© La Défense

Un sous-marin russe devant la côte belge pour la première fois depuis la chute du mur

Le Vif

« Lors d’une matinée de tempête du mois de novembre 2015, un sous-marin russe est passé devant la côte belge. On avait plus vu ça depuis un quart de siècle » nous dit Carl Gillis, qui dirige le département de soutien de la Marine. Interview.

Au temps de la guerre froide, la chose n’était pas rare : les membres de l’OTAN organisaient des manoeuvres en mer et la Russie envoyait des sous-marins. Après la chute du mur de Berlin, les Russes ont disparu des régions sous l’égide de l’OTAN. De la partie sud de la mer Baltique en passant par la mer du Nord ou la Méditerranée, plus la moindre trace de sous-marin russe.

« La flotte russe ne sortait plus guère. Les bateaux étaient en mauvais état et le personnel peu formé. Ce temps est clairement révolu. » nous dit Carl Gillis. « La présence russe est aujourd’hui surtout perceptible dans la mer Baltique, mais elle s’étend aussi vers la mer Noire, la Méditerranée et jusque dans nos eaux territoriales. La Russie n’est pas seulement présente de manière plus assertive dans les airs, elle l’est aussi dans l’eau. Voir surgir ce sous-marin russe de près de 70 mètres n’a donc pas été un véritable choc. Surtout que nos alliés de l’OTAN nous avaient prévenus qu’un navire était en route.

Comment avez-vous réagi face à ce scénario digne d’un James Bond ?

Durant la guerre froide, nous avions des procédures pour espionner les sous-marins dans nos eaux territoriales. Nous les avons simplement sortis du tiroir. L’un de nos navires de patrouille, le Castor, l’a escorté à bonne distance. Le sous-marin a mis une demi-journée pour traverser la côte belge. Il était très lent à cause d’une météo capricieuse.

Les sous-marins sont connus pour leur « invisibilité », ne sont-ils pas du coup plus difficile à tracer ?

Dans ce cas-ci, pas vraiment puisqu’il était à la surface lors de sa présence sur notre territoire. Il n’était cependant pas visible depuis la plage. Nous l’avons aperçu avec le téléobjectif du navire. Ils nous ont vus. Nous les avons vus. On s’est même fait des signes.

Pourquoi s’est-il montré ?

Le Canal est très étroit. C’est aussi l’un des passages les plus densément navigué au monde. Plus de 300.000 navires y passent chaque année. Pour leur sécurité, il n’était pas facile de rester immergé. C’est un peu comme si un piéton traversait une autoroute. En plus, les Russes ont le droit d’emprunter ce passage même sans s’annoncer puisque le Canal relie deux zones maritimes. Il a ensuite poursuivi sa route vers la Méditerranée où il a sans doute tiré des roquettes à portée longue sur la Syrie. Depuis l’été dernier, pas moins de 7 navires russes ont été aperçus le long de nos côtes. Plutôt que de faire un détour, ils choisissent la voie la plus courte. Les Russes ne présentent pas une menace directe. Pour l’instant, ils veulent surtout montrer qu’ils sont de retour ainsi que leur montée en puissance. Voir des navires de guerre lourdement armée devant nos côtes risque bien de devenir une habitude. Ce qui n’empêche pas de rester vigilants.

Cette présence vous surprend ?

Oui, surtout par la vitesse avec laquelle les choses ont évolué. La Russie est en train de moderniser sa flotte de façon spectaculaire. Elle veut atteindre la centaine de navires et un arsenal complet : armes nucléaires, torpilles et roquettes « longue distance », frégates, démineurs et destroyers.

Vu que la Russie est en guerre avec la Syrie, il est logique qu’elle envoie de navires dans la région, non ?

Pour l’instant, il y a près de 10 navires de guerre russes en Méditerranée. Ils sont là dans le cadre de la guerre avec la Syrie, mais aussi pour des raisons géopolitiques. On a découvert d’importants gisements de gaz et de pétrole dans ce territoire et Chypre, le Liban, Israël et l’Égypte veulent tous une part du gâteau. La Russie en tant que principale importatrice de gaz craint que ces nouveaux gisements fassent baisser les tarifs et réduisent de manière significative les revenus russes. Une partie de la stratégie russe pourrait donc être de provoquer l’insécurité dans la région afin que personne n’ait l’idée saugrenue d’explorer dès maintenant ces gisements.

Cette sortie n’est-elle pas juste un appel du pied au ministre ?

Nous avons gardé le silence durant des mois. Justement parce que les discussions autour d’un plan stratégique pour la marine étaient en cours. Maintenant que le ministre a pris la décision d’investir dans la marine, on peut enfin révéler cette histoire.

KRISTOF CLERIX

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