« Les attentats sont devenus un risque structurel dans nos sociétés »
Pour Joseph Henrotin, chargé de recherche à l’Institut de Stratégie Comparée (ISC) et rédacteur en chef du mensuel Défense & Sécurité Internationale, les attentats de Bruxelles annoncent un combat de longue haleine contre le djihadisme, bien au-delà de l’Etat islamique. La Belgique devra composer avec ce risque « structurel et permanent ».
Le Vif/L’Express : Les attentats perpétrés ce 22 mars, à l’aéroport de Zaventem et dans la station de métro de Maelbeek, surviennent à peine quatre jours après l’arrestation de Salah Abdeslam. Est-il plausible de considérer qu’il s’agit de représailles ?
Nous verrons ce que dira l’enquête. On n’est jamais à l’abri d’une surprise, qui est le propre du mode de guerre « terrorisme ». Il me parait a priori douteux qu’en l’espace de 90 heures environ, la planification et la construction de bombes aient pu avoir lieu. Si c’était le cas, cela indiquerait un taux de réactivité inédit, éventuellement couplé à des stocks de bombes. Nous parlons cependant dans le vide tant que l’enquête n’a pas été bouclée.
Ces attentats annoncent-ils d’autres opérations en Belgique ou pourrait-il s’agir d’un chant du cygne ?
C’est à mon sens loin d’être le chant du cygne. Depuis plus de 20 ans, le djihadisme, en tant qu’idéologie, se coule dans des groupes différents. Si la plupart des filiales d’Al Qaïda sont à présent en perte de vitesse, l’organisation Etat Islamique reste toujours vivace en dépit de revers militaires. In fine, le nombre d’attentats ou de tentatives tend à augmenter. Il y a fort à parier que son hypothétique défaite n’éliminera pas l’idéologie djihadiste elle-même. Elle s’épanouira dans une autre organisation pour poursuivre son combat.
Pour quelles raisons la Belgique est-elle, à son tour, la cible d’attaques terroristes d’une telle ampleur, quatre mois après les attaques de Paris ?
La probabilité d’attentats est considérée comme forte depuis pas mal de temps. C’est la signification du niveau d’alerte 3. Pour le reste, la littérature ne cesse de marteler depuis plus de vingt ans que le nombre d’attentats s’accroîtra. Le problème, avec une idéologie comme le djihadisme, n’est pas ce que nous faisons, c’est ce que nous sommes. Tous les Etats européens et bon nombre d’Etats à travers le monde font face au djihadisme. Un certain nombre de tentatives ont été déjouées. Bien avant l’arrestation de Salah Abdelslam, la Belgique a été confrontée à plusieurs tentatives, de même qu’à un attentat en bonne et due forme, au Musée juif. C’est conceptuellement difficile de s’en rendre compte, intimement, mais les attentats sont devenus un risque structurel dans nos sociétés.
Doit-on déduire des événements d’aujourd’hui que la politique de sécurité et de renseignements en Belgique est défaillante, alors que les autorités étaient pourtant dans une période de vigilance accrue ?
Comme toujours, il y a des choses à améliorer, peut-être un peu plus en Belgique qu’ailleurs. Pour une série de raisons historiques ou sociologiques, il y a eu un faible intérêt pour les questions de sécurité, de l’université jusqu’au niveau politique, depuis assez longtemps. Il n’en demeure pas moins que les services, malgré tout, travaillent plutôt bien. La rationalité stratégique derrière l’usage du terrorisme est de frapper par surprise, et donc en tous temps et en tous lieux. Nous sommes naturellement prompts à chercher des causalités immédiates – la guerre est une dialectique. Mais parfois, il faut juste admettre que l’ennemi, ontologiquement et quoi que nous fassions, veut notre perte.
Quel équilibre doit-on trouver entre les mesures de sécurité qui s’imposent et le repli sur soi que ces mêmes mesures risquent de susciter ?
C’est l’un des problèmes majeurs du chantier stratégique à entamer. Celui-ci ne touche d’ailleurs pas qu’au volet sécuritaire dans le sens strict du terme. Toute la gageure est d’être intransigeant tout en conservant nos valeurs. On ne combat pas correctement en passant outre les principes pour lesquels on se bat.
Note : Le prochain hors-série du mensuel Défense & Sécurité Internationale, à paraître début avril, portera sur les ripostes au terrorisme.
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