Le journal « L’Avenir », propriété de Nethys, est sous pression
L’été a été chaud pour le journal L’Avenir. Pressions rédactionnelles, préparation d’un plan de restructuration, liste noire : Nethys veut exercer ses droits de propriétaire.
» Nous estimons, à L’Avenir, que la déontologie doit être la clé de notre travail quotidien. Sans elle, nos articles, nos sujets n’auraient aucune valeur. Le recoupement des sources, la recherche de la vérité, l’indépendance, le respect des personnes, toutes ces règles sont appliquées au quotidien. Ce ne sont pas des paroles en l’air. C’est objectivable. Malgré son audience très large, notre journal n’est quasiment jamais au centre des plaintes rentrées au Conseil de déontologie journalistique. La recherche de la qualité plutôt que de la quantité, la volonté de tourner le dos à tout sensationnalisme explique cela « . Le signataire de ces lignes ? Le rédacteur en chef de L’Avenir, Thierry Dupièreux. L’enquête du Centre d’information sur les médias (Cim) vient d’attribuer à son journal plus de 428 000 lecteurs quotidiens, papier et numérique. Une belle reconnaissance.
Peu de personnes savent que le même Thierry Dupièreux est mis sous pression depuis des mois par l’actionnaire Nethys et que l’idée d’une liste noire circule, dont il ferait partie, lui, l’administrateur délégué de la SA Editions de l’Avenir, Eric Schonbrodt, ainsi que » tous les journalistes qui ont signé un éditorial sur l’affaire Publifin « . La formule est peut-être un peu trop » belle » pour être vraie mais elle fait mouche. Stéphane Moreau règne sans partage sur la SA Nethys. Le comité de direction qu’il préside, et qui comprend aussi Pol Heyse, Bénédicte Bayer et Gil Simon, a les mains libres. Le conseil d’administration lui a accordé les pleins pouvoirs.
La rédaction en danger ?
L’été dernier, le CEO Moreau et son bras droit, Pol Heyse, président du conseil d’administration des Editions de l’Avenir, ont manifestement souhaité reprendre le contrôle du quotidien namurois après les affres de la commission d’enquête Publifin, que le quotidien a couvert avec mesure et impartialité. Selon nos informations, le mercredi 9 août en fin de matinée, Thierry Dupièreux a été convoqué par téléphone et sur le champ au siège de Nethys, à Liège, pour être » débriefé » par Pol Heyse. » Le comité de direction de L’Avenir a fait bloc pour que le rédacteur en chef ne saute pas, rapporte un observateur des médias. Pol Heyse s’est finalement calmé. »
Mais l’insécurité demeure. Le responsable du pôle » médias » de Nethys, le Flamand Jos Donvil, ancien cadre de Telenet, directeur général de Voo, souhaite intégrer davantage L’Avenir dans la stratégie de Nethys. Un plan de restructuration et de licenciement est en préparation pour janvier 2018, nous confirme-t-on à plusieurs sources. L’occasion de se séparer de certains éléments par déplacement ou promotion dans un autre département du groupe ou en faisant pression pour des départs volontaires ? Le personnel du journal est averti et serre les rangs.
Au début de l’automne, la rumeur des pressions de Pol Heyse sur les dirigeants du quotidien namurois s’est transformée en témoignages précis transmis au monde politique.Seul un administrateur de Publifin, Josly Piette (CDH), y a fait allusion mezzo voce lors de la réunion du conseil d’administration du 11 septembre dernier, sans que ce point figure à l’ordre du jour. Stéphane Moreau n’était pas présent, mais bien Pol Heyse. Message reçu ? L’ancien patron de la CSC, bourgmestre de Bassenge et vice-président de Meusinvest n’a rien à perdre. Bourru, réputé » ami des socialistes » et très camarade avec Dominique Drion, l’ancien homme lige du CDH dans la galaxie Publifin, Piette n’a rien à perdre. Personne n’a embrayé. » Il n’y a pas de preuves « , énonce Fabian Culot (MR). En privé, toutefois, certains politiques liégeois sont remontés contre les patrons de Nethys. » Pas touche à l’indépendance de la presse ! Aucun politique ne peut supporter ça, une liste noire, confie l’un d’eux ! C’est juste impensable que des gens soient virés ! Ou que des coups de fil soient passés au rédacteur en chef quand un article ne plaît pas ! » Une autre explication : » Thierry Dupièreux tient tête à ceux qui, en conclave budgétaire, lui demandent des économies sur la rédaction, les journalistes et les correspondants, décrit une source interne. Et on discute de rapprochements au niveau du back office avec Nethys, Voo et Moustique. » Sollicités par nos soins, Thierry Dupièreux et Pol Heyse ont préféré ne pas s’exprimer.
En réalité, les propriétaires de L’Avenir jouent avec le feu. La réputation de probité de L’Avenir et de ses 176 journalistes et 700 correspondants constitue son » fonds de commerce « , un élément immatériel de sa valeur marchande. Vendu en 2007 par l’Evêché de Namur à Corelio (De Standaard, Het Laatste Nieuws), puis racheté par Tecteo (Nethys) en 2014, L’Avenir a connu huit années de résultats positifs sans discontinuer. En 2016, pour la première fois, le résultat net après impôts affichait une perte de 514 000 euros, s’expliquant en partie par le paiement d’un complément d’impôts lié à une correction de 192 000 euros sur le Tax Shelter 2015. En 2017, les chiffres se sont dégradés.
Nethys toujours seul maître à bord
L’affaire Publifin n’a pas empêché Stéphane Moreau de prendre des initiatives en solitaire. Les administrateurs de Publifin, la maison mère entièrement publique de Nethys, n’ont pas été prévenus (ou pas tous). Les 9 et 10 octobre, ils ont enfin reçu un briefing sur le pôle » médias » du groupe, donné par un consultant de McKinsey à la solde de Nethys. Le reste, ils l’ont appris par les journaux. Comme cet accord entre L’Avenir/Nethys et Rossel (Le Soir, Sudpresse) pour racheter l’activité » presse » de IP, la régie publicitaire du groupe RTL Belgium. Détenue par L’Avenir/Nethys (51 %) et par Rossel (49 %), la société Necnec vendra dorénavant les espaces publicitaires des quatorze magasines gérés jusqu’alors par IP (Ciné Télé Revue,Télépro) mais aussi ceux de Rossel et Nethys (Soir Mag, Moustique, Télé Pocket, Be TV Magazine) et, bien sûr, la pub des quotidiens de Rossel et de L’Avenir. Les deux quotidiens se sont réparti le démarchage des annonceurs dans leurs zones d’influence respectives. Rossel Advertising va aussi commercialiser les espaces publicitaires de L’Avenir au niveau national. La prochaine étape de ce rapprochement bruxello-wallon sera sans doute le choix de l’imprimerie de L’Avenir. Rossel (Nivelles) ou EuroPrinter (Gosselies) ? Rossel, dit-on, a aligné ses prix sur ceux d’EuroPrinter, qui avait la préférence des dirigeants namurois du groupe.
Des synergies sont sans doute indispensables dans le secteur de la presse, mais le rapprochement entre Rossel et Nethys (70 % de parts d’audience à eux deux) a fait rugir François le Hodey, patron du groupe IPM (La Libre, La Dernière Heure, Paris-Match Belgique, DH Radio). » Il est inacceptable que des partis politiques se soient rendu complices de cette volonté de créer un tel oligopole « , s’est-il épanché dans ses journaux. Le ministre des Médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a pas réagi. Pas un mot, pas une analyse, pas la moindre velléité d’intervenir. Jean-Claude Marcourt est le patron de la coupole provinciale liégeoise du PS, soutien bien connu de Nethys.
Dévoilé par Le Vif/L’Express le 14 septembre, le débauchage du rédacteur en chef de Sudpresse, Michel Marteau, par Stéphane Moreau en personne (il avait déjà agi de la sorte avec Pascal Vrebos, de RTL-TVI, rémunéré comme consultant » médias » de 2015 à 2017 et contraint à la démission après l’éclatement du scandale Publifin) a parallèlement fait l’effet d’une petite bombe. Marteau devait devenir l’homme de Moreau au sein du groupe Nice-Matin détenu à 20 % par Nethys/Avenir Développement. Mais les cadres et journalistes du groupe niçois ont fait savoir qu’ils ne voulaient pas de ce consultant controversé. » Quand on connaît la pugnacité de cette rédaction qui a géré elle-même son sauvetage, y envoyer Michel Marteau, c’était du n’importe quoi « , juge un expert des médias.
Et si le nouveau point de chute de Michel Marteau était L’Avenir ? Au cours de la dernière quinzaine du mois d’août, une réunion houleuse a accrédité cette hypothèse. Elle mettait en présence Pol Heyse, président du conseil d’administration, Eric Schonbrodt, administrateur délégué, et Thierry Depièreux, rédacteur en chef. » Pol Heyse était très en colère, rapporte un insider, parce qu’il trouvait que Thierry Dupièreux n’avançait pas assez vite dans les projets » médias » dont L’Avenir est le pivot. Il avait alors dressé le profil d’une personne à recruter pour piloter le projet. Ce profil ressemblait étrangement à celui d’un rédacteur en chef. La réunion fut explosive mais Heyse a finalement remisé son projet de recrutement et il semble s’être calmé. »
Autre signe de désescalade ou de temporisation : le conseil d’administration du 6 octobre a été annulé. Il avait à son ordre du jour l’arrivée de Daniel Weekers (conseiller stratégique de Stéphane Moreau), Frédéric Vandeschoor (responsable du » pôle assurances » de Nethys), Jos Donvil (Voo) et Stéphane Moreau. Des administrateurs de choc, diminuant d’autant la marge de manoeuvre de la direction locale du quotidien wallon. Ce CA devait aussi se prononcer sur le choix d’une nouvelle imprimerie pour L’Avenir et donner son feu vert à un plan social ou de restructuration avec départs volontaires. Pour l’anecdote, une journée des cadres était prévue ce jour-là mais comme le CA n’a pas eu lieu, il n’y avait plus de plan de restructuration à présenter. » La journée a été maintenue pour faire comme si de rien n’était, sourit un observateur. Certains cadres se sont étonnés du programme pour le moins light et de l’improvisation de certaines présentations… » Un nouveau conseil d’administration est prévu le 6 novembre. Le temps que Stéphane Moreau soit fixé sur son sort ?
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