« La ruche à robinet n’est pas adaptée au métabolisme des abeilles »
Nous vous parlions début de semaine de la ruche à robinet, qui permet, selon ses concepteurs, de récolter le miel facilement et de ne pas déranger les abeilles lors de la récolte. Le projet, publié sur une plateforme de financement participatif, atteint désormais 3,5 millions de dollars. Nous avons posé trois questions à Simonpierre Delorme, apiculteur et éthologue, qui ne voit pas forcément cette invention d’un bon oeil.
Vous pensez que la ruche à robinet n’est pas forcément une bonne idée, pourquoi ?
Cela force les abeilles à faire quelque chose qui n’est pas dans leur métabolisme, ce n’est pas sain. Une abeille change de fonction au cours de sa vie. Si on l’empêche de remplir correctement ces fonctions, notamment les fonctions glandulaires, cela peut raccourcir sa vie. Les abeilles sont programmées pour produire de la cire à une certaine époque de leur vie. Les abeilles « cirières » ont besoin de produire leur cire. Si on ne leur laisse pas assez de place pour qu’elles aient la chance de l’utiliser, cela va pousser les abeilles à l’essaimage (quand une partie des abeilles quittent la ruche avec une reine pour former une nouvelle colonie). Ce n’est pas vraiment une bonne chose pour l’apiculteur, ce n’est pas rentable, même si c’est une meilleure solution pour les abeilles.
Les apiculteurs sont des petits bricoleurs. Certains ont déjà aussi essayé de fournir des matières en plastique pour constituer la ruche, comme un cadre plus facile et nettoyable. La ruche à robinet, au fond, c’est ingénieux et amusant. Mais ce qui me dérange le plus, c’est la campagne et trois millions de dollars récoltés jusqu’à présent. Les abeilles sont à la mode et c’est un moyen de se faire de l’argent. C’est bien de vouloir protéger les abeilles, mais s’ils avaient inventé quelque chose pour protéger un animal moins connu, il n’y aurait pas eu, je pense, autant d’engouement.
Selon vous, l’argument « ne pas déranger et stresser les abeilles » n’a pas vraiment de valeurs. Pouvez-vous nous expliquer ?
Il y a beaucoup de choses qui peuvent stresser une abeille, mais depuis quand une récolte serait-elle dangereuse ? Il y a des moyens que l’on peut utiliser pour ne pas stresser les abeilles lors de la récolte du miel. On peut par exemple utiliser un « chasse-abeilles ». On le place la veille entre la hausse à miel qu’on devra récolter et le corps de ruche. C’est une sorte de nasse qui fait que les abeilles descendues le soir ne puissent plus remonter le lendemain. On pourra donc enlever la hausse et récolter le miel sans gêner ni stresser personne.
Concernant une récolte du miel au robinet et qui se ferait continuellement au fur et à mesure de la production, ce n’est pas vrai. Le miel doit atteindre un certain niveau de séchage pour que les cellules soient operculées avec un couvercle de cire. Lorsque les cellules seront vidées, les inventeurs du Flow Hive postulent que l’abeille va casser l’opercule pour recommencer l’opération. Pour moi, ce n’est pas plausible. Et j’y verrai volontiers une source de stress pour la colonie.
La Flow Hive, selon ses concepteurs, est un moyen facile de récolter du miel. Ils veulent par-là faciliter le travail des apiculteurs professionnels, mais aussi donner la chance à des non-professionnels d’avoir leur propre ruche, leur propre miel tout en donnant un abri aux abeilles. Est-ce que c’est crédible ?
Non. Donner un abri aux abeilles est à la portée de n’importe quel individu motivé. Mais même si certaines abeilles sont qualifiées de « domestiques », c’est un insecte sauvage qui peut être dangereux. Si vous bousculez une ruche et que vous la faites tomber, elle peut contenir 30 000 à 70 000 abeilles, il y a peut-être 10 000 d’entre elles qui vont en sortir, vous avez intérêt à courir.
Ce n’est pas impossible pour un amateur d’avoir une ruche, mais c’est quelque chose qu’il faut apprendre. Il faut apprendre à manier les abeilles avec précaution et à les respecter. Les abeilles ne piquent que quand elles se sentent menacées. Cela dit, le chien va mordre ou le cheval va donner un coup de pied aussi s’il se sent en danger. Avec les abeilles, il faut apprendre la BA-ba, mais aussi apprendre à l’usage. Elles ont un odorat très développé par exemple, et peuvent réagir à une odeur en particulier.
Par Olivia Lepropre
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