Bruno Tobback
« Monsieur De Wever, le racisme est un problème de ce siècle »
« Puis-je m’occuper des problèmes de ce siècle? » C’est une question que le président de la N-VA s’est posée le week-end dernier. Eh bien, monsieur De Wever, le racisme en fait partie.
Seulement, le poison du racisme est souvent invisible. Du moins, jusqu’à ce que quelques esprits à la plume enlevée nous le rappellent à l’aide d’une histoire poignante qui cache des centaines d’autres histoires poignantes, des histoires quotidiennes de personnes qui ne possèdent ni la voix ni la plume pour s’exprimer. Des centaines de personnes qui avalent tout ça sagement et qui, tant bien que mal, essaient de poursuivre leurs occupations journalières.
Ainsi l' »opinion nègre » du journaliste de la VRT, Peter Verlinden, parue juste avant l’été a fait beaucoup de bruit. Pour rappel , la maison de Verlinden avait été taguée de mot « nègre » parce qu’il est marié avec une femme noire. Le week-end dernier, Saskia De Coster a fait de même dans une lettre ouverte dans laquelle elle dénonce le comportement raciste d’une accompagnatrice de train à l’égard d’un couple congolais.
Et ainsi, voyez-vous monsieur De Wever, nous sommes loin d’en avoir terminé avec le racisme, même en 2014. On ne réduit pas de telles histoires à un petit jeu politique entre majorité et opposition. Toute déclaration qui minimise le problème ou le balaie du revers de la main constitue une erreur fondamentale. « Oui, mais, ce n’est pas ce qu’il (ou elle dans le cas de l’accompagnatrice de la SNCB) voulait dire » est un classique du genre. Suivi de « Ah, présentez simplement vos excuses et l’affaire sera close » comme vous, monsieur De Wever, l’avez conseillé depuis la Chine à Theo Francken après sa publication Facebook de 2011 (ce siècle-ci !) sur la plus-value économique des Marocains et d’autres immigrés de notre pays. Dans un entretien accordé au journal Het Laatste Nieuws, vous allez même plus loin en prétendant que les excuses de Francken avaient surtout pour but de « faire cesser l’histoire gênante, qui devenait difficile pour le MR ». En d’autres termes, les excuses étaient plus politiques que sincères dans le but de calmer les esprits. Vous y avez ajouté une petite phrase anodine en apparence : « car nous ne nous faisons pas accroire de problèmes ». Et c’est ainsi qu’on tombe de plus en plus bas.
Le racisme ne se réduit pas à un jeu politique. Au 21e siècle les faits, que voici, le contredisent.
1. Comment expliquer qu’à peine 40 % des personnes nées hors Union européenne aient du travail en Belgique alors que le taux d’emploi des gens d’origine belge s’élève à 74,2 % ? Un quart des personnes issues d’un état membre candidat de l’Union européenne (la Macédoine, la Turquie et la Croatie) sont sans emploi alors que le taux de chômage parmi les Belges autochtones n’est que de 5,9 %. C’est ce que révèle le rapport du monitoring socio-économique du SPF Emploi et du Centre pour l’égalité des chances. Ces instances expliquent les causes par la structure du marché de l’emploi, mais aussi par « la discrimination directe et indirecte ».
2. La fameuse thèse de doctorat de Stijn Baert de l’Université de Gand révèle que le passage lent et très pénible de l’école au boulot parmi les allochtones « s’explique surtout par des facteurs purement ethniques ». Si l’origine sociale n’est pratiquement plus un critère de discrimination, la couleur de peau et le milieu culturel et religieux jouent un rôle important. De la discrimination, donc, monsieur De Wever.
3. Le test de correspondance de l’université de Gand constitue une autre illustration flagrante de cette discrimination. Les chercheurs ont mis en place 376 paires de sollicitations fictives composées d’un nom flamand et d’un nom turc. Il s’est avéré que bien qu’ils disposaient de qualifications égales, les candidats fictifs turcs devaient envoyer deux fois plus de sollicitations avant d’être invités à se présenter pour un emploi non critique.
Si aucune de ces études ne démontre que les employeurs adoptent un comportement raciste délibéré ou malveillant, elles prouvent que les préjugés jouent un rôle et qu’il existe un racisme latent. Épargnez-moi donc, s’il vous plaît, le débat de façade entre le racisme et la liberté d’expression, entre une politique d’immigration ratée ou non. Les faits sont ce qu’ils sont. Les balayer d’un revers de la main est non seulement immoral, mais nuisible à la croissance de la société. Traitez les problèmes du 21e siècle en maximalisant la plus-value économique des gens au lieu de la minimiser à chaque fois.
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