« Lutter contre la radicalisation, c’est comme administrer du paracétamol contre la fièvre »
Pour l’expert en terrorisme, Rik Coolsaet, la politique belge antiterroriste n’est pas au point. « C’est une erreur de considérer les djihadistes partis en Syrie comme des fanas religieux. La lutte contre la radicalisation ne peut être une lutte contre une idéologie ». Il avance quatre principes à respecter dans l’approche de la radicalisation.
« La façon dont les politiques gèrent la problématique des djihadistes partis en Syrie, m’inquiète fort », déclare le politologue et expert en terrorisme Rik Coolsaet (Université de Gand). « J’observe beaucoup d’écoute et de bonnes intentions auprès de l’accompagnement social et des services de sécurité, mais pas en politique. Depuis les attentats de Paris et de Bruxelles, les politiques veulent surtout prouver qu’ils sont sur le coup. Ils ne se demandent pas si ces mesures antiterroristes donnent des résultats. » Coolsaet, qui participera à une conférence d’experts en terrorisme à Paris le 1er juillet, avance quatre principes à respecter dans la lutte contre le djihadiste.
1. La radicalisation n’est pas une maladie, mais un symptôme
RIK COOLSAET: Quand un jeune se radicalise, on y voit toujours une responsabilité individuelle. Nous refusons de reconnaître que c’est surtout le contexte sociétal qui favorise la radicalisation. Et celui-ci est différent partout. Ce n’est pas l’idéologie qui est à l’origine de la radicalisation, mais le contexte : la famille, les amis, le quartier, les frustrations personnelles, l’échec à trouver une position digne dans la société. Aussi est-ce le plus grand défi quand quelqu’un s’est radicalisé : une fois qu’il a retrouvé sa vie d’avant, il risque fort de rechuter.
Lutter contre la radicalisation, c’est comme administrer du paracétamol contre la fièvre: on se sent mieux pendant un moment, mais tant qu’on n’a pas trouvé la cause, la fièvre revient. Beaucoup de prétendues mesures de déradicalisation sont parfaitement inutiles. Prenez la proposition de retirer la nationalité belge aux djihadistes ou de confisquer les passeports aux jeunes qui ont l’intention de partir combattre à ‘étranger. C’est lutter contre les symptômes.
J’aime bien comparer la situation à l’approche des attentats terroristes en Irlande du Nord : quand les Britanniques menaient des opérations antiterroristes contre l’Irish Republican Army (IRA), aucun agent britannique n’a jamais essayé de détourner un membre de l’IRA de son idéologie.
2. Ce n’est pas l’islam
COOLSAET: C’est une erreur de considérer les combattants étrangers comme des fanas religieux. En fait, ils adoptent tout simplement un comportement déviant. Ce sont tous des jeunes hommes aux connaissances islamiques très superficielles qui se sont retrouvés en Syrie. Ils ont des profils qu’on retrouve parmi les bandes de rues, les trafiquants de drogue et d’armes. Pour la plupart d’entre eux, le djihadisme était une espèce de prolongation de leur carrière criminelle. Si l’État islamique est battu un jour, la plupart continueront leur carrière criminelle en trafiquant de la drogue ou des armes.
Les djihadistes se radicalisent de la même façon que d’autres organisations extrémistes. Comme ils sont tout le temps en contact, leurs positions se radicalisent. Cette réflexion groupée les incite à se détourner de la société et à attaquer des innocents. Le jihadisme n’est pas une religion, mais une idéologue qui n’utilise que de vagues références religieuses.
Le grand problème, c’est que l’histoire des djihadistes s’est mêlée aux problèmes de société tels que la migration, la société multiculturelle ou la position de l’islam en Europe. Ce sont toutes des discussions intéressantes, mais elles n’ont aucun rapport avec la problématique des djihadistes. Il est tragique que la communauté musulmane soit associée explicitement à la politique antiterroriste. Les musulmans se sentent plus difficilement acceptés, ce qui les rend plus réceptifs au radicalisme.
3. Il y a des limites à la prévention
COOLSAET: La prévention est de loin la mesure antiterroriste la plus efficace. Je crois en la prévention individuelle, telle que nous la proposons aux toxicomanes ou aux gens aux tendances suicidaires. Cependant, il faut voir cela comme une espèce de thérapie : on parle aux jeunes radicalisés et on essaie de leur donner la perspective d’une vie loin de l’extrémisme. Le principal, c’est que le jeune en question soit ouvert à ce genre de traitement.
Mais en même temps, nous devons accepter qu’il y ait des limites aux possibilités de prévention. On ne peut pas sauver tout le monde. Certains jeunes haïssent trop la société, et on n’arrive plus à les mettre de notre côté.
4. Pas de panique: ce n’est que de la radicalisation
COOLSAET: Nous commettons l’erreur de trop voir la radicalisation comme un problème de sécurité. On ne peut s’attendre à ce que les agents de prévention deviennent les informateurs des services de sécurité. Si votre fils adopte soudain une tenue plus religieuse ou commence à s’isoler, il faut pouvoir être certain que l’éducateur de rue à qui vous vous adressez n’appelle pas la police au premier soupçon. Sinon, on mine sa propre politique. Ce n’est pas parce qu’on laisse pousser sa barbe qu’on représente un danger pour la société.
Je souhaite souligner aussi qu’en soi le radicalisme n’est pas un problème de société. La Belgique a été fondée par un groupe d’avocats bruxellois et liégeois radicalisés. En un sens, les végétariens, les manifestants et les activistes des droits de l’homme aussi sont des citoyens radicalisés. La société a justement besoin de davantage de ces radicaux.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici