Pascale Vielle
Le pacte de sécurité prime sur le pacte de stabilité
A la suite des attentats de Paris et en l’espace de 6 jours, les gouvernements français et belges ont annoncé leur intention d’investir respectivement 600 et 400 millions dans un ensemble de mesures destinées à lutter contre le terrorisme. Pourquoi ne pas investir ces sommes dans un nouveau Pacte social ? Et si l’Etat fédéral se démarque du plan de stabilité pour investir dans la sécurité, pourquoi les gouvernements régionaux et communautaires ne leur emboîteraient-ils pas le pas pour investir massivement dans la culture, l’emploi, le logement, l’éducation…
Prononcée par François Hollande, et reprise en substance par Charles Michel dans son discours de ce 19 novembre, cette phrase mérite quelques développements. Il existe bien un Pacte de stabilité. Le « Pacte de stabilité et de croissance » a été adopté en 1997 à Amsterdam par le Conseil européen. Il reprend un ensemble de critères économiques que, dès 1993, les Etats membres de la zone euro s’étaient engagés à respecter vis-à-vis de leurs partenaires (notamment un déficit public inférieur à 3 % du PIB, et une dette publique inférieure à 60 % du PIB). Il prévoit par ailleurs un mécanisme de surveillance multilatéral, assorti de sanctions. Tant les critères de convergence que le caractère coercitif du mécanisme de surveillance multilatéral se sont durcis de manière significative depuis le début de la crise économique (notamment à travers la procédure du semestre européen, et le traité budgétaire qui intègre ces règles directement dans les constitutions des Etats qui l’ont ratifié). Et lorsqu’on parle aujourd’hui en Europe de « politiques » ou de « programmes d’austérité », on désigne en réalité la discipline budgétaire qu’impose l’ensemble de ces mécanismes. On cherchera en vain un « Pacte de sécurité » européen analogue, susceptible d’être mis en balance avec le Pacte de stabilité. Ce que François Hollande désigne en réalité par « Pacte de sécurité », c’est un autre ensemble de mesures, nationales, et destinées à lutter contre le terrorisme. Elles ont été adoptées dans l’urgence au lendemain du 13 novembre et leur coût s’élèvera à 600 millions d’Euros (Le Point de ce 19 novembre).
A la fin, c’est l’Allemagne qui gagne…
Ce que François Hollande semble exprimer, en somme, c’est qu’une situation politique exceptionnelle peut justifier un dépassement des critères du Pacte de stabilité, critères qui avaient été littéralement sacralisés à travers la gestion de la crise grecque par les institutions européennes. Une révolution en apparence. Mais, nous allons le montrer, la réalité est tout autre : l’affectation de sommes considérables à des dépenses militaires et de sécurité ne constitue nullement une rupture au regard des politiques d’austérité.
En effet, depuis la mise en place des programmes d’austérité, les dépenses militaires, en général, n’ont pas subi de diminution significative (http://www.mvtpaix.org/wordpress/les-depenses-militaires/), y compris dans des pays aussi frappés par la crise que la Grèce (http://cadtm.org/Les-Grecs-ne-paient-pas-leurs,11969). En réalité, ces dépenses se sont simplement maintenues au détriment d’autres postes budgétaires, en particulier les dépenses sociales. A y regarder de plus près, par ailleurs, les 600 millions français ne devraient en réalité représenter que 0,03% du PIB, ce qui n’aggravera pas de manière significative le déficit public de nos voisins (Le Point de ce 19 novembre). Enfin le maintien des budgets militaires a largement bénéficié au soutien du secteur des armes lourdes en France et en Allemagne – ce qui explique la grande tolérance dont elles ont fait l’objet dans le cadre des plans d’austérité imposés par la troïka. Or, on notera avec intérêt que l’Allemagne et la France se disputent aujourd’hui des parts de toujours plus restreintes, et sont en recherche de nouveaux débouchés pour leur production d’armes lourdes (http://orientxxi.info/magazine/en-silence-les-armes-allemandes-a,0672). A la faveur des événements du 13 novembre, le déblocage et l’affectation de nouvelles sommes à des dépenses militaires, en bonne intelligence avec la Commission européenne, ne surprendra donc pas vraiment.
Le discours de l’austérité, qui domine sans nuance la politique du gouvernement fédéral actuel, s’alimente depuis toujours à la peur
Le discours de l’austérité – qui domine sans nuance la politique du gouvernement fédéral actuel, depuis la déclaration gouvernementale – s’alimente depuis toujours à la peur. La peur de l’autre, du différent, le chômeur, le migrant, le réfugié, le voisin, responsable de nos maux économiques, sociaux et culturels. Cette peur, soigneusement entretenue par les partis et gouvernements qui défendent l’austérité, et par ses bénéficiaires (http://www.latribune.fr/entreprises-finance/le-medef-demande-aux-patrons-de-signaler-les-eventuelles-radicalisations-de-salaries-523286.html), justifie l’adoption de mesures de contrôle public et social féroces (jusqu’à la mise en place de plate-formes électroniques de délation pour toutes sortes de « déviances citoyennes »), et une renonciation progressive à nos libertés et garanties démocratiques les plus fondamentales. Un estompement de la norme, insidieux, anesthésiant qui explique que ce qui relevait, il y a quelques mois encore, de l’impensable pour la plupart des citoyens, nous paraît aujourd’hui normal et justifiable. En ce sens, il présence une congruence presque idéale avec le discours sécuritaire, qui s’inscrit dans sa continuité.
Ce 19 novembre, c’était au tour de Charles Michel d’annoncer solennellement un programme ambitieux – et onéreux : « 400 millions d’Euros supplémentaires pour la sécurité et contre le terrorisme » – effort relatif bien plus important que l’effort français. Nous ne connaissons pas encore le détail de l’affectation de cette manne, mais deux voies s’offrent au(x) gouvernement(s). La première – la plus plausible compte tenu de la composition politique du gouvernement – consiste à renforcer la congruence fondamentale entre « austérité » et « sécurité », ce dernier terme entendu dans son sens le plus étroit. Intensification de l’effort de guerre et des dépenses militaires pour combattre Daesch sur le terrain – selon toute probabilité en bonne intelligence avec la France et l’Allemagne -, renforcement des dispositifs de contrôle intérieur, abandon de la garantie de certaines libertés fondamentales (certaines déjà annoncées dans le discours du premier ministre).
Pour un nouveau Pacte Social
Mais il existe une autre manière de concevoir un programme de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Une autre manière de concevoir la notion de « sécurité ». Le chercheur belgo-palestineien Montasser AlDe’emeh considère que la radicalisation dépend d’un ensemble de facteurs parmi lesquels la puissance de la révolte, la puissance de la foi, du sentiment d’injustice, du manque d’un sens à la vie que nos sociétés ne peuvent plus offrir et, surtout, l’impossibilité pour une partie de jeunes de se construire une identité dans nos pays. Si l’on prend au sérieux ces recherches, il convient d’agir sur l’ensemble de ces éléments pour retrouver le chemin d’une société pacifiée.
Avec Christine Mahy, je pense que cette approche exige d’affecter une part importante de l’effort de sécurité à la fondation et à la réalisation d’un nouveau « Pacte social » analogue à celui de 45, qui s’appuierait sur une sécurité sociale pour tous et dont les fondements, les objectifs, les instruments, les bénéficiaires, les éventualités, les prestations et les mécanismes de solidarité tiendraient compte d’un contexte économique, social, culturel, qui à tous égards diffère de celui de 1945. Un pacte social qui soutiendrait cette sécurité sociale par une politique éducative, culturelle, du marché de l’emploi, de la santé, du logement, de la mobilité, des personnes âgées, de la petite enfance ambitieuses et en adéquation réelle avec le défi terrible auquel nous sommes confrontés. Un pacte social qui pourrait s’appuyer sur une justice suffisamment dotée pour assurer à chacun(e) un accès réel et effectif à ses droits fondamentaux. Un pacte social qui s’enracinerait dans la reconnaissance sans concession de l’égalité fondamentale entre les hommes et les femmes, et de nos égales libertés à tous.
Les gouvernements des communautés et régions, du côté francophone, n’ont pas la même composition politique qu’à l’échelon fédéral. Si la sécurité sociale et la justice sont des compétences qui leur échappent, elles ont la maîtrise des autres postes budgétaires concernés. Et si le gouvernement fédéral a pu décider de l’affectation d’un budget considérable à des politiques de « sécurité », il leur appartient d’imprimer leur propre vision de sa définition et de consacrer des dépenses suffisantes pour mener dans tous les secteurs dont elles ont la responsabilité les politiques ambitieuses qui s’imposent.
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