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 » Qu’ils essaient de toucher au statut des syndicats ! « 

Olivier Mouton Journaliste

Avant la grande manifestation syndicale nationale, ce jeudi, Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB, et Marie-Hélène Ska, son homologue de la CSC, expliquent leur volonté de faire plier le gouvernement de centre-droit. Quitte à poursuivre longtemps leur mobilisation. Surtout si la suédoise touche au statut des syndicats.

Le vif.be : Pour réaliser votre cahier de revendications, il faudrait en fait une autre coalition au gouvernement fédéral, non ?

Marc Goblet : Ce n’est pas notre propos ! Je veux être clair, parce que j’en ai marre de ce doute : nous sommes dans des actions syndicales décidées en front commun, face à un gouvernement auquel on demande une vraie concertation, faute de quoi il créerait lui-même l’agitation et le chaos social. Il ne faut pas renverser les rôles ! Nous aurions préféré être dans la situation où l’on discuterait d’abord avec les employeurs, avant de voir avec le gouvernement, et pas être dans la situation dans laquelle on se trouve ! Mais si on ne fait pas au minimum ça, on ne peut plus se revendiquer comme un syndicat qui est un contre-pouvoir.

Ou le gouvernement prend conscience et change d’orientation, ou nous serons nous dans l’action. Un premier plan est décidé, on décidera ensuite s’il y a lieu de continuer ou pas.

> Marie-Hélène Ska : Quand je vois les assemblées que l’on organise pour le moment, parce qu’avant de passer à l’action nous avons convenu d’organiser une sensibilisation très forte, on sent bien que le danger, c’est une résignation des personnes qui n’osent plus s’exprimer en se disant « à quoi bon parce que notre voix ne compte plus ? » Notre boulot premier, c’est de représenter ceux qui n’ont pas de voix aujourd’hui parce qu’ils n’ont pas accès aux médias, qu’ils n’ont pas la capacité de se mettre en réseau…

C’est parfois un peu malheureux de la porter de cette manière-là parce que l’on aurait préféré que nos avertissements aient servi à quelque chose.

Les élections, ce n’est jamais qu’un moment dans la démocratie. On ne peut pas dire, certainement pas en 2014, on vote une fois tous les cinq ans et après, on a carte blanche pour avancer. On sent bien que si la démocratie est malade, c’est de ce manque de dialogue avec différentes composantes de la société. Nous voulons être aussi cet acteur qui met du lien, de l’huile dans les rouages. le message que l’on essaye de donner au gouvernement, c’est : osez faire confiance ! Plutôt de croire que vous avez découvert la lumière…

Ils pourraient dire aussi : osez faire confiance aux entreprises pour qu’elles créent de l’emploi.

M.-H. S. : On pourrait faire confiance aux entreprises si elles disaient elles-mêmes qu’il y a une chance que cela fonctionne. Mais elles disent elles-mêmes le contraire.

M. G. : Nous avons un passé derrière nous. cela fait des années que l’on ait des réductions de charges linéaires et que cela ne crée pas d’emplois. J’avais fait une analyse sur les années 2004-2008 à Liège, il y avait eu 643 millions d’euros de réductions de cotisations et de fiscalité. Or, il n’y a pas eu de créations d’emplois ni d’investissements, il y a deux postes qui ont augmenté, ceux des rémunérations hautes et les dividendes des actionnaires ; ça, c’est la réalité! Laissons à la concertation la possibilité de convertir cela en emplois… Que le politique s’occupe de faire de la politique !

Ce qui est désolant ici, et je n’ai pas peur de le dire très clairement avec mon expérience, c’est que les entrepreneurs ne se retrouvent pas dans la position de la FEB. Leur projet de société, c’est qu’ils vont rendre les gens de plus en plus individualistes, ils vont donner en marge de ces décisions.

Aujourd’hui, les travailleurs qui ont des revenus moyens ne s’en sortent déjà plus à la fin du mois. mais il n’y a que les politiques qui ne voient pas ça! Ils n’ont plus le contact voulu avec la population. Qu’ils écoutent ceux qui sont en contact avec les vrais ressentis de la population ! Ils disent qu’ils vont créer beaucoup d’emplois… C’est sûr qu’avec des emplois à une heure par semaine, on peut créer beaucoup d’emplois. La réalité, ce n’est pas ça.

M.-H. S. : Un rapport allemand qui vient de sortir explique combien des millions de personnes occupent des jobs à un euro et ne cotisent plus pour leurs retraites. Sauf que demain, en Allemagne, demain, on aura plus de retraites. Et on n’a plus augmenté les investissements, on a nourri la bulle financière et les fonds de pension américains. Ce sont les mêmes qui prônent l’austérité. C’est le serpent qui se mord la queue et cela, on le sait aujourd’hui avec cet exemple de l’Allemagne !

Nous ne sommes pas non plus dans une logique affirmant qu’il faut augmenter les salaires de 10 % par an, nous ne l’avons jamais dit. Ici, on est dans le registre de la provocation du « il n’y a pas d’alternative » alors qu’économiquement, on sait que cela ne fonctionne pas.

A un moment donné, les gens chez nous ne veulent plus des avertissements, ils veulent que cela bouge ! On ne va pas attendre cinq ans parce que ce n’est pas qu’un mauvais moment à passer….

C’est presque incontournable que cela passe par autre chose sur le plan politique. Certains affirment que cet attelage-là est ingérable en raison de la présence de la N-VA…

M.-H. S. : N’opposons pas non plus comme on le fait trop souvent les deux démocraties au Nord et au Sud. Les travailleurs vivent la même chose, au Nord comme au Sud, dans des conditions économiques différentes à Courtrai et à Hasselt, comme on le vit de façon différente entre Lasne et La Louvière. La trame reste celle d’une attaque contre le monde du travail dans sa globalité par rapport à d’autres sources de revenu. Il y a un populisme qui se développe, dangereux pour la démocratie. C’est aussi notre responsabilité de mettre en garde contre ce populisme-là. Le gouvernement devrait se rendre compte que nous faisons un travail d’éducation permanente.

Qu’avez-vous pensé de la campagne du PS et de son ton assez caricatural ?

M. G. : Je laisse la responsabilité au PS d’avoir mené sa campagne.

Vous étiez au courant ?

M. G. : Absolument pas. D’ailleurs, personne n’a été informé puisqu’au départ, la campagne a été lancée sans précision…

Oui, mais…

M. G. : Il faut arrêter avec les caricatures et croire que l’on est dans le secret des dieux. Ce n’est pas parce qu’on a des contacts qu’on nous demande notre avis. Je le dis avec la plus grande force. D’ailleurs, à titre personnel, à part qu’il faut arrêter de dire des choses qui ne sont pas correctes, on ne parle pas de suppression de l’index, cela marquait assez bien par rapport à une réalité. Le reste, c’est de la com’, chacun son métier.

Maintenant, j’aurais préféré que l’on focalise sur les décisions d’un gouvernement et pas sur deux partis. Je ne suis pas sûr que c’est le mieux pour aider.

Le débat de fond, que ce soit clair, c’est que nous sommes dans des actions syndicales, décidées dans notre indépendance syndicale, face à des mesures inacceptables pour les travailleurs et les allocataires sociaux que nous représentons. Et quels que soient les partis, les réactions auraient été les mêmes. Il faut que l’on arrête avec ça. Nous disons au gouvernement qu’il fait fausse route. Contrairement à ce qu’ils veulent faire croire, ils ne défendent que les détenteurs de capitaux. En Wallonie, les invests à participation publique compensent les carences du secteur privé ! C’est la réalité !

Après les dérapages, certains, comme la N-VA, veulent remettre en cause le statut des syndicats…

M. G. : Qu’ils mettent cette provocation en plus et on verra ! Christine Defraigne, présidente du Sénat, affirmait la semaine dernière qu’en 2007, elle avait déjà déposé une proposition de loi instaurant la responsabilité juridique des syndicats, qu’elle envisage une autre proposition. Si ils sont dans un schéma comme celui-là après toutes les provocations, qu’ils s’attendent à autre chose que de l’agitation sociale ! De même, s’ils s’attaquent au service minimum dans les services publics, il y aura une réaction de l’ensemble des secteurs. Ils baisseront le masque et on verra que c’est un gouvernement qui remet en cause les libertés, dans une logique sécuritaire. Il faut d’ailleurs s’inquiéter quand on voit que l’on parle d’un ministre de la Sécurité et de l’Intérieur.

Qu’ils essayent !

M.-H. S. : L’objectif de la N-VA, c’est de détruire tous les corps intermédiaires pour en arriver à une démocratie directe. On se cache derrière un paravent d’efficacité économique pour attaquer tout ce qui peut contrecarrer cette vision-là. Toute atteinte à la cohésion sociale est, in fine, une atteinte à la démocratie.

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