La Belgique se débarrasse de son ivoire, mais la réglementation n’est pas sans faille
La Belgique récupère les encombrants souvenirs d’une époque révolue: une grande campagne a été lancée dans le royaume pour se débarrasser d’objets en ivoire, dont le commerce est sévèrement encadré en Europe — mais pas sans faille selon le collectif citoyen Avaaz.
Alice Lejeune vidait la maison d’un oncle décédé lorsqu’elle est tombée sur deux petits objets en ivoire.
« Mes grands-parents ont vécu au Congo, donc on suppose que cela vient de là-bas, mais je n’avais pas de documents qui en attestaient avec certitude », explique-t-elle à l’AFP.
La jeune femme, qui travaille au ministère belge de la Santé publique, a profité de la grande campagne lancée par son employeur pour s’en débarrasser.
Depuis mai en effet la Belgique a lancé l’opération « Sors tes dents » pour récupérer un maximum d’objets en ivoire chez les particuliers.
Le royaume fait partie des Etats membres qui accélèrent leurs efforts. Dès août 2016, la France a durci sa législation et interdit le commerce d’ivoire brut. Au Royaume-Uni, un projet de loi prévoit d’interdire complètement de vendre des objets contenant de l’ivoire, quelle que soit leur date de fabrication.
Les militants d’Avaaz, un collectif qui se mobilise sur de grandes causes internationales et demande l’interdiction générale du commerce de l’ivoire, ont de leur côté mis à rude épreuve la législation européenne en testant au carbone l’ancienneté d’une centaine de pièces contenant de l’ivoire qu’ils ont achetées.
– Passé colonial –
Dans l’Union européenne, l’âge a de l’importance, car il détermine si le commerce est légal ou pas: selon la législation communautaire, tout objet travaillé en ivoire « antique », datant d’avant 1947, peut être commercialisé sans contrainte. Mais seuls les objets travaillés accompagnés d’un certificat officiel datant d’entre cette date et d’avant 1990 peuvent être commercialisés. Après cette date, toute vente est interdite.
Or sur les pièces expertisées par Avaaz avec l’aide d’un professeur de l’université britannique d’Oxford, un cinquième (19,3%) étaient issues d’éléphants tués après l’interdiction mondiale du commerce d’ivoire en 1989, selon une étude révélée mardi. En outre, les trois-quarts dataient d’après 1947 et auraient dû nécessiter un certificat.
« Ces preuves explosives montrent sans aucun doute que de l’ivoire continue d’être vendu illégalement en Europe. Cela doit déclencher la fin de ce commerce sanglant », s’est insurgé Bert Wander, directeur de campagne chez Avaaz, pour qui l’exception de 1947 est une « faille » dans le système en faveur des trafiquants.
Depuis le 1er juillet 2017, la Commission européenne recommande aux Etats membres de ne plus délivrer de documents d’exportation pour l’ivoire brut. Le Parlement européen fait pression pour interdire totalement le commerce de l’ivoire.
« On pense qu’il y a beaucoup d’ivoire chez les citoyens du fait du passé colonial de la Belgique. Notre principal but est de lutter ainsi contre le trafic et contre le braconnage des éléphants », souligne Joelle Smeets, porte-parole du ministère belge de la Santé publique.
– Héritages de famille –
Quatre conteneurs ont été déployés dans le pays: un à Bruxelles dans les locaux du ministère, et les autres au parc animalier de Pairi Daiza (ouest) et aux zoos d’Anvers et de Planckendael (nord). En un peu plus de deux mois, l’opération « Sors tes dents » a permis de récupérer environ 180 kilos d’ivoire.
Brosse à cheveux, miroir, coupe-papier, mais aussi des défenses entières ont été rapportés. Inspirée, une femme a même accompagné son dépôt d’un magnifique manteau en peau de léopard, raconte Joelle Smeets.
« Tant que l’ivoire reste en possession des citoyens, il est considéré comme légal », rappelle-t-elle. Mais « ça se corse » quand l’ivoire date d’avant 1984, date à laquelle la Belgique a adhéré à la convention CITES (la convention internationale qui organise le commerce des espèces protégées).
« Il faut pouvoir prouver que l’ivoire date d’avant 1984. Cela peut être prouvé avec des photos, des pièces d’acquisition, mais bien souvent quand il s’agit d’un héritage, d’un don, d’un legs, ces pièces n’existent plus. Donc les gens se retrouvent avec ces pièces dont ils ne savent quoi faire », note Joelle Smeets.
Son collègue Bruno Cachapa est inspecteur CITES. Il traite régulièrement des demandes de régularisation faites par des particuliers pour des défenses d’éléphant, « souvent des héritages familiaux ».
« Dans ce cadre-là, on essaie de régulariser un maximum. Par contre, s’ils ne peuvent pas attester de l’ancienneté des défenses, on les avertit qu’ils ne peuvent pas en faire commerce et une opération comme +Sors tes dents+ est utile pour s’en débarrasser de manière légale », souligne M. Cachapa.