Le vrai discours des Loups gris turcs
En mai dernier, un congrès de l’extrême droite turque s’était tenu à Liège. Le Vif/L’Express a lu la traduction du discours du très nationaliste Devlet Bahceli. Edifiant.
Rétroactes
La venue au Palais des Congrès de Liège du leader politique des Loups gris, Devlet Bahceli, président du MHP turc, le 20 mai dernier, avait suscité beaucoup d’émotion dans la Cité ardente. Le Comité des Arméniens de Belgique avait pourtant prévenu par fax, le 18 mai, toutes les autorités: fédérales, régionales, communautaires, provinciales, communales et judiciaires. En raison de son radicalisme, le mouvement des Loups gris est classé comme groupe « à suivre ». Même sans être visées particulièrement, à la différence des Arméniens qui revendiquent la reconnaissance par l’Etat turc du génocide dont leur peuple fut victime entre 1915 et 1917, les autorités avaient des raisons de s’inquiéter. Ce mouvement ne fait rien pour accroître le sentiment d’appartenance des Belgo-Turcs à leur patrie d’accueil (24 % seulement se disent « fiers d’être Belges » selon une enquête Eurislam commandée par la Commission européenne et publiée en juin dernier). A Namur, le bourgmestre Maxime Prévot (CDH) avait mis son veto à la manifestation prévue à Namur Expo par la Fédération des nationalistes turcs démocrates (couverture officielle des Loups gris). Le juge des référés l’y avait contraint mais, entretemps, les organisateurs avaient préféré se tourner vers le Palais des Congrès de Liège. Les motifs principaux invoqués par la justice namuroise ? L’organisateur avait déjà versé un accompte au Bureau économique de la province de Namur (Namur Expo) et et seul le pouvoir exécutif avait le pouvoir de prendre une telle décision fondée sur la défense de l’ordre public. Pris de court, le bourgmestre de Liège, Willy Demeyer (PS), a argué du fait qu’il manquait de bases légales pour interdire la manifestation et que, si près de l’évènement, une interdiction aurait pu causer un trouble à l’ordre public. Le policier turcophone présent sur place a relaté à sa hiérarchie les propos « bénins » tenus par Devlet Bahceli, selon son rapport tel qu’il a filtré vers la presse. Il s’avère, à la lecture de la traduction présentée par le Vif/L’Express, sur la base du texte publié sur le site du MHP turc (Parti Mouvement National), que le ton et le contenu du discours étaient plus corsés.
Le discours qu’a prononcé à Liège, le 20 mai dernier, Devlet Bahceli, président général du Parti Mouvement National (MHP), n’était pas de la guimauve. Le Vif/L’Express a pu prendre connaissance de la traduction française de ce discours-fleuve dont l’original se trouve sur le site du MHP, bras politique des Loups gris et maison-mère de la Fédération des nationalistes turcs démocrates turcs de Belgique, active dans l’animation culturelle de l’immigration turque. Bahceli était en tournée européenne pour galvaniser les troupes et fédérer les énergies panturques. Après les envolées lyriques vinrent l’exhortation des migrants à préserver leur identité turco-musulmane, également des propos très hostiles à l’égard des Arméniens et des Kurdes, ainsi que l’impatience de voir des élus turcs s’élever dans la sphère politique pour veiller, dans l’ordre, aux intérêts de la Turquie et du « pays où ils vivent ». Voici quelques extraits significatifs de ce discours prononcé en turc, sans détours.
« Turcs d’Europe, vous représentez la gloire et la splendeur de l’identité turque ». Devlet Bahceli s’incline devant le courage qu’il a fallu aux migrants pour s’expatrier. « Certes, nous savons que, dans ce pays, vous êtes perçus comme étrangers et vous avez rencontré beaucoup de difficultés en tant que porteurs d’une identité et d’une culture étrangère. Mais vous ne leur avez jamais cédé. » Il poursuit : « Vous avez fait de la Belgique votre Emirdag, vous avez ramené l’Anatolie en Belgique, vous n’avez pas rompu avec vos traditions et vos habitudes, vous n’avez pas abandonné vos racines, vos ressources et votre minaret ».
Un petit coup de langue à l’égard de la Turquie : « Les dirigeants de notre patrie n’ont pas pu assurer, ni à vous ni à la génération précédente, les besoins fondamentaux de la vie que sont l’éducation, l’emploi, une alimentation quotidienne ; vous les avez obtenus dans des pays étrangers ». Et un autre coup de griffe pour l’un de ces « pays étrangers » pourtant accueillant: « Au début de cette deuxième décennie du siècle, vous luttez pour la vie dans un monde qui s’éloigne des valeurs de l’humanité. Dans la capitale de l’Union européenne, centre politique des valeurs occidentales, vous enseignez la civilisation et vous montrez ainsi qui est la nation turque ».
Le grand patron du MHP s’en prend ensuite aux « lobbies de la diaspora » qui, en France, tentent d’obtenir la pénalisation du « soit-disant génocide arménien » et qui, en Belgique, ont tenté de les priver d’une salle de congrès. « Comme des fascistes et des racistes, ils ont proféré à notre égard des bassesses qu’un esprit sain ne saurait imaginer (…). « Ils doivent savoir que leurs mentalités et leurs intentions sont pires que celles des nazis. » Pour les Kurdes (dont il ne prononce par le nom), Devlet Bahceli prévient : « Nous n’allons pas rester silencieux concernant le souhait de certains de voir la Turquie se diviser, de poser des exigences d’enseignement dans leur langue maternelle… »
Si sourcilleux de l’unité de son propre pays, l’orateur voit la Belgique comme un simple « édifice démocratique » dont la communauté turque est devenue une « composante » ayant gardé intactes ses traditions. « Les Turcs vivant ici sont arrivés à une position qui leur a permis d’apporter une contribution importante à la vie commerciale, politique, économique et socio-culturelle de la Belgique. Mais il faut certainement arriver à un stade encore supérieur », exhorte Bahceli. Comment ? « Pour bénéficier de tous les types de droits sociaux, politiques et économiques, et être pris en compte comme une « force sociologique », vous devez lutter et afficher vos intentions. Représentez la nation turque dans les élections locales et nationales, et veillez aux intérêts de la Turquie et du pays dans lequel vous vivez. » Un programme clair et net.
Marie-Cécile Royen
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