Philippe Reynaert: « Il faut un ministre wallon de la Culture »
A la veille du festival de Cannes, Philippe Reynaert, directeur de Wallimage, se félicite de la santé du cinéma francophone belge. Mais se dit « désespéré » par son manque de succès commercial. Il plaide donc pour une régionalisation.
Longtemps « Monsieur Cinéma » de la RTBF, Philippe Reynaert dirige depuis quinze ans Wallimage, le fonds public destiné à soutenir l’industrie cinématographique wallonne. Fier de ses nombreuses productions, des frères Dardenne à Dany Boon, cet esprit indépendant se lance à bras raccourcis dans un débat chaud : la régionalisation de la culture.
Il y a deux films belges francophones cette année à Cannes. Bon cru ?
En réalité, il y en a quatre. Deux majoritairement produits par la Belgique : les Dardenne en sélection officielle (avec La Fille inconnue) et Joachim Lafosse à la Quinzaine des réalisateurs (avec L’Economie du couple). Et deux minoritaires belges : Grave, un premier film français d’horreur tourné complètement à l’école vétérinaire de Liège, et, dans la sélection Un certain regard, La Tortue rouge, coproduction France-Wallonie-Japon dont je n’aurais jamais osé rêver. Un dessin animé fabriqué en grande partie dans les studios DreamWall à Marcinelle et sérieux candidat aux Oscars. Et il y a dans le pipeline des films dont je sais qu’ils iront à Venise ou Toronto. Nous avons accueillis cette année dans les Ardennes le tournage d’un film irlandais, Pilgrimage, avec les acteurs qui incarnent Captain America et le nouveau Spiderman. Pour un fonds wallon, dont le volant d’action est de 6 millions par an, c’est juste génial.
Vu les difficultés budgétaires de la Région wallonne, ce soutien au cinéma, c’est un pari ?
C’est un choix politique posé il y a quinze ans, avec pour modèle un fonds à Göteborg, en Suède, région marquée elle aussi par le déclin de l’acier et du charbon : on y produisait les Saab et les Volvo, puis tout a fermé. Cinq ans avant la Wallonie, la région de Göteborg a fait le pari de développer l’audiovisuel comme nouvelle filière d’emploi. Chez nous, La Palme d’or des frères Dardenne, en 1999, a été l’électrochoc : le gouvernement PS-MR-Ecolo a décidé ce fonds économique en vue de créer de l’emploi. Serge Kubla, ministre de tutelle, avait eu cette belle image : « Il y a du pétrole qui sort du sol et on le regarde couler vers Paris. » Mon boulot, depuis, c’est construire des raffineries. Au début, on a tâtonné parce qu’on n’avait aucune infrastructure cinématographique. Puis on a investi dans des films avec une obligation de territorialisation des dépenses : 100 % de l’argent reçu devait être investi en Wallonie. Les producteurs engageaient des comédiens, des techniciens… On a eu surtout des tournages. Et à la longue, des entreprises de service audiovisuelles sont venues s’installer. Aujourd’hui, les producteurs dépensent en Wallonie 400 % de ce qu’ils reçoivent. Ça signifie que nous sommes devenus budgétairement neutres pour la collectivité. Le fédéral a soutenu notre modèle en développant le tax-shelter, qui encourage les investissements du secteur privé. Nous sommes donc devenus hyperattractifs, avec des milliers d’emplois créés à Liège, à Marcinelle ou Genval. Sans oublier un bénéfice d’image impossible à quantifier, mais énorme.
Par contre, le cinéma wallon peine à trouver son public alors que le cinéma flamand explose…
D’abord, parce qu’on vit à côté d’un grand pays, la France, où l’on produit 250 films par an, avec un succès important chez nous. Une blague circule dans le milieu : si un film belge fait 50 000 entrées, on débouche le champagne côté francophone tandis que le réalisateur se pend côté flamand. Il y a là-bas une forme de réflexe identitaire avec des films qui dépassent le million d’entrées. Chez nous, les derniers Joachim Lafosse et Bouli Lanners n’ont pas dépassé les 10 000 entrées ! C’est désespérant… La deuxième raison, peut-être la plus importante, c’est notre absence totale de fierté. En fait, nous payons notre millefeuille institutionnel. En Flandre, ils ont fusionné immédiatement la Communauté et la Région. Chez nous, on l’a appelé « Communauté française » : si on voulait tuer tout de suite l’idée qu’il y a une culture belge francophone, on ne pouvait pas faire mieux. Aujourd’hui on parle de « Fédération Wallonie-Bruxelles », mais une fédération ça ne se décrète pas, ça vient quand il y a la volonté de travailler ensemble. Mes amis wallons disent que cette Fédération, c’est pour les Bruxellois et les Bruxellois disent que ce n’est que du fric pour Mons 2015. Ils ont tort, mais la perception est là. Personne ne dit : « Je suis un fédéré. » Enfin, on paie le fait que la Wallonie est la seule institution qui n’ait, dans les faits, pas le droit institutionnel à la culture.
Vous avez dit, lors du Chantier des idées du PS, qu’il faut un ministre wallon de la Culture…
Oui. Qu’on l’appelle « ministre » ou autrement, je m’en fous, mais c’est une nécessité.
En quoi serait-ce une solution ?
Il faut quelqu’un qui plante son drapeau sur une colline en Wallonie en disant : « J’incarne la culture wallonne, ralliez-vous à mon drapeau. » Les gens du secteur n’attendent que ça… Prenez les frères David et Fabrice Murgia. Ce sont deux génies, deux personnalités internationales, mais si on leur donne du boulot dans le théâtre, c’est au National, à Bruxelles. Il y a une sorte de fatalisme : quand il y a du talent en Wallonie, on estime qu’il faut leur donner un travail « sérieux » à Bruxelles. Pourquoi ? Heureusement que les frères Dardenne ont toujours prétendu qu’ils ne pouvaient pas filmer en-dehors de Seraing.
Ce débat sur la régionalisation de la culture et l’enseignement est-il relayé politiquement ?
On le relance tous les dix ans et puis rien ne se passe. Bien sûr, il faut être patient. Mais je suis dans une certaine urgence : j’ai 60 ans et l’image de la Belgique est lamentable.
Une Belgique des Régions changerait cette perception ?
Elle permettrait une revendication culturelle de la Belgique, ancrée dans ses territoires ! Je suis persuadé que miser sur la culture est la seule manière de traverser la période catastrophique que l’on vit pour l’instant. Tous les pays d’Europe sont dans une phase de régionalisation, c’est un mouvement de fond qui est enclenché et nous sommes les seuls à avoir inventé cet étage intermédiaire pour incarner la solidarité entre francophones face à la Flandre. Mais dans la mesure où ni les Bruxellois ni les Wallons n’en veulent, pourquoi persister ?
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