Le chagrin des patrons belges

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Entre un gouvernement fédéral inflexible et des syndicats plus virulents que jamais, les chefs d’entreprise sont inquiets. Tous applaudissent la baisse des charges annoncée. Mais la pension à 67 ans et la taxation du capital les divisent.

D’un patron à l’autre, l’attitude face aux intentions de la coalition suédoise varie beaucoup, selon que l’entreprise dépend avant tout de la demande intérieure ou, au contraire, de l’exportation. Autre exemple : la problématique des coûts du travail et de l’énergie est envisagée très différemment selon que les firmes évoluent dans un secteur fortement automatisé ou recourent encore à une main d’oeuvre abondante. Dans l’ensemble, le gouvernement de Charles Michel bénéficie auprès des chefs d’entreprises d’un a priori particulièrement favorable. Le blocage des zonings par les grévistes suscite la réprobation générale. Plus inattendu : la pension à 67 ans et l’impôt sur la fortune font partie des sujets qui divisent fortement. Immersion dans la Belgique des affaires, en cinq questions. Et avec neuf patrons.

1. Michel Ier, gouvernement pro-business ?

Les chefs d’entreprise apprécient d’avoir affaire, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, à un gouvernement qui choisit résolument de tourner le dos aux thèses syndicales. Position résumée par Johan Beerlandt, à la tête de Besix, géant de la construction (3 500 travailleurs en Belgique, 18 000 dans le monde) : « Je suis ravi qu’un gouvernement de centre-droit soit mis en place plutôt qu’un gouvernement méli-mélo comme avant, où on faisait du surplace. »

2. Ponctionner le capital pour mieux stimuler la compétitivité ?

L’idée récolte des avis mitigés. Attila Borbath, CEO de Synergia Medical, une start-up d’électronique médicale qui emploie cinq personnes à Louvain-la-Neuve, s’y montre favorable. « Si on veut booster la compétitivité des entreprises en allégeant les charges qui pèsent sur elles, on doit trouver d’autres recettes. Je ne suis pas du tout opposé à un tax-shift (NDLR : glissement de la fiscalité du travail vers le capital). D’ailleurs, je me suis toujours demandé pourquoi on ne l’avait pas encore fait. Il doit y avoir des lobbys énormes qui empêchent de taxer les plus-values boursières, le capital, la fortune. »

Michel Leroy,directeur des ressources humaines de la cimenterie CCB et de la Société des carrières du Tournaisis (une joint-venture de la CCB et du groupe suisse Holcim), supervisant 550 travailleurs, est plus circonspect : « Les derniers gouvernements ont procédé à d’importantes diminutions d’impôts et de charges sociales. En la matière, beaucoup a déjà été fait, notamment grâce aux intérêts notionnels. Cela a-t-il eu un impact sur les résultats de l’entreprise ? Sans doute. Un impact sur l’emploi ? C’est absolument zéro. Les effectifs ont continué à diminuer. Dans des entreprises industrielles comme les nôtres, les effectifs sont calculés au mieux par rapport à l’activité qu’on a. Et si les charges baissent, ce n’est pas pour ça qu’on va mécaniquement ouvrir des postes. »

3. Face aux syndicats, la main tendue ou la guerre ouverte ?

Preuve que le climat actuel est incertain et que les patrons sont dans l’attente, l’avis de Pascal Lizin, à la tête du groupe pharmaceutique GSK : « J’attends de voir comment va se dérouler la grève générale de ce 15 décembre avant de prendre une position tranchée. J’espère juste qu’on n’est pas en train de saboter notre modèle social. Car ce modèle de paix et de concertation, tel qu’il a été construit en Belgique depuis 1945, est synonyme de sécurité pour les entreprises, il leur donne une vision sur du moyen terme, et pas seulement sur du court terme. »

Yves Prete, administrateur délégué de Techspace Aero, firme aéronautique qui emploie 1350 travailleurs à Herstal, est plus cash : « Je suis assez choqué qu’on barre l’accès aux zonings, qu’on bloque toute l’économie du pays. On ne construira pas le futur en opposant les entreprises et les travailleurs. »

4. Le saut d’index, une aubaine ? L’érosion du pouvoir d’achat de la classe moyenne, une menace ?

La question suscite des avis très contrastés. Louis Eloy, dirigeant la société familiale Eloy basée à Sprimont, en province de Liège, active dans les travaux de voirie, la production de béton et la conception de stations d’épuration : « Sur le saut d’index, j’ai un gros doute,. Il semblerait que c’est une nécessité pour retrouver la compétitivité. Mais si les citoyens ordinaires ont moins d’argent en poche, ça va être un problème. Il ne devrait être mis en place qu’au-dessus d’un certain niveau de salaire. »

André Radermecker, qui gère la tannerie du même nom, à Warneton (18 travailleurs) : « Honnêtement, je trouve que ce n’est pas une mesure équitable. Je respecte mes ouvriers. Je trouve qu’ils ont le droit de bien vivre aussi. »

5. Allonger la durée des carrières, nécessité ou hérésie ?

Pour certains, ça se discute. Comme Frédéric Jouret, administrateur délégué de Durobor, fabricant de verres à Soignies : « Au niveau du personnel de production, les hommes travaillent dans le bruit, dans des conditions où physiquement, ce n’est pas évident. L’idéal serait d’opérer une cartographique des fonctions les plus pénibles, mais il me paraît difficile d’arriver à un consensus. Dès lors, l’option préférable me paraît le départ à la pension après quarante ans de carrière, plutôt que lier ça à l’âge. »

Son de cloche différent chez Karim Ben Yahia, administrateur délégué de Jarilux, entreprise textile d’Herseaux, près de Mouscron, depuis 1925 : « Pour des entreprises qui ne restructurent pas, les prépensions ne devraient même pas exister. C’est une aberration absolue. Pas mal de gens quittent le monde du travail à 56 ans alors qu’ils pourraient encore travailler dans de bonnes conditions. »

Le dossier et les réponses des patrons à chaque question dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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