le décalage qu’il peut y avoir entre les élites et les citoyens dans les priorités du quotidien.
Le peuple anglais a décidé souverainement de quitter l’Union européenne. On peut être pour ou contre ce choix, il ne demeure pas moins qu’il doit être respecté. Il est d’ailleurs assez étonnant de constater certaines réactions affolées des commentateurs le jour du scrutin : « journée noire pour l’Angleterre », « Londres sous le choc »… Comme s’il pouvait y avoir de bons ou de mauvais votes.
Ce résultat est lié à différents facteurs. D’une part, la campagne assez triste pour le « Remain ». Les seuls arguments des partisans du maintien dans l’UE étaient simplement d’ordre économique : attention, si vous ne votez pas pour le maintien, vous allez affaiblir le PIB, la place financière de la City sera moins attrayante… On a même entendu Ryanair menacer de renoncer à une partie de ses investissements chez nos amis anglais. Après le scrutin, certains arguments sont vite relativisés, certains propos démentant la catastrophe économique annoncée avant le scrutin. Le camp du Brexit n’a pas fait non plus une campagne dénuée de tout reproche en gonflant par exemple les sommes qui ne seraient plus versées au budget européen, mais reversées, en cas de victoire, aux soins de santé.
Le referendum britannique est évidemment une gifle adressée à une Europe technocratique manquant au gré du temps de démocratie. Une gifle à ceux qui n’ont jamais voulu exercer un droit d’inventaire sur la construction européenne. Une gifle à ceux qui trouvaient normal que l’Europe négocie des traités aussi importants que le TTIP en catimini. Une gifle à ceux qui considéraient qu’une révision des accords de Schengen était totalement impensable ou qui voulaient imposer des quotas de migrants à l’ensemble des pays malgré l’opposition de toutes les populations. Une gifle à ceux qui veulent toujours aller plus loin dans le projet européen en s’asseyant parfois sur le résultat de référendums (notamment en Irlande ou en France). On ne gouverne pas contre la volonté des peuples. C’est le meilleur moyen de faire montrer les extrêmes et d’encourager l’europhobie. Les citoyens ne sont pas pour autant plus intolérants qu’avant, mais on ne réalise simplement plus la politique qu’ils demandent.
L’Union européenne n’est malheureusement plus perçue comme un formidable projet fédérateur apportant une réelle plus-value dans différents secteurs comme l’économie, l’éducation, les transports… On est passé, par exemple, de la réussite du programme Erasmus à l’échec de la lutte contre le dumping social. Aujourd’hui, l’Europe est vue comme un monstre tentaculaire qui produit des tas de normes, de directives, de résolutions, de jurisprudences au détriment parfois de l’intérêt des citoyens européens. Les PME n’en peuvent plus de toutes les normes européennes qui compliquent leur marché. Alors que la mondialisation fait de plus en plus peur à différents secteurs, l’Europe ne parvient pas à être un espace protecteur de ses entreprises ou de ses citoyens. Au contraire, elle se profile, à tort ou à raison, comme l’instrument de certaines multinationales.
Le Brexit est une chance pour l’Union européenne qui ne progresse que de crise en crise depuis sa création
La crise actuelle est cependant plus grave que d’autres et pourrait anéantir le projet européen si on n’en tire pas de vraies leçons. Le citoyen n’est pas contre l’Europe, mais désire une autre Europe : une Europe qui protège tant sur le plan économique, social, que sur le plan migratoire et qui n’a pas peur de défendre ses racines et son identité. Une Europe qui donne du souffle sur le plan culturel, qui casse les barrières en matière d’enseignement, qui additionne les énergies sur le volet du développement et de la recherche.
Le Général de Gaulle avait vu juste lorsqu’il avait refusé deux fois l’entrée des Britanniques dans la Communauté économique européenne. On ne peut pas dire que nos amis anglais ont beaucoup aidé à construire le projet européen depuis leur entrée. À chaque avancée, soit ils la freinaient soit ils ne voulaient pas l’intégrer. Leur départ peut devenir une énorme aubaine pour l’Union européenne en vue de reconstruire un grand projet. L’Angleterre ne partira cependant pas si vite. L’enclenchement de l’article 50 du Traité de Lisbonne ne va pas être immédiat et le divorce sera long à négocier. On parle déjà de multiples accords de coopération qui pourraient être signés afin de pouvoir garder des rapports extrêmement étroits et faciliter la vie de nos économies respectives.
Je suis totalement en phase avec Jacques Attali lorsqu’il déclare : « Il faut écouter ce que disent les peuples. Or ceux-ci réclament une Europe plus démocratique, plus sociale, davantage consciente de l’intérêt des gens et moins centrée sur les élites« .
Les Anglais ont envoyé un dernier coup de semonce. Le projet européen peut être sauvé, mais il doit changer de gouvernance et ne pas oublier qu’il est là pour les peuples. Si cette crise peut apporter un véritable changement, le projet européen pourra être préservé et en sortira certainement renforcé.
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