Les lenteurs de la justice liégeoise
Les dossiers judiciaires impliquant des politiques – Intradel, Tecteo, explosion de la rue Léopold… – sont frappés d’une étrange léthargie.
A Liège, les affaires politico-judiciaires n’en finissent pas de trainer. Deux, en particulier, retiennent l’attention: l’affaire Intradel dans laquelle Alain Mathot, député-bourgmestre de Seraing (PS), est inculpé pour corruption passive et blanchiment d’argent, et l’affaire Tecteo où, sans être nommément visé, le patron, Stéphane Moreau, numéro 2 de la fédération liégeoise du PS, a été questionné sur des dossiers qui pourraient évoquer des passations de marché douteuses, des emplois fictifs ou des abus de biens sociaux. Ces deux dossiers qui n’ont rien de comparable (il n’y a aucune inculpation dans le dossier Tecteo) ont été ouverts sur la base de dénonciations anonymes en 2007 et 2008. Le parquet les a mis à l’instruction et ils ont été confiés au seul juge « écofin » de l’arrondissement judiciaire de Liège : Philippe Richard. Deux séquences électorales plus tard (2010 et 2012) et une troisième en vue (mai 2014), aucun des deux n’est éclairci sur le plan judiciaire.
L’incertitude est très perturbante pour Alain Mahot qui, sans cette affaire, aurait été le numéro un de la liste PS à la Chambre, en lieu et place de Willy Demeyer, sénateur-bourgmestre de Liège. Il a réussi à se hisser à la troisième place alors que la fédération le destinait plutôt à pousser la liste. La présomption d’innocence, et peut-être, l’évolution de l’enquête ont joué en sa faveur.
En octobre dernier, la procureure du roi, Danièle Reynders, avait évalué à « quelques mois » le temps qu’il faudrait pour rendre son réquisitoire, étape préalable au règlement de la procédure devant la chambre du conseil. L’affaire allait être réglée assez rapidement et l’on connaîtrait, avant les élections, le nom des inculpés renvoyés devant le tribunal correctionnel. Les avocats de la défense ont demandé des devoirs complémentaires, dont certains ont été acceptés et d’autres refusés par le juge d’instruction, d’où, appel devant la chambre des mises en accusation, l’instance de contrôle de l’instruction, qui les a accordés en grande partie. Résultat : les augures parient plutôt sur un procès Intradel à la fin 2014 ou en 2015. Pour mémoire, l’enquête a démarré en 2007.
La tuerie de la place Saint-Lambert
A propos de la tuerie de la place Saint-Lambert, perpétrée par Nordine Amrani, le 13 décembre 2011, Danièle Reynders avait déclaré au Vif/L’Express qu’elle ferait le bilan de l’enquête avant le premier anniversaire du drame (6 morts, 125 blessés). L’enquête économique et financière sur les avoirs du couple Amrani a pris du temps. Des devoirs complémentaires ont été demandés par deux avocats des parties civiles, dont Me Alexandre Wilmotte. L’instruction de la juge Micheline Rusinowski étant clôturée, la balle est aujourd’hui dans le camp du parquet, qui doit rédiger son réquisitoire pour constater l’extinction de l’action publique, Amrani s’étant donné la mort. Question : la justice, et le monde politique responsable des lois mal ficelées (dont l’absence de méthodes particulières de recherche pour lutter contre le trafic d’armes), oseront-ils faire leur autocritique ?
L’explosion de gaz de la rue Léopold
Un autre dossier a inexplicablement trainé : celui de la violente explosion de gaz qui, le 27 janvier 2010, a fait 14 morts dans l’effondrement de deux immeubles contigus de la rue Léopold. Bien que l’instruction de la juge d’instruction Christelle Michaux touche à sa fin, aucune inculpation n’a encore été prononcée. Beaucoup de bruits ont circulé, évoquant la possible culpabilité des pompiers, d’un employé de la Ville, du propriétaire de l’immeuble calamiteux du numéro 18…
Le juge Philippe Richard sous pression
Aujourd’hui, l’apparente passivité du parquet s’inscrit dans une double actualité : la campagne électorale (pendant laquelle la justice redouble traditionnellement de prudence) et le départ de la course au poste de procureur provincial qui chapeautera les arrondissements judiciaires de Liège, Verviers et Huy (Waremme).
Mais si les « choses trainent », elles le doivent aussi beaucoup à un homme critiqué mais dépositaire de l’espoir d’une justice indépendante : le juge Philippe Richard. Il est le seul juge d’instruction spécialisé dans les dossiers économico-financiers de l’arrondissement judiciaire de Liège (environ 200), avec peu d’enquêteurs à sa disposition. La pression qui pèse sur ses épaules est énorme. En janvier 2013, la députée Julie Fernandez Fernandez (PS), deuxième sur la liste PS aux prochaines élections législatives, posait une question parlementaire sur l’affichage moral et religieux (protestant évangélique) du chef d’enquête de l’affaire Tecteo, instruite par Philippe Richard, en s’interrogeant sur sa neutralité. Résultat : en mai, le dossier Tecteo était retiré à la PJF de Liège et confié à l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC), à Bruxelles.
Soit le juge et les enquêteurs font preuve de déloyauté, comme le soupçonnent les avocats de Tecteo. L’autre hypothèse ? Que Tecteo mobilise toutes ses ressources pour envoyer le juge et ses enquêteurs dans les cordes. A Liège, certains se rebiffent contre la politisation et la personnalisation de certaines enquêtes. On parle d’acharnement contre le PS… Le seul moyen de dissiper le doute serait de presser le pas pour amener enfin ces affaires devant un tribunal.
L’intégralité du dossier dansLe Vif/L’Express de cette semaine. Avec notamment l’interview du procureur général de Liège, Christian De Valkeneer, dépité par la longueur des instructions.
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