Carte blanche
« Qui sommes-nous pour décider qu’un burkini est discriminatoire? »
« Il est terriblement dénigrant pour les musulmanes que l’on interdise, ‘pour leur propre bien’, une pratique à laquelle elles ne voient pas d’inconvénient » écrit Natan De Coster, étudiant en philosophie à l’Université de Gand. « Si un jour les musulmanes décident en masse d’abandonner leur voile, ce sera par conviction, et pas parce que l’homme blanc craintif le leur a imposé. »
« Restons sérieux. Le burkini est discriminatoire et contraire à l’égalité homme -femme. » Dans une opinion parue sur knack.be et levif.be, les parlementaires N-VA Hendrik Vuye et Veerle Wouters émettent une critique sévère à l’égard de la plainte du Centre pour l’Égalité des Chances contre l’interdiction du burkini à Anvers. Cependant, leur discours féministe cache une attitude beaucoup plus dénigrante pour les femmes que n’importe quelle consigne vestimentaire.
Le burkini discriminatoire?
Restons sérieux, il n’est pas du tout établi que le burkini (et par extension le voile) soit à ce point discriminatoire. Dans les pays comme l’Arabie saoudite et l’Iran où les femmes sont légalement obligées de couvrir leur corps et où les infractions sont sévèrement punies, il est clairement question de violation de l’égalité homme femme puisqu’il n’existe pas de norme vestimentaire comparable pour la partie masculine de la population. Cependant, en Belgique la situation est différente. Ici il n’y a pas de discrimination institutionnalisée en contradiction flagrante avec le principe d’égalité, mais les musulmanes de notre pays ont toutes sortes de raisons de se couvrir la tête et le corps, même s’il n’est pas à exclure qu’une minorité de femmes se résignent contre leur degré, sous pression de leur famille ou de leur communauté religieuse.
En revanche, pour beaucoup d’autres, c’est plus que jamais un choix volontaire, en témoignent des initiatives comme « Baas over eigen hoofd » (Maître de ma tête). Ce choix personnel peut être d’abord inspiré par la religion, mais peut être également une question de tradition absolument pas associée à la discrimination. Il est significatif que chaque fois que le voile est mis en cause, ce soient systématiquement les femmes qui défendent le droit de se voiler.
Inégalité
Que beaucoup de femmes ne vivent pas le port du voile ou du burkini comme une forme d’oppression ne prouve évidemment pas – en théorie du moins – qu’il n’y a pas d’inégalité entre les hommes et les femmes au sein de la culture musulmane. L’inégalité de fait et la perception de cette inégalité au sein de groupe concerné ne sont pas nécessairement liées. Elle remet en cause la pertinence et même la légitimité de plaintes contre le voile et le burkini depuis la culture dominante.
Une interdiction pour son propre bien?
Mettons que nous décidons tout de même que les voiles et les burkinis, ne serait-ce qu’au niveau purement théorique, sont contraires au principe d’égalité fondamental. Quelle serait alors la marche à suivre? Jusqu’à présent, l’approche conservatrice semble avoir été : condamner aussi fort que possible et là où c’est possible repousser le voile (ou le burkini) par la répression. « Je n’accepterai pas que les femmes doivent se cacher comme des êtres inférieurs sous un burkini » a déclaré l’échevin anversois aux Affaires sociales Fons Duchateau(N-VA). L’avis des musulmanes sur ce sujet ne semble pas important. Mais quel signal donne-t-on en condamnant le burkini ou le voile , contre la pratique de nombreuses musulmanes, comme un symbole de répression ?
En fait, l’échevin anversois ne dit rien d’autre que « Mesdames, même si vous ne le réalisez pas vous-même, vous êtes opprimées, et je ne peux l’admettre. » Cette attitude – l’idée que nous, esprits éclairés, déterminons ce qui est bien pour les autres – témoigne d’une arrogance choquante et d’un paternalisme qui, tout comme le colonialisme, aurait dû être enterré depuis longtemps.
Qui sommes-nous pour déterminer à la place de ces femmes que le voile ou le burkini est discriminatoire?
Il est terriblement dénigrant pour les musulmanes que l’on interdise une pratique à laquelle elles ne voient pas d’inconvénient. Comme si elles étaient des enfants. Qui sommes -nous, en tant que non-musulmans, pour déterminer à la place de ces femmes que le voile ou le burkini est discriminatoire ?
Pas une forme poussée de relativisme culturel
Ce n’est pas, comme le pensent Vuye et Wouters, une forme poussée de relativisme culturel, c’est uniquement une dose de respect nécessaire pour l’expérience culturelle de l’autre. Les femmes qui protestent contre la mesure anversoise n’ont pas d’agenda caché, elles n’oeuvrent pas pour l’adoption générale d’une obligation formelle de porter le voile et le burkini, mais uniquement pour le droit d’en porter un, par conviction personnelle. Si nous « autorisons » la voile ou le burkini, ce n’est pas forcément la fin du principe d’égalité comme valeur fondamentale. Au contraire, en n’optant pas pour la répression et en leur proposant un enseignement accessible, nous pouvons donner la possibilité aux musulmanes de décider elles-mêmes si elles doivent engager une lutte pour leur émancipation. Ce n’est, encore une fois, pas à l’homme blanc de s’en charger à leur place.
Néfaste pour l’intégration
D’un point de vue pragmatique aussi, il y a beaucoup à redire sur l’attitude paternaliste de Vuye, Wouters et Duchateau. Dans la réalité, très peu de musulmanes, uniquement à cause de cette mesure, ne se montreront plus dans les piscines publiques en maillot de bain « régulier ». En outre, sans leurs mères, les plus jeunes enfants n’auront plus accès aux piscines.
De cette façon, le seul résultat d’une mesure « bien intentionnée » et « favorable à l’égalité de la femme » minera les nombreux efforts fournis pour intégrer ce groupe dans les espaces publics urbains. Tout ce qu’on aura en imposant ce genre d’interdictions, c’est une aliénation plus poussée et une incompréhension mutuelle. Si les femmes musulmanes décidaient un jour en masse d’abandonner le voile, ce sera par conviction, et pas parce que l’homme blanc craintif le leur a imposé.
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