Un « véritable régime pénitentiaire » imposé aux demandeurs d’asile?
Le vice-premier ministre N-VA, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Jan Jambon propose mardi à l’occasion d’une journée d’étude de l’Office des étrangers, un accord-cadre et un protocole sur la sécurité dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile. Ses propositions, et notamment le port d’un badge d’identification par les réfugiés, font grincer des dents.
L’objectif est de réaliser une analyse des risques et de parfaire l’échange d’informations, a expliqué mardi le ministre N-VA sur Matin Première (RTBF). « La police locale doit faire l’analyse des risques et au niveau fédéral, on leur fournit les données sur base des screenings de chaque réfugié à la source », a-t-il précisé.
Chaque réfugié inscrit dans un centre se verra remettre un « badge d’identification », avec photo, nom et adresse du centre d’asile. Les résidents ne peuvent être contraints de porter leur badge mais ils seront « exhortés » à le faire, a précisé M. Jambon, également interrogé sur la VRT. Il y va de leur intérêt, a-t-il commenté.
Les autorités entendent régler l’accès au centre d’asile, pour les réfugiés (ils doivent porter leur badge) mais également pour les visiteurs. Ceux-ci devront également s’enregistrer, sans toutefois préciser à qui ils rendent visite, ce qui serait contraire à la loi sur la protection de la vie privée.
Enfin, dernier élément du protocole, la police reçoit les mêmes droits que lorsqu’elle ambitionne d' »infiltrer » une maison privée. « Il s’agira des mêmes droits et restrictions », a précisé le ministre. Pas question donc de perquisition systématique sans raison.
Les textes limitent le soutien et le recours à la police fédérale aux opérations de lutte contre le trafic d’êtres humains et à la protection des centres d’asile.
Les associations de défense des droits de l’homme s’inquiètent de voir un véritable « régime pénitentiaire » s’imposer aux demandeurs d’asile. « Protéger les #demandeursdasile ou les désigner à la vindicte populaire? l’analyse des risques de #Jambon dérape », a notamment estimé mardi sur Twitter le directeur d’Amnesty International en Belgique, Philippe Hensmans.
« Une politique de sécurité, c’est toujours la balance entre les respect de la vie privée et la garantie de la sécurité ». Il n’y a pas de statut d’exception pour les centres d’asile, « c’est du bon sens », a répliqué Jan Jambon.
La nécessité de prévoir un protocole entre les centres, les autorités fédérales et la police locale avait été évoquée après les annonces du bourgmestre de Coxyde de mise en place d’un régime coercitif dans le centre d’asile de sa commune.
Le cadre pour la sécurité dans les centres d’accueil « illégal » et « démesuré »
La Ligue des Droits de l’Homme, par la voix de son président Alexis Deswaef, dénonce mardi « avec force » la proposition « abjecte et illégale » du ministre de l’Intérieur de remettre à chaque réfugié inscrit dans un centre d’accueil un badge d’identification, avec photo, nom et adresse du centre d’asile.
« Le port d’un badge identifiable dans la rue, si c’est bien ce qui est proposé, cela devient démesuré », ajoute le Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). Amnesty International parle également de « stigmatisation ». « A aucun moment, nous n’avons demandé le port d’un badge visible », précise de son côté la porte-parole du ministre de l’Intérieur.
« Devront-ils le porter autour du cou? Dans le portefeuille? », s’interroge la Ligue. « C’est absolument abject ce qu’il propose. Ce comportement illégal et irresponsable a tendance à criminaliser le réfugié. Ce n’est pas agir dans leur propre intérêt, contrairement à ce que dit sournoisement Jan Jambon », réagit Alexis Deswaef. « Au lieu de répondre à l’inquiétude du citoyen, de lui expliquer que c’est notre devoir d’accueillir » les réfugiés, « on souffle sur les braises, on joue sur les craintes. C’est la définition même du populisme! »
Ces propositions « vont dans la lignée des décisions du bourgmestre de Coxyde » de mener un contrôle plus strict des demandeurs d’asile. « On considère le réfugié comme un criminel, qu’il faut donc traiter comme un prisonnier. Mais on ne peut pas leur imposer un régime carcéral où on peut fouiller leur chambrée », s’insurge le président de la Ligue des Droits de l’Homme.
« Nous sommes très gênés par ces propos », a déclaré Caroline Intrand, co-directrice du Ciré. « On ne voit pas pourquoi il faut un nouvel accord-cadre. » Les mesures telles que le port d’un badge « rajoutent à la stigmatisation, à la criminalisation, alors que c’est l’inverse qu’il faut faire. On est dans l’accueil. Est-ce qu’on peut nous expliquer en quoi ces personnes sont dangereuses? »
« Il s’agit d’un badge à avoir avec soi, comme sa carte d’identité »
« Il y a une surenchère. On veut faire croire qu’il y a un danger quelque part, pour pouvoir faire croire que l’on maîtrise ce danger. (…) Ce type de comportement dresse les populations les unes contre les autres », déplore encore Caroline Intrand.
« La première chose qui est frappante, c’est que la mise en place de telles mesures n’a pas été nécessaire par exemple en 2000, alors qu’il y avait » plus de 42.000 réfugiés en Belgique, s’étonne Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. De plus, quand M. Jambon « parle d’analyse de risques, ce n’est pas par rapport à d’éventuelles attaques des centres par des personnes extérieures mais par rapport aux gens qui s’y trouvent ». Or, ce devrait être le contraire, pour Philippe Hensmans, puisque « les derniers faits connus en Europe concernaient des attaques de centres de demandeurs d’asile par des personnes d’extrême droite » notamment. « On stigmatise » les réfugiés. « Au lieu de se dire: ‘comment faire en sorte que cela se passe bien’, on dit: ‘faites attention, ces gens sont dangereux’, et c’est ça qui est triste avec cette manière d’annoncer » du ministre.
« Il s’agit d’un badge à avoir avec soi, comme sa carte d’identité. (…) A aucun moment nous n’avons demandé un port visible » autour du cou, précise mardi le cabinet Jambon. « Jusqu’à présent, quand un demandeur d’asile introduit sa demande, il reçoit un document sur lequel il n’y a pas de photo, juste son nom ». Lors d’un contrôle, rien « ne prouve donc que la personne » qui détient le document est celle dont le nom est mentionné. « C’est dans l’intérêt de tout le monde » et cela pourra éviter un travail de recherche inutile par la police en cas de contrôle, selon la porte-parole du ministre.