Quand le PS fait main basse sur l’administration bruxelloise
Nouveaux ministères, directions scindées, agents déplacés… Le « saucissonnage » de l’administration régionale décidé par le gouvernement Vervoort se concrétise. Une réforme jugée coûteuse et inutile en interne. Elle viserait surtout à caser des cabinettards.
Agents démotivés ou en burnout, maladies de longue durée, non-remplacement des départs… L’administration bruxelloise souffre, depuis plusieurs mois déjà, d’un profond malaise. On y parle aussi d’un management défaillant, d’une gestion des ressources humaines anémique et d’une arrivée mal préparée des compétences issues de la 6e réforme de l’Etat. C’est dans ce contexte morose que le gouvernement de Rudi Vervoort (PS) a décidé de créer sept nouvelles structures en dehors ou au sein du Service public régional de Bruxelles (SPRB), l’administration centrale : les SPRB fiscalité, urbanisme-patrimoine et fonction publique, l’Agence régionale pour l’entreprise et le commerce (Arec) et trois nouvelles directions générales. Il y aura donc, désormais, quatre ministères au lieu d’un seul, et la coordination régionale (logistique de l’administration) sera coupée en quatre (voir notre infographie plus bas).
D’après nos sources en interne, ce » saucissonnage » de l’administration régionale n’a fait qu’aggraver le mal-être des travailleurs. De fait, il touche surtout les services affectés par la restructuration. Celui de la fiscalité, devenu en janvier dernier un ministère à part entière, est secoué par des départs d’agents. La scission de Bruxelles développement urbain (BDU) inquiète aussi bien sa branche logement, maintenue au sein de l’administration, que les services de l’urbanisme et du patrimoine qui, dans quelques jours, deviennent un nouveau ministère. Ainsi, des fonctionnaires des services » transversaux » (communication, finances, ressources humaines, assistance juridique, informatique) ne savent pas encore de quel côté ils vont » basculer « . D’autres agents déplorent un nouveau déménagement, trois ans après le précédent.
« L’autorisation de politiser un max »
» Bruxelles a hérité de compétences fédérales sans avoir le personnel supplémentaire correspondant, souligne un fonctionnaire. Près de 200 collaborateurs en plus ont été demandés pour l’ensemble de l’administration. Or, Bruxelles finances et budget nous a avertis que les moyens manquent déjà pour financer les derniers recrutements de cette année, prévus dans le plan de 2015 ! » Zoé Genot, cheffe de groupe Ecolo au parlement bruxellois, s’indigne surtout de la clause qui prévoit, pendant deux ans, de déroger aux règles normales d’engagement, afin de » garantir le bon fonctionnement des ministères créés « . » Cela ressemble fort à une autorisation de politiser un max la fonction publique bruxelloise ! »
Pour l’heure, le gouvernement Vervoort, dont la communication sur le sujet est quasi inexistante, peine à convaincre ses fonctionnaires que la réforme apportera une réelle plus-value dans le traitement opérationnel des dossiers. De nouvelles entités sont constituées, mais les services sont transposés tels quels, sans questionner l’efficacité du processus et des relations entre les structures. » L’architecture du nouvel ensemble administratif est assez bizarre, estime Zoé Genot : il y aura deux ministères thématiques, la fiscalité et l’urbanisme, et deux autres transversaux, la fonction publique et ce qui reste du SPRB. » Pendant ce temps, la Flandre, elle, mène une politique en sens inverse : une dizaine d’années après avoir scindé son administration, elle réintègre ses services extérieurs en vue d’une rationalisation.
Quelle « révolution de gouvernance » ?
Ce « saucissonnage » de l’administration régionale n’a fait qu’aggraver le mal-être des travailleurs
» A Bruxelles, un audit aurait sans doute suffi pour diagnostiquer les difficultés des services et réorienter des collaborateurs « , relève une fonctionnaire. » Plutôt que de tenter d’apporter des solutions, Vervoort a complexifié l’usine à gaz et provoqué un vrai découragement chez les agents restants, accuse Zoé Genot. Pour lutter contre la dépression dans l’administration, on l’ampute ! A croire qu’on a laissé sciemment la situation pourrir pour légitimer le dépeçage de la bête et le partage du gâteau ! » Un chef de service est plus précis dans ses accusations : » Les deux « poids lourds » du gouvernement, le ministre-président socialiste Rudi Vervoort et son ministre des Finances, l’Open VLD Guy Vanhengel, mènent la danse en vue de placer à la tête des nouvelles structures des membres de leur cabinet. »
Oubliée, la » révolution de la gouvernance » annoncée par la majorité bruxelloise en début de législature ? Ne s’agissait-il pas de réduire le nombre d’acteurs opérationnels et institutionnels ? Fadila Laanan (PS), secrétaire d’Etat régionale à la fonction publique, nous assure que la réforme s’imposait : » Les citoyens, les entreprises et les associations en contact avec l’administration sont plus exigeants qu’autrefois. Il faut leur fournir un service d’une qualité au moins égale à celle du secteur privé. La réforme n’est pas seulement liée à la nécessité pour Bruxelles d’assumer les nouvelles compétences issues de la réforme de l’Etat fédéral. Elle vise aussi à faire face à la croissance démographique à Bruxelles, qui comptera près de 100 000 habitants en plus en 2025. Or, nous sommes confrontés à l’inefficacité du Selor fédéral, qui n’arrive pas à répondre à nos demandes de recrutement pour répondre à la charge de travail. Nous devons donc mettre sur pied notre propre Selor. »
Un agent de Bruxelles développement urbain (BDU), l’administration qui devient » Bruxelles logement » et perd au passage l’urbanisme et le patrimoine, signale que le dédoublement des services » contraint à recomposer les équipes, à reconstituer des services transversaux. Il faut aussi louer d’autres bureaux, faire réaliser de nouveaux logos, acheter du mobilier, des ordinateurs… Question qui tue : combien tout cela va-t-il coûter au contribuable ? » Fadila Laanan ne conteste pas que la réforme aura un coût : » L’idée du gouvernement est que l’opération n’ait pas d’impact budgétaire, mais pour gérer les nouvelles compétences, il faut bien engager du personnel et occuper de nouveaux bâtiments. » Christian Lamouline (CDH), secrétaire général de Bruxelles coordination régionale, confirme : » La création d’organes et de postes aura un impact budgétaire, mais nous pouvons développer des synergies entre administrations. »
Structures plus complexes
Que pense la secrétaire d’Etat de l’inquiétude des fonctionnaires ? » Nous devons renforcer notre communication interne, admet-elle. Il faut montrer aux agents que leur vie ne va pas connaître de changements fondamentaux. Les cas de burnout et d’absences de longue durée nous ont conduits à organiser, cette semaine, un séminaire sur le bien-être au travail. Les managers et responsables des ressources humaines échangent leurs bonnes pratiques. » Réaction dans l’un des services réformés : » Rien n’indique que nous subirons moins de stress et que nous travaillerons dans de meilleures conditions une fois la réorganisation achevée. »
Un agent ajoute : » Le public qui fait appel à nous risque de ne pas y gagner en clarté : la réforme rend les structures plus complexes, d’autant que plusieurs appellations changent. » Le procédé n’est pas nouveau : le gouvernement régional a multiplié ces dernières années les entités pararégionales et les a baptisées de nouveaux noms. L’ex-Société de développement pour la région (SDRB) est devenue citydev.brussels. Le Centre urbain et la Maison de l’énergie ont fusionné, début mars, sous la bannière homegrade.brussels. Le Bureau bruxellois de la planification (BBP), organisme d’intérêt public (OIP) créé en 2015, est appelé désormais perspective.brussels. Il regroupe l’asbl Agence de développement territorial (ADT), décrit comme un » fief socialiste « , et d’autres structures, soit pas moins de six postes de directeurs et une centaine d’agents, tous placés sous la tutelle directe de Rudi Vervoort.
La création en cours de nouveaux ministères semble suivre la même logique : la socialiste Bety Waknine, directrice de cabinet adjointe de Vervoort en charge du développement territorial, est promue, dès le 18 avril prochain, patronne de Bruxelles urbanisme et patrimoine (BUP), la nouvelle administration distincte du Service public régional de Bruxelles. » Sa désignation semble anticiper une mise en coupe réglée partisane « , avance Michel Legrand, du Gerfa, le Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative. » Avant même le terme du processus de sélection, auquel ont participé cinq ou six candidats issus du cabinet Vervoort ou de l’administration, il se murmurait que Bety Waknine serait l’heureuse élue « , affirme un fonctionnaire.
Le changement selon Bety Waknine
» Le jury a proposé deux noms parmi les candidats, dont le mien, et le gouvernement m’a choisie, nous explique Bety Waknine. La création du nouveau ministère, que je dirigerai, est directement liée à la réforme du CoBAT, le Code bruxellois de l’aménagement du territoire. Bruxelles urbanisme et patrimoine, structure plus petite, facilitera la mise en place de procédures plus souples pour accélérer les délais de réalisation de projets immobiliers. » La structure s’intégrera, précise-t-elle, à la » plateforme territoriale » dont font déjà partie deux entités externes, la Société d’aménagement urbaine (SAU) et le Bureau bruxellois de planification (BBP).
Pour le Gerfa, » il n’y a aucune justification pour créer ce nouveau ministère gérant les compétences de l’urbanisme, de la rénovation urbaine, des monuments et sites et de l’inspection en matière de patrimoine. » Officiellement, la création de BUP va » amplifier les collaborations entre ces services « . Une fonctionnaire du futur ministère dément : » Les agents chargés de ces compétences font déjà partie de la même administration et travaillent sur le même plateau, au CCN, le Centre de communications Nord. Leurs directeurs se rencontrent formellement chaque semaine, et informellement très régulièrement, vu leur proximité physique. En sera-t-il de même dans le futur immeuble ? » Bety Waknine évoque un déménagement du SPRB urbanisme et patrimoine en septembre-octobre au plus tôt, sans doute dans un immeuble proche de la gare Centrale.
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