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Le grand écart du chanoine Houtart

Les aveux de pédophilie du chanoine Houtart ont suscité une indignation molle en Belgique francophone. Parce qu’il appartenait au camp du Bien ? Ou parce qu’il a fait du bien dans sa vie ? Le parquet de Liège a ouvert une information.

Surnommé le « pape de l’altermondialisme » ou le « chanoine rouge », le baron François Houtart, 85 ans, rejeton d’une grande et digne famille (son grand-père, le comte Henri Carton de Wiart, a été Premier ministre de 1920 à 1921), a trébuché, à quelques pas de la consécration mondiale dont rêvaient ses supporters. Le prix Nobel. En octobre 2009, l’Unesco lui avait déjà décerné le prix Madanjeet Singh pour la promotion de la tolérance et de la non-violence (100 000 dollars). Une piste de lancement prometteuse. Qui faisait presque oublier le reste : son soutien au régime des Khmers rouges, à Fidel Castro, au Hamas (il avait été parmi les premiers pétitionnaires à demander le retrait du Hamas de la liste des mouvements terroristes de l’Union européenne). Et voilà qu’une affaire de pédophilie vieille de quarante ans remonte à la surface. François Houtart l’a reconnue, dans une communication écrite avec le journal Le Soir (29 décembre), alors qu’il se trouvait en Equateur pour quelques mois, chargé de mission par les autorités locales. Le président, Rafael Correa, a été son étudiant en sociologie à l’UCL.

Pour des milliers de personnes en Belgique francophone (l’impact en Amérique latine n’est pas moindre), c’est comme si le ciel leur était tombé sur la tête. Le chanoine Houtart était une icône de la gauche chrétienne, un homme bienveillant pour ceux qui l’ont approché. Sa brillante carrière internationale, son soutien sans faille à la théologie de la Libération (qui tentait de concilier marxisme et Evangile), leur permettaient de garder un pied dans cette Eglise catholique accusée trop souvent du « bon côté du manche ». François Houtart, peloteur d’un petit cousin (il reconnaît avoir « touché ses parties intimes à deux reprises, ce qui l’a réveillé et effrayé »), indigne de l’hospitalité des parents de celui-ci ? Ou, comme l’en accuse la soeur jumelle de ce gamin de 8 ans, aujourd’hui âgé de 48 ans, l’auteur d’un viol – ce qui n’est quand même pas la même chose ? Si tel était le cas, cela jetterait un voile sur l’oeuvre de sa vie. Difficile à accepter pour ses admirateurs et défenseurs qui, sans nier l’événement d’il y a quarante ans, sont tentés d’y voir une faiblesse passagère dans une vie tout entière tournée vers l’humanité.

Enquête ouverte

Même prescrits, les faits de 1970 s’étant déroulés dans la région liégeoise, « le parquet de Liège a ouvert une information », a confirmé au Vif/L’Express le procureur général de Liège, Cédric Visart de Bocarmé. La justice a le devoir de vérifier s’il n’y a pas eu d’autres victimes. La carrière internationale du sociologue, dans des pays pauvres, soulève inévitablement des questions. Dans quelques jours, selon le protocole passé entre le collège des procureurs généraux et la défunte commission Adriaenssens, le dossier sera transmis au parquet fédéral, qui le renverra vers le parquet dans le ressort duquel se trouve le domicile actuel de François Houtart, c’est-à-dire Louvain-la-Neuve, au siège du Centre tricontinental, qu’il a quitté, le 1er novembre 2010, au moment où le Cetri a été informé de l’affaire.

Décalage insupportable

Comme avec l’ancien évêque de Bruges, Roger Vangheluwe, c’est quelqu’un de très proche de la victime – sa soeur jumelle, elle-même abusée au même âge par un paroissien connu de ses parents – qui a dénoncé Houtart à la commission Adriaenssens. Une autre soeur de la victime a exigé l’interruption de la campagne en faveur de la « nobélisation » du chanoine. Le décalage entre sa surexposition médiatique et ce qu’elles en savaient n’était plus supportable.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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