Le livre de l’avocat de Dutroux : extraits
Bruno Dayez publie un livre, dont nous révélons plusieurs extraits, pour expliquer pourquoi il défend Marc Dutroux et considère qu’il est temps d’envisager la libération de celui qui a été condamné le 17 juin 2004 à la perpétuité. L’avocat bruxellois espère forcer le débat public. En fait, sur le sort de tous les détenus en Belgique et le rôle de notre système carcéral. Démarche évidemment très controversée.
Tout juste diffusé en librairie ce 14 février, le livre Pourquoi libérer Dutroux, de Bruno Dayez (1), est déjà un brûlot. Plusieurs éditeurs ont refusé de le publier, après même l’avoir d’abord approuvé, renonçant par peur de représailles. Finalement, les éditions Samsa ont accepté, elles, sans hésiter. De son côté, la Foire du livre de Bruxelles, qui s’ouvre ce 22 février, a repoussé l’idée d’organiser un débat public avec l’auteur, proposée par Le Vif/ L’Express. Pour des raisons de sécurité, selon son conseil d’administration. Christian Lutz, aux commandes de Samsa, fulmine et se souvient d’un précédent : il y a cinq ans, Bart De Wever, dont il publiait en français, aux éditions Le Cri, les chroniques signées dans la presse flamande, s’était vu, lui aussi, privé de podium à la Foire du livre.
Le débat sur le respect des principes démocratiques est dans l’air du temps
Bruno Dayez censuré ? Des libraires refuseront-ils, à leur tour, de placer son livre sur leur étal ? Que contiennent de si sulfureux ses 120 pages pour que se ferment autant de portes devant lui ? Dans son ouvrage, l’avocat bruxellois explique, de manière rationnelle et didactique, pourquoi il s’est lancé dans la singulière aventure de représenter le criminel le plus haï de Belgique : Marc Dutroux. Lequel souhaite aujourd’hui obtenir une libération conditionnelle. Bruno Dayez profite du cas Dutroux pour lancer un débat public qu’il sait extrêmement difficile mais qu’il estime indispensable. Un débat autour du rôle du système carcéral, de la perpétuité, de la libération conditionnelle. Un débat pour lequel il a renoncé à ses droits d’auteur pour que le prix de son livre le rende accessible au plus grand nombre.
Depuis trente ans, l’avocat critique, sans concession, le système pénal, à travers des centaines de chroniques publiées dans les médias, dont Le Vif/L’Express. Enfoncer des portes fermées est une seconde nature chez cet homme de conviction. Il a toujours su mouiller sa robe dans l’espoir de susciter quelque changement. Sans succès. Alors, face à l’immobilisme, il a décidé de livrer un ultime combat, avec la volonté de marquer les esprits et l’ambition d’allumer une mèche décisive. Un sacré pari. Audacieux. Risqué. Salutaire, pour ceux-là. Provocateur, pour ceux-ci. Scandaleux, pour d’autres.
Extraits
Libérer Dutroux
» Libérer Dutroux « , pour parodier une chanson connue, » sont deux mots qui vont très mal ensemble « . Une contradiction dans les termes, diraient même la plupart. Un non-sens absolu, une ineptie, outre la pire des injustices et des monstruosités, toujours selon une opinion publique à peu près unanime. […] En développant ce que sont pour moi certains principes de justice élémentaires, j’entends que le cas de Marc Dutroux ne saurait y faire exception. Car ces principes deviendraient sans valeur si l’on pouvait jamais y déroger. Arguer qu’on serait, en l’espèce, confronté à des faits d’une telle gravité qu’ils mériteraient à eux seuls l’application d’un régime particulier n’est pas recevable selon moi. Au contraire, dirais-je, ces principes de justice fondamentaux ne valent qu’en regard des affaires les plus graves à l’épreuve desquelles ils doivent être forgés.
Injures et menaces
Bruno Dayez s’est déjà épanché sur le sujet dans la presse ( voir Le Vif/L’Express du 25 août 2017) et sur les ondes, à l’automne dernier, lorsqu’il a révélé son intention de défendre le principe d’une libération de Dutroux, ce qui lui a déjà valu des lettres d’injures et de menaces. Son livre lui permet de développer son raisonnement. Nous avons pu le lire en primeur. Chaque mot y a été soupesé avant d’être couché sur le papier. L’avocat sait qu’il doit faire face à l’opinion publique. Il est prêt. Dans son ouvrage, il décortique un à un les arguments de ses contradicteurs, en répondant sans tabou aux questions qui fâchent, comme le montrent les titres des chapitres : » Défendre l’indéfendable ? « , » Se mettre à la place des victimes ? « , » Dutroux échappe-t-il à la norme ? « , etc. ( lire les extraits au fil de ces pages – les intertitres sont de la rédaction).
L’auteur justifie sa démarche en expliquant qu' » il n’y a pas de principe général de justice qui tienne s’il faut y admettre quelque exception « . Pour cet avocat inscrit au barreau de Bruxelles depuis 1982, la cause de Dutroux permet justement d’éprouver la validité de nos principes fondamentaux de justice. Elle sert à faire avancer la réflexion sur ces questions en dépassant son cas particulier. Autrement dit, en termes de rôle du système carcéral (ne sert-il qu’à punir ou a-t-il aussi vocation à permettre une réinsertion dans la société ?), ce qui est valable pour lui l’est logiquement pour tous les détenus en Belgique, actuels et à venir. C’est le domino qui peut faire basculer toute la rangée.
« Trou noir du lavabo »
Bruno Dayez rappelle aussi que l’affaire Dutroux a entraîné un sérieux tour de vis sur le plan pénal, avec, depuis 1996, des peines de prison plus longues et un durcissement des conditions de libération. Un effet boule de neige qui explique, jusqu’à aujourd’hui, la surpopulation chronique dans les prisons. En 2013, dans la foulée de la libération de Michèle Martin, le gouvernement Di Rupo a encore sensiblement durci les conditions d’accès à la libération conditionnelle pour les condamnés à des peines de trente ans ou plus. Depuis lors, entre autres verrous supplémentaires, ce sont cinq juges qui doivent décider, à l’unanimité, de la libération de ces grands criminels, et non plus trois avec majorité simple, ce qui rend quasi impossible toute libération. Cette loi votée dans l’urgence était visiblement destinée à Dutroux. Pour Bruno Dayez, il semble dès lors logique de s’attaquer au problème en partant de sa cause.
Poussant la réflexion plus loin, l’avocat s’interroge sur le sens même de la prison dont l’usage en Belgique – on ouvre des établissements pénitentiaires chez nous alors qu’on en ferme aux Pays-Bas ou en Suède – est conforté par » une idéologie sécuritaire triomphante depuis quarante ans « , que personne ne songe plus à contester. Il compare la prison au » trou noir du lavabo » : » Elle a la même fonction d’évacuer (en l’occurrence le rebut social), la même évidence (pas de lavabo sans avaloir, pas de société sans prison) et la même invisibilité (il ne viendrait à personne l’idée de s’intéresser à un vide). »
Hypocrisie du système
Au-delà du constat, à la fois dur et lucide, Bruno Dayez avance ses propositions en les justifiant clairement dans son ouvrage : abolir la perpétuité, instaurer un plafond d’emprisonnement effectif à vingt-cinq ans, revoir les règles du tribunal d’application des peines (TAP), faire de la libération conditionnelle un droit acquis en rendant l’Etat davantage responsable du reclassement des détenus. Autant de propositions destinées à mettre fin à l’hypocrisie de la politique carcérale qui exige de la part des détenus d’énormes efforts pour se réinsérer alors qu’on ne leur en donne pas les moyens. Et aussi à l’hypocrisie du système pénal qui prévoit, dans l’arsenal des cours criminelles, une perpétuité qui ne peut être effective en théorie mais qui l’est de plus en plus dans les faits, vu le verrouillage du TAP.
Le combat de Bruno Dayez, on s’en doute, ne convainc pas les victimes ni les familles de victimes de Dutroux. Loin de là. Celles-ci estiment que » le monstre de Marcinelle » est le pire étendard qu’on puisse brandir pour défendre la cause des détenus et que cela ne va que braquer l’opinion. Mais l’initiative de l’avocat bruxellois suscite la controverse au-delà des victimes. Il y a les pour, les contre, les perplexes. La polémique atteint jusqu’au petit monde des avocats où déjà Bruno Dayez, en raison de son franc-parler, ne s’y est pas fait que des amis.
Extraits
Défendre l’indéfendable
Si l’on peut, à la rigueur, contester la manière dont un avocat défend un accusé (ou, comme en l’occurrence, un condamné), on ne peut certes pas lui reprocher de le défendre, puisque c’est sa vocation même ou, comme disent les gens de loi, le » devoir de sa charge « . Cela peut sembler choquant de prime abord ; ce n’en est pas moins une obligation dans le chef de l’avocat : rechercher uniquement ce qui plaide en faveur de son client. Il en va notamment de la sorte parce qu’un autre » acteur de justice « , le procureur du Roi, se voit assigner la tâche inverse, celle d’accuser. […] Dans le cas d’espèce, Marc Dutroux est un condamné définitif. La tâche de l’avocat n’est plus de contester sa culpabilité ou de plaider sur sa peine. Elle est, clairement et sans équivoque, de plaider sa libération dès qu’il entre dans les conditions légales pour en faire la demande. Cette affirmation peut paraître scandaleuse aux yeux du néophyte. Il n’en reste pas moins que c’est la mission spécifique de l’avocat.
« Dayez est sur un fil »
Il peut tout de même compter sur de nombreux soutiens, comme celui de son confrère Denis Bosquet, qui préside la commission de surveillance de la prison de Forest. » Même si Dutroux inspirera la haine jusqu’à sa mort, on ne peut pas reprocher à Bruno Dayez de s’en servir pour susciter le débat sur les prisons, nous confie-t-il. Car la situation carcérale en Belgique est trop préoccupante. C’est simple, si Dayez avait choisi un autre cas que Dutroux, les médias ne s’y intéresseraient pas. Il n’aurait pas de tribune. » Certains évoquent aussi Robert Badinter qui, à la fin des années 1970, en France, avait profité du procès retentissant de Patrick Henry pour pousser l’abolition de la peine de mort. Il y est finalement parvenu…
D’autres avocats se montrent plus critiques. L’un d’eux nous glisse : » Il est déjà difficile de faire comprendre à l’opinion, même si c’est une évidence, que Dutroux puisse être défendu par un avocat, alors mener un combat, à travers lui, contre la perpétuité et la situation dans les prisons, la pilule est trop grosse à faire avaler par la majorité des Belges. » Pierre Sculier, le bâtonnier de l’Ordre francophone du barreau de Bruxelles, se déclare très favorable au débat tout en émettant des réserves : » Me Dayez est sur un fil. Il pousse le devoir de défense à l’extrême. On le sait talentueux mais l’exercice est périlleux. Evidemment, un avocat peut se sentir obligé d’interpeller l’opinion, même par un livre, lorsque la cause qu’il défend, en l’occurrence Dutroux, y rencontre une telle opposition. Il a tout de même une obligation de secret professionnel et un devoir de délicatesse à l’égard de son client. »
Ce devoir de délicatesse, un peu flou, Sven Mary ne l’a, à l’évidence, pas respecté en comparant le cerveau de Salah Abdeslam à un cendrier vide. Mais Bruno Dayez est très clair sur le sujet. » Dans mon livre, j’explique le pourquoi de ma démarche, pas le comment, nous signale-t-il. Sur le comment, je ne révélerai rien, jusqu’aux audiences devant le tribunal d’application des peines. Quant à mon client, je ne lui cache rien. Il connaît mon engagement. Il n’est pas instrumentalisé dans la mesure où je défends sa cause comme pour n’importe quel justiciable. »
Extraits
A la place des victimes
Notre système de justice pénale se caractérise par une mise hors jeu des victimes. La répression s’exerce au nom de la société. C’est le procureur qui poursuit les infractions. C’est lui, et lui seul, qui requiert sur la culpabilité et la peine. […] Le législateur considère en fait que [la victime] est non seulement la plus mal placée pour déterminer en toute impartialité si l’accusé est coupable, mais aussi pour juger impartialement de la peine juste. Soit qu’elle fasse preuve d’une mansuétude excessive (le cas est fréquent en pratique avec des femmes battues qui pardonnent à leur bourreau) ; soit qu’elle soit animée d’un désir – tout à fait compréhensible – de vengeance qu’aucune peine ne suffirait à assouvir. Qui ne comprendrait qu’envers Marc Dutroux, les parents des victimes soient non seulement incapables de pardon (ce qui ne viendrait à l’idée de personne d’exiger d’elles), mais également hostiles à toute perspective de libération, et ce, à tout jamais ? Qu’on le comprenne n’équivaut toutefois pas à adopter ce point de vue lorsqu’il faudra décider de la libération du condamné.
Débat aussi au Vif/L’Express
La controverse touche aussi les rédactions, dont celle du Vif/L’Express. » La paix sociale a été ramenée à Arlon, après un procès d’assises assez exemplaire. Le cas Dutroux reste trop lourd émotionnellement pour s’en servir et soutenir une thèse qui pourrait être défendue autrement « , tranche une collègue. » Doit-on vraiment consacrer une couverture du magazine et tout un dossier à ce combat perdu d’avance ? « , interroge un autre. » Il fallait bien que quelqu’un ose « , rétorque la théologienne liégeoise Myriam Tonus dans sa chronique du journal catholique Dimanche, le 5 novembre dernier, en pointant qu’en secouant l’opinion avec le cas Dutroux, Bruno Dayez interroge notre vision de l’être humain. » Il fallait bien que quelqu’un ose poser ces questions « , conclut-elle, même si ce sont » des questions qui divisent, dérangent et exacerbent les passions « .
C’est bien de cela qu’il s’agit : la question Dutroux semble toujours diviser l’opinion, car plus de vingt ans après la découverte de l’horreur à Sars-la Buissière, la charge émotionnelle est toujours palpable. Les politiques en sont bien conscients. Nous avons d’ailleurs tenté de faire réagir le ministre de la Justice à la démarche de Bruno Dayez. En vain. » Je ne peux pas commenter ce sujet dans le cadre d’un cas concret aussi douloureux « , s’est excusé Koen Geens (CD&V). Cette émotion, Bruno Dayez lui-même la comprend, mais il ne peut en tenir compte dans son raisonnement. » Il faut sortir de ce mythe négatif de l’histoire de la Belgique, nous enjoint-il. J’ai l’impression qu’on doit encore refaire le débat sur la peine de mort. »
Le sacrilège ultime
Pour le sociologue Luc Van Campenhoudt, professeur émérite à l’université Saint-Louis et à l’UCL, il faut réaliser ce que représente Marc Dutroux dans l’opinion pour analyser les réactions à la démarche de Bruno Dayez. » En ayant touché à ce que nous avons de plus cher, expose-t-il au Vif/L’Express, Dutroux incarne le sacrilège ultime, tout en exacerbant des tensions latentes : dysfonctionnement des institutions, sentiment d’insécurité, après les tueries du Brabant… Bref, il a suscité une union sacrée contre lui, plus forte que pour la monarchie ou les Diables Rouges. Bruno Dayez vient introduire une fissure, un doute dans cette unanimité. Il révèle que cette unanimité cache des divergences. Pire : il restaure Dutroux « le monstre » comme être humain. »
Dayez ravive des peurs, selon le jeune sociologue de l’ULiège Christophe Dubois, qui était âgé de 15 ans en 1996. » Au-delà de la mémoire de la marche blanche inscrite dans notre roman national, il y a un sentiment d’abandon et d’insécurité au sein de la société, démontré par les analyses sociologiques, observe-t-il. Ce climat anxiogène, entretenu par des stratégies politiques et aussi marchandes, entraîne une perte de confiance qui rend difficile tout jugement rationnel à l’égard d’une figure effrayante comme Dutroux. L’exigence du risque zéro en est une conséquence. Dans ce contexte, l’engagement de Bruno Dayez est évidemment délicat. »
Extraits
La peine capitale
Nombreux sans doute sont ceux qui regrettent son abolition et qui jugent que, dans les cas de crimes particulièrement graves et odieux, sa restauration serait bienvenue. […] La peine de mort présentait l’avantage symbolique de paraître appropriée au crime puisqu’elle lui correspondait comme son double. Elle apparaissait légitime parce qu’elle équivalait visiblement au crime. Or, cette équivalence n’est-elle pas la » juste mesure » par excellence ? Donc, d’une certaine manière, la peine de mort pouvait sembler être la plus parfaite incarnation de la justice comme » le fait de punir chacun comme il le mérite, à proportion de son crime « . […] Sans m’étendre sur les raisons qui ont présidé à son abolition (puisque c’est dorénavant de l’histoire ancienne), je résumerais cette évolution en disant que l’état de notre civilisation a peu à peu amené au constat que cette peine était une barbarie. Pour le dire autrement, il est apparu lentement mais sûrement, en tout cas sous nos latitudes, que l’on ne pouvait pas traiter un assassin comme il avait lui-même traité sa victime, sauf à se rabaisser en quelque sorte à son niveau.
Agiter les consciences
Cela signifie-t-il que l’avocat se lance dans un mauvais combat, perdu d’avance ? » Pas du tout, c’est sans doute le bon moment, réagit Luc Van Campenhoudt. Le débat sur le respect des principes démocratiques est dans l’air du temps. On le voit avec les visites domiciliaires pour les migrants. Et le faire avec un autre criminel que Dutroux n’aurait pas le même sens, car on pourrait alors toujours concevoir une exception pour son cas. Attendre encore dix ans ne servirait à rien non plus. Cela n’aurait pas plus de sens quand Dutroux sera mort. »
Pour Christophe Dubois aussi, qui étudie le monde carcéral, on ne peut pas reprocher à Bruno Dayez d’utiliser Dutroux pour s’interroger sur la cohérence d’un système plein de contradictions, dans lequel de plus en plus de condamnés vont à fond de peine. » Dayez questionne notre capacité à transiger avec certaines valeurs fondamentales en fonction de ce qui nous arrange, analyse le chercheur liégeois. C’est un agitateur de consciences. Peut-être le fait-il de manière trop isolée. Mais j’ai envie de croire en l’intelligence individuelle et collective. »
Un autre chercheur bien connu, que nous avons sollicité, n’est pas tout à fait du même avis. Philippe Mary, criminologue à l’ULB, est réputé pour ses travaux sur les prisons dont il critique le fonctionnement depuis de nombreuses années. La démarche de Bruno Dayez le laisse toutefois dubitatif. » Prendre une partie de la cause du problème carcéral pour essayer de le résoudre me paraît trop risqué, surtout avec Dutroux, estime-t-il. Je ne suis pas certain que ce soit le bon choix stratégique, en tout cas par rapport à la libération conditionnelle. »
Cela dit, le professeur Mary approuve pleinement le fond du débat qui est lancé, en particulier sur la perpétuité. Cela ne concerne d’ailleurs pas que la Belgique. Dans certains pays, comme les Pays-Bas ou la Suisse, la perpétuité est effective. Les Néerlandais appliquent cette levenslange gevangenisstraf aux tueurs en série, aux tueurs de masse, aux terroristes. Le dernier criminel qui s’est vu infliger cette peine est Mohammed Bouyeri, l’assassin du réalisateur Theo Van Gogh, en 2005.
Extraits
» Hôtel cinq étoiles «
La prison reste un impensé de la réflexion pénale, un trou noir, une oubliette intellectuelle. Les juristes n’y réfléchissent jamais vraiment ; elle fait simplement partie du paysage ; on ne la voit jamais que de l’extérieur, comme un élément de décor. Et si les gens de loi eux-mêmes n’en ont qu’une vision en trompe-l’oeil, comment reprocher à la population de s’en être fait depuis toujours une représentation imagée, tenant à la fois du château de la Belle au Bois Dormant (auquel, vue du dehors, la prison de Saint-Gilles ressemble à s’y méprendre !), d’une case de Monopoly, d’un hôtel cinq étoiles ou, en tout cas, d’un endroit où l’on est » logé, nourri, blanchi » aux frais du contribuable ?
Faillite carcérale
Les prisons sont, dans leur configuration actuelle, des usines à récidive et des écoles du crime. On aurait beau vouloir me rétorquer que ce ne sont que des stéréotypes, je maintiens que, du point de vue sécuritaire, la prison est en bonne partie la source même du problème qu’elle a théoriquement vocation de résoudre. On a la délinquance qu’on mérite, serais-je tenté de dire, ou, conformément au proverbe : on récolte ce que l’on sème. Mettre les gens en cage pour qu’ils deviennent dociles à la longue est un pari perdu ; à les traiter comme du bétail en troupeau, il y a infiniment plus de risque de les rendre mauvais, pleins d’amertume ou de rage, qu’à les convertir aux vertus d’une vie droite. Le discours sécuritaire triomphant depuis quarante ans tient donc d’une idéologie trompeuse. A laquelle le grand public est cependant tellement accoutumé qu’il la tient pour vérité incontestable.
En Belgique, si les condamnés à perpétuité sont théoriquement admissibles à la libération conditionnelle après quinze ans, certains ne sortent jamais de prison. Le plus ancien détenu du royaume, Pierre Defosse, condamné pour le meurtre de jeunes auto-stoppeuses dans les années 1980, a déjà passé quarante et un ans derrière les barreaux. Toutes ses demandes de libération ont été rejetées par le tribunal d’application des peines. » Chez nous comme ailleurs, résume Philippe Mary, on a compensé l’abolition de la peine de mort par des dispositifs qui permettent de neutraliser certains condamnés et de les oublier. »
Cette » peine à vie « , c’est justement ce que Bruno Dayez a décidé de combattre. En ouvrant le débat, non seulement dans la presse et sur les ondes radio, mais aussi, et surtout, dans les écoles et les universités où il se dit prêt à aller. L’avocat a déjà reçu plusieurs invitations. Réussira-t-il son pari ? » S’il parvient, avec son bagout, à cultiver le débat de manière à ce qu’on oublie que Dutroux en est l’origine, c’est possible « , pense Philippe Mary. Qui se félicite qu’il y ait encore des hommes de conviction qui s’engagent dans ce genre de défis. Concernant l’ensemble de la société.
(1) Pourquoi libérer Dutroux ?, par Bruno Dayez, 2018, éditions Samsa, 120 p.
Une soirée débat sera organisée en présence de Bruno Dayez, le 21 février à 19 heures à la libraire
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