Carte blanche
La Belgique va-t-elle enfin retirer l’avortement du code pénal ?
Ce mercredi 4 juillet, la question du retrait de l’avortement du code pénal est à l’agenda de la commission Justice de la Chambre. Ces dernières années, diverses propositions de loi ont déjà été déposées – entre autres par le PTB -, sans que rien ne bouge vraiment. Il y aura donc quand même un débat juste avant les vacances parlementaires.
Les mouvements de femmes et le mouvement pro-choix poursuivent sans relâche la lutte pour le droit à l’avortement. Les récents exemples en Argentine et en Irlande, mais aussi en Espagne et en Pologne, montrent que la pression et la mobilisation sont nécessaires pour faire basculer le débat sur le droit à l’avortement à l’avantage des femmes, en faveur d’un élargissement de ce droit.
Le 25 mai 2018 a été une date historique en Irlande. La population y a voté massivement par referendum pour le retrait du huitième amendement de la Constitution irlandaise. Ce huitième amendement accorde à la vie d’un foetus non-né la même valeur que la vie de la femme qui le porte. Cette disposition rend donc toute interruption volontaire de grossesse totalement impossible. Chaque année, des milliers de femmes irlandaises doivent aller chercher de l’aide au Royaume-Uni.
L’Irlande a la législation sur l’avortement la plus stricte de toute l’Europe occidentale. C’est seulement lorsque la vie de la mère est en danger que l’avortement est autorisé. Et encore… Il y a cinq ans, en Irlande, Savita Halappanavar, une jeune femme de 31 ans, a payé sa grossesse de sa vie. Elle est décédée suite à un choc septique après une fausse couche. Juste avant, et malgré le problème, les médecins avaient refusé d’interrompre sa grossesse. L’histoire de Savita a fortement avivé la résistance contre une législation inhumaine. Pour Savita, le « droit à la vie » a signifié la mort.
La lutte pour l’assouplissement de la législation irlandaise sur l’avortement s’est intensifiée. Le premier objectif était le retrait de ce fameux huitième amendement de la Constitution. Cette lutte a duré cinq ans, face à une très forte opposition du camp « pro-life » qui, avec un soutien international, a mené une campagne choquante et moralisante. Mais ce combat permanent pour le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes a porté ses fruits, et les Irlandais ont enfin ouvert la porte à une réforme progressiste de la loi sur l’avortement.
Cette année, après l’Irlande, c’est en Argentine, le pays d’origine de l’actuel pape, qu’une victoire a été remportée pour le droit à l’avortement. L’Argentine est un pays très catholique, où, en théorie, une interruption de grossesse est un rien plus possible qu’en Irlande, mais dans la pratique, la possibilité d’avorter est nulle. En Amérique latine, le droit à l’avortement existe d’ailleurs seulement dans trois pays (Cuba, Uruguay et Guyana). Aller chercher de l’aide dans un pays voisin n’est donc pas une option. Pour la majorité des femmes qui tombent enceintes de manière non désirée, la seule possibilité est donc un avortement clandestin, ce qui est très rarement fait dans de bonnes conditions.
En Argentine, 47 femmes meurent chaque année des conséquences d’un avortement clandestin. En 2013, les hôpitaux ont soigné en moyenne 135 femmes par jour pour des complications suite à un avortement. En Argentine, le nombre d’avortements clandestins est estimé entre 370 000 et 520 000. Il n’est donc pas étonnant que les organisations de femmes et le mouvement pro-choix exigent que l’interruption de grossesse soit rendue possible de manière légale et dans des conditions sûres.
Par ailleurs, les études montrent que l’interdiction ne fait pas baisser le nombre d’avortements. Ceux-ci se déroulent uniquement dans des conditions dangereuses, avec toutes les conséquences que cela implique pour les femmes. Une bonne législation qui offre un espace sûr aux femmes est absolument nécessaire pour la santé et le bien-être des femmes. C’est ce qu’ont défendu les femmes argentines – et des hommes – qui, d’en bas, ont mis la pression sur leur gouvernement. Enfin, début juin, les députés argentins ont adopté un projet de loi légalisant l’avortement jusqu’à quatorze semaines de grossesse. Mais ce projet doit encore être approuvé par le Sénat. Si la loi passe, l’Argentine rejoindra ainsi Cuba, l’Uruguay et le Guyana, où les femmes peuvent décider de leur propre corps en toute légalité et sécurité.
Qu’en est-il de la Belgique ? Chez nous aussi, c’est un thème très important à l’agenda des organisations de femmes, d’associations et de certains partis politiques. Mais pourquoi ? À première vue, ici, il semble que la situation soit loin d’être mauvaise. Et effectivement, avec la loi de 1990, nous avons connu une très grande avancée. Cette loi permet à une partie des femmes enceintes de manière non désirée d’avorter dans des conditions sûres, mais ce n’est pas le cas pour toutes. Si nous voulons réellement le libre choix des femmes, nous devons adapter la loi, car l’avortement figure toujours dans le code pénal et est seulement possible sous certaines conditions.
Une récente enquête parmi la population belge montre que la majorité des gens estiment que l’avortement doit être retiré du code pénal. D’abord et avant tout, le fait que la loi continue aujourd’hui à considérer une interruption de grossesse comme un délit crée un important obstacle d’ordre moral. Il ne s’agit pourtant pas d’un délit, mais d’un acte médical qui doit être considéré comme tel par la législation. C’est pourquoi il faut retirer l’avortement du code pénal. Toutes les femmes n’éprouvent pas la même difficulté à décider d’interrompre leur grossesse, mais, pour toutes, il est important de ne pas avoir le sentiment de faire quelque chose de « mal » en décidant d’avorter. Cette connotation pèse en effet lourd dans la décision et dans le sentiment de culpabilité que gardent les femmes suite à leur choix de ne pas poursuivre leur grossesse. Ce n’est qu’en retirant l’avortement du code pénal et en le qualifiant de ce qu’il est – un acte médical – que l’on peut supprimer ce poids moral.
Aujourd’hui a lieu un débat au Parlement fédéral à ce sujet. Différents partis d’opposition, qui avaient déjà présenté des projets de loi à ce sujet, défendent aujourd’hui un projet de loi conjoint qui retire l’avortement du code pénal. Elle étend le délai légal à 18 semaines et réduit le délai de réflexion à 48 heures. Une proposition très progressiste qui répond à la réalité et aux besoins de nombreuses femmes.
Hier, les partis de la majorité ont également présenté leur propre projet de loi. À première vue, c’est une bonne chose, mais les apparences sont trompeuses. Les partis du gouvernement essaient de réduire la discussion à une discussion de forme, et ce n’est pas cela. Le poids moral est un véritable obstacle pour de nombreuses femmes, et cela doit être reconnu. En outre, la proposition de la majorité conserve le délai légal de 12 semaines et six jours de réflexion. De cette façon, elle maintient une situation arbitraire qui, pour beaucoup de femmes, n’offre pas de solution.
En outre, ils veulent des sanctions pénales pour les femmes qui vont au-delà du cadre juridique. Concrètement : une femme qui subit un avortement aux Pays-Bas pendant la quatorzième semaine de grossesse doit être punissable, selon eux. Beaucoup de femmes sont dans cette situation. Le gouvernement lui-même est ainsi moralisateur.
Il est par ailleurs étrange, c’est le moins qu’on puisse dire, que le gouvernement veuille lier le vote visant à retirer l’avortement du droit pénal à une loi qui réglemente le statut des enfants mort-nés. Le chagrin des parents est réel et mérite le respect. Il ne devrait pas servir de monnaie d’échange pour retirer l’avortement du code pénal. En menant les deux discussions en parallèle, les partis de la majorité tentent de faire un lien entre un dossier très chargé émotionnellement et la question de l’avortement alors qu’il s’agit de deux situations qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre.
La proposition de la majorité n’est pas une véritable dépénalisation, mais plutôt d’une version light. Comme l’Irlande et l’Argentine, la Belgique pourrait être à l’avant-garde dans ce domaine et être une source d’inspiration pour d’autres pays. En Europe, l’accès à l’avortement est toujours limité dans de nombreux pays. La Belgique peut donner un signal clair en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps et ainsi encourager les très nombreuses personnes qui luttent dans d’autres pays européens et les soutenir dans leur combat pour les droits reproductifs. Jusqu’à présent, en Belgique, les partis de la majorité freinent toute avancée. Même si un débat se tient en commission de la Chambre, nous devons rester vigilants, continuer à lutter et à mettre la pression d’en bas. Car l’avortement est un droit. Nous voulons donc une vraie dépénalisation, sans plus aucune sanction pénale sur les femmes, avec un rallongement du délai à 18 semaines et un temps de réflexion plus court de 48h.
Françoise De Smedt, responsable du groupe de travail Femmes du PTB
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