Carte blanche
Réconcilier écologie et politique, en démocratie
Un énième rapport du GIEC alarmant, une marche pour le climat interpellante, une COP24 décevante et des gilets jaunes saisissants. L’écologie est bel et bien au centre des préoccupations sociétales. Elle doit être au coeur des débats politiques. Elle ne peut plus être l’apanage d’un seul parti en Belgique. C’est une situation aussi néfaste pour notre environnement que pour notre démocratie.
Les scientifiques du GIEC sont formels : pour sauver les écosystèmes et préserver un environnement viable pour l’être humain, le monde a besoin de transformations radicales et rapides dans tous les domaines de notre société. Ils lancent un appel urgent aux décideurs, et particulièrement aux politiques. En Belgique, les dernières élections communales et la « vague verte » qui en a découlé ont donné un autre signal politique : les préoccupations écologiques se traduisent dans les urnes. Et dans les rues, au lancement de la COP24 en Pologne, 75 000 personnes manifestaient à Bruxelles pour sommer les dirigeants d’agir urgemment, pour le climat et notre environnement. Parallèlement, le mouvement des « gilets jaunes » prenait son essence dans la hausse des prix du carburant.
Aujourd’hui, les énergies s’échauffent. Le climat est électrique. L’environnement devient toxique. Dans ce bouillonnement glaçant, le politique met en jeu notre air s’il n’élucide pas l’enjeu de notre ère : l’écologie. Au-delà d’une « écologie politique », le monde a besoin de l’écologie en politique. Au-delà d’une idéologie unique, la démocratie a besoin de multiples idées logiques.
De l’écologie en politique
Le mot ‘écologie’ vient du grec ancien oikos (maison, habitat) et lógos (discours, réflexion) : c’est littéralement la réflexion sur l’habitat, le discours sur la maison (commune). Il est étroitement lié au terme ‘économie’, du grec oikos (maison) et nomos (gérer, administration) : la gestion de la maison (commune). Notre histoire a connu de multiples façons de gérer et d’administrer la communauté, la société. Les grandes idéologies politiques modernes proposent toutes une certaine vision de l’économie. De son côté, l’écologie, elle, a été occultée. Or, lorsque la gestion fait fi de la réflexion, lorsque l’administration rejette la discussion, la maison commune, sans fondation, s’effondre.
Sur la scène politique belge, pour narrer le récit de notre maison commune, un parti s’est permis d’imposer sa voix, en soliste, pour se faire le chantre de l’écologie, sans que personne ne s’en interroge en profondeur. Il n’est dès lors pas surprenant que ce parti soit le premier à surfer sur la vague verte. L’écologie est ainsi devenue l’apanage politique d’un parti : Ecolo (Groen). Chez les autres, on parle environnement, climat, énergie, mais on n’ose pas parler écologie, craignant de susciter un amalgame, écologie = Ecolo, qu’on a laissé s’installer. C’est comme si on pouvait parler d’entreprise, de finance, de fiscalité, de commerce, mais pas d’économie. Comme si, au fil des dernières décennies, on avait laissé la question de l’économie aux mains d’un seul parti, qui s’en serait en outre accaparé le dénominatif… Cela semble absurde, et qui plus est dangereux pour le débat public et, plus largement, la démocratie. L’écologie, comme l’économie, est une question structurelle qui mérite des réponses structurelles.
En politique, laisser un parti s’arroger le monopole d’un enjeu structurel est néfaste pour la démocratie, régime qui légitime la liberté de chacun à choisir les conditions politiques et sociales de son existence, exigeant ainsi une pluralité d’opinions, d’options et de propositions. L’absence ou le manque de pluralisme sur les enjeux structurels met à mal une société démocratique. La crise économique des années 2007-2008 et suivantes en est un exemple frappant : notre démocratie ne s’est toujours pas remise de la manière dont la crise a été « gérée » en Europe. Alors que les opinions publiques sont multiples, l’option politique y a été présentée comme unique : l’austérité. Et lorsqu’il était question de contester la doctrine de la rigueur, la réplique semblait intraitable : « there is no alternative ». Aucune discussion possible.
Aujourd’hui, alors même que les effets de la crise économique se font encore sentir, nous traversons une grave crise écologique, dont nous ne sommes pas certains de pouvoir sortir. Il apparait d’ailleurs assez clairement que les deux sont liées. « Et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », nous enseigne Antonio Gramsci, qui croyait fermement en la force des idéologies, l’importance de proposer des visions du monde lorsque l’avenir de celui-ci parait incertain. Le mouvement des gilets jaunes illustre très bien cette réflexion. Bien qu’il existe a posteriori une multitude de raisons qui peuvent expliquer son émergence, le facteur a priori déclencheur de la contestation jaune est le rejet de l’augmentation de la taxe sur les produits énergétiques. Ce mouvement, peu structuré et très hétéroclite, est révélateur d’une société fragilisée et d’une démocratie malade. La médiocrité des débats d’idées, la pénurie de projets de société et l’absence de véritables alternatives, auxquelles s’additionne la condescendance de certains dirigeants à l’égard d’une partie de la société civile et de leurs concitoyens, y compris sur la question de la transition énergétique, mène à la révolte.
De l’écologie en démocratie
Depuis sa création en 1980, force est de constater que le parti Ecolo a largement contribué à placer les questions écologiques plus au centre des débats politiques en Belgique. On peut certainement discuter du fond réel et des réalisations concrètes, mais le discours d’Ecolo, dans sa forme, a indéniablement marqué les politiques belges en matières climatiques, environnementales et énergétiques. Et ce parti a concentré une bonne partie des espoirs citoyens, en particulier chez les jeunes, par exemple lors des dernières élections communales, comme en témoignait récemment un néo-électeur dans La Libre.[1]
Oui, pour nous « les jeunes », nul doute que l’écologie doit être au coeur du débat démocratique, et faire figure de priorité absolue pour tout parti politique. Comme le dit très justement l’astrophysicien Aurélien Barrau, « de très nombreux autres combats sont légitimes, mais si celui-ci est perdu, aucun ne pourra plus être mené ». Or, pour les scientifiques du GIEC, « seule une volonté politique forte, au niveau international, pourra éventuellement infléchir le cours des choses ». Mais si l’objectif doit être commun (la préservation du monde), les moyens, les projets et les options doivent être diverses et le débat démocratique ne peut être occulté. Face à des déclarations de représentants d’Ecolo telles que « il n’y a pas d’écologie sans les écologistes » ou encore « les gens préfèrent l’originale à la copie », il convient de contester : « vous n’avez pas le monopole du vert »[2].
u003cstrongu003eLe discours d’Ecolo, dans sa forme, a indéniablement marqué les politiques belges en matières climatiques, environnementales et énergétiques. u003c/strongu003e
Tel est donc l’enjeu actuel : nous avons dès aujourd’hui et plus que jamais besoin d’une volonté politique forte, commune, de tous les niveaux de pouvoirs et à l’international, sur des engagements solides à tenir, des objectifs élevés à respecter. Ensuite, les très prochaines élections fédérales, régionales et européennes tombent à pic en Belgique. Tous les partis auront l’opportunité de présenter un programme politique ambitieux sur l’écologie. Espérons que, dans ce contexte, la campagne électorale permettra enfin d’avoir un véritable débat d’idées constructif, qui privilégie la raison à l’émotion et la pluralité à la mono-pensée.[3]
Finalement, même s’il faut reconnaitre que les partis traditionnels n’ont pas attendu le 10e rapport du GIEC pour verdir certaines de leurs actions et leurs décisions, il apparait clairement que la plupart de leurs approches, principalement sectorielles, se sont révélées jusqu’à présent insuffisantes. L’écologie ne peut être une variable d’ajustement. Il est désormais urgent pour les partis de repenser en profondeur leurs idéologies, leurs visions et leurs projets globaux pour demain, tout en assurant une plus large participation citoyenne. L’écologie doit véritablement être un leitmotiv, guidant de façon globale et cohérente les actions politiques, en étroite collaboration avec la société civile. Les citoyens pourront ainsi s’approprier plus sereinement divers projets politiques qui englobent résolument l’écologie, tout en cherchant ensemble le meilleur, pour le bien de notre planète, de notre humanité et de notre démocratie. Dans ces conditions, il pourra enfin être question d’écologie en politique, au sein d’une seine démocratie.
Une opinion de Simon-Pierre de Montpellier, 26 ans, diplômé en sciences politiques (UNamur, UCLouvain et Collège d’Europe), conseiller politique, membre des Jeunes cdH.
[1]« Écologistes, ne nous décevez pas ! »
[2] En référence à Valéry Giscard d’Estaing qui avait déclaré face à François Mitterrand, au cours du débat télévisé de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle française : « vous n’avez pas le monopole du coeur » (10 mai 1974).
[3] Dans un récent entretien de L’Echo, le Professeur Damien Ernst, distingué de la médaille Blondel, dénonçait « la mono-pensée » et le débat « particulièrement inintéressant » sur l’écologie actuellement.
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