Gérald Papy
La députée, le génocide arménien et les affres de l’ambiguïté
L’exclusion du CDH de la députée bruxelloise Mahinur Özdemir pour refus de reconnaissance du génocide arménien constitue un enjeu fondamental pour la construction du vivre ensemble en Belgique.
La problématique est d’autant plus complexe que tantôt la subtilité des principes, tantôt l’ambiguïté des législateurs ne facilitent pas le respect de règles communes. Complexité quand un jeune ado d’origine maghrébine crie au « deux poids deux mesures » devant l’interdiction pour appel à la haine d’un spectacle de l’ex-humoriste Dieudonné alors qu’un dessin de Charlie Hebdo, qu’en tant que musulman, il perçoit comme haineux, est, lui, autorisé. La pédagogie doit alors faire son oeuvre qui distingue la répression de l’incitation à la violence contre les personnes et le droit à la critique des religions et au blasphème. Mais la pratique-t-on suffisamment, cette pédagogie-là ?
Ambiguïté surtout du politique quand l’attitude du ministre des Affaires étrangères Didier Reynders (son absence à la cérémonie de commémoration du centenaire le 24 avril dernier à Erevan, ses circonlocutions pour ne pas utiliser le terme idoine) et la non-reconnaissance officielle du génocide arménien par la Belgique confortent la parlementaire régionale d’origine turque dans son refus.
Pas de manichéisme. Tous les Turcs ne sont pas négationnistes. Pour nombre d’entre eux, l’interdit du terme génocide n’empêche pas d’admettre la réalité des massacres et des déportations qui ont fait 1,5 million de morts au sein de la communauté arménienne de Turquie au début du XXe siècle. En 1919 et 1920, ce sont les dirigeants turcs de l’Empire ottoman finissant qui ont instruit les premiers procès contre ceux qui « ont décidé d’exterminer les Arméniens » avant que la communauté internationale ne réclame de les tenir elle-même pour mieux les verser aux oubliettes des négociations du Traité de Lausanne de 1923. C’est ainsi que la nouvelle République turque laïque s’est bâtie sur le mythe sacralisé d’une nation homogène et dans l’occultation obsessionnelle du génocide de 1915. Mahinur Özdemir et Emir Kir sont les héritiers de cette histoire qui commence à peine à être revisitée d’Istanbul à Ankara.
L’ « affaire Özdemir » questionne donc fondamentalement l’adhésion d’élus aux principes et valeurs de la démocratie belge et la pression sociale que leur communauté d’origine peut exercer sur leur engagement politique. Cette réalité, mieux vaut l’affronter avec le plus de sérénité possible. Le monde politique porte à cet égard une énorme responsabilité. En l’occurrence, la Belgique s’étant engagée dans cette voie avec la Shoah, une reconnaissance officielle du génocide arménien – et du génocide tutsi au Rwanda – qui conduirait à une loi pénalisant leur négation, apporterait une clarification bienvenue. Or, le projet initial de la majorité à la Chambre ne lève pas les ambiguïtés du gouvernement.
Plus généralement, il est à espérer que la « jurisprudence Özdemir » sonne le glas de la course effrénée au vote ethnique et confessionnel que tous les partis ont nourri ces dernières années au mépris de leurs propres valeurs. Un phénomène que des démocrates originaires de ces mêmes pays furent les plus virulents à dénoncer. L’enjeu est crucial parce que la question de la reconnaissance du génocide arménien peut constituer un test de la résistance des dirigeants politiques à d’autres questionnements (égalité hommes-femmes, droit au blasphème, dépénalisation de l’avortement…) qui, sans réponse claire, ferme et argumentée, nuiront définitivement au vivre ensemble en Belgique.
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