L’immobilier peut-il sauver votre pension ?
Comptes d’épargne, actions, obligations, produits d’assurance : vos placements ne rapportent plus grand-chose. Comment dès lors s’assurer un complément de retraite suffisant, à l’heure où il y a de moins en moins d’argent pour payer les pensions ? Gros plan sur la brique qui gagne en popularité ces dernières années.
Jeune quadragénaire, Bruno est médecin. Marié, père de deux enfants, il gagne plutôt bien sa vie. Propriétaire d’une maison en Brabant wallon, il dispose aussi d’un petit bas de laine : environ 50.000 euros. Un capital qui est aujourd’hui pour partie placé en Bourse et réparti sur divers comptes d’épargne. D’ici une bonne vingtaine d’années, Bruno espère ne plus devoir travailler et prendre sa pension. Il commence très sérieusement à réfléchir à sa retraite. Histoire de conserver son train de vie : voyages, restaurants, etc.
De plus en plus peur
En cette année 2012, Bruno est loin d’être un cas isolé. De plus en plus d’actifs (professions libérales, indépendants mais aussi salariés) songent à la manière dont ils vont « financer » leurs vieux jours. « Le sentiment d’insuffisance de la pension légale est palpable, observe Bertrand Roland, conseiller & partner chez Devaux & Associés. Certains se rendent compte que ce pilier sur lequel ils comptaient sera extrêmement précaire. D’autres nous disent carrément ne plus vouloir en tenir compte dans leurs prévisions. »
Un état de fait qui se confirme du côté des banquiers. « On sent clairement un malaise, note Benoît Lacheron, responsable du Degroof Lifecycle Management à la Banque Degroof, entité spécialisée dans la planification patrimoniale des baby-boomers retraités et futurs retraités. Il y a aujourd’hui une réelle prise de conscience quant à la perte de revenus lors du départ à la retraite. Surtout pour les hauts salaires. » Quant à cet autre banquier haut de gamme, anonyme pour la circonstance, il constate que « les mauvaises prestations des marchés poussent les particuliers, même jeunes, à se détourner de la Bourse pour miser sur la valeur refuge que représente l’immobilier résidentiel ». Un placement perçu par ces futurs pensionnés comme nettement plus sûr à long terme que les actions pour se constituer un complément de retraite. La pierre, y a que ça de vrai, se disent-ils. C’est du solide !
Taux historiquement bas
Mais pourquoi, au juste, l’immobilier gagne-t-il tant en popularité auprès des futurs pensionnés ? « D’abord parce qu’ils ont peur, renchérit Jean-Baptiste Van Ex, en charge des activités immobilières chez Degroof où la brique a toujours été une activité importante. Ils sont effrayés par la volatilité des marchés et se disent que l’argent qu’ils devraient avoir pour leur pension pourrait fondre comme neige au soleil. A cela s’ajoutent des craintes liés à l’inflation et des taux d’intérêt qui sont bas. » Très bas même.
Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’argent n’a en effet été aussi bon marché. Autant s’endetter pour en profiter. D’où cet intérêt pour la brique. Surtout que la crise est là. Bien là. Du sauvetage des banques aux difficultés de la zone euro, elle a ébranlé les finances publiques pour des décennies. Ce qui accentue une crainte déjà bien ancrée dans l’esprit des gens : il y a de moins en moins d’argent pour payer les pensions.
D’autant plus inquiétant, se dit-on, que l’espérance de vie ne cesse d’augmenter. Tout comme la sortie anticipée du circuit du travail, qui continue de gagner en importance. Bref, nous sommes désormais en mesure de profiter d’une retraite parfois presque aussi longue que la carrière professionnelle.
Le 2e pilier flanche
Autre souci : les aléas boursiers liés à la crise frappent aussi de plein fouet les pensions complémentaires, mieux connues sous l’appellation « deuxième pilier », constitué par les versements auprès de régimes d’assurances de groupe ou de fonds de pension liés à la profession ou organisés au niveau des entreprises ( Ndlr : on y trouve également les pensions complémentaires pour indépendants ou les engagements individuels de pension, les fameux EIP). Bruno en a dernièrement entendu parler. Il a aussi lu quelques articles de presse où Assuralia, la fédération des assureurs belges, tirait la sonnette d’alarme.
C’est un fait, nombreux sont les fonds de pension qui connaissent des difficultés financières. De même, les compagnies d’assurance sont sous pression en matière d’assurance de groupe, ces pensions extra-légales constituées dans le cadre de l’entreprise. Avec des taux au plancher (celui des obligations de l’Etat belge à 10 ans est légèrement inférieur à 2,5 %), il devient de plus en plus difficile pour les assureurs d’octroyer des rendements supérieurs à l’inflation. La meilleure preuve en est l’abaissement des taux garantis sur les nouveaux contrats d’assurance de groupe opéré dernièrement par plusieurs compagnies (Allianz, Axa etc.), alors même que la loi oblige à fournir un rendement obligatoire de 3,25 % sur les primes payées par les employeurs ou 3,75 % sur celles payées par les salariés.
Un investissement stable
Mais revenons à notre ami Bruno. Conscient de tout ce qui précède, et plutôt que de laisser ses 50.000 euros en banque sur des comptes d’épargne dont le rendement s’enfonce dans le rouge pour cause d’inflation, il se dit qu’il pourrait utiliser son bas de laine comme mise de départ pour faire l’acquisition d’un petit appartement et puis le mettre en location. Il est vrai que depuis le début des années 2000, l’immobilier a largement battu les actions belges. Selon une étude de la banque ING, le prix d’une habitation moyenne a plus que doublé au cours des 10 dernières années. Dans le même temps, le BEL 20, l’indice phare de la Bourse de Bruxelles, a lui perdu un quart de sa valeur (voir graphique). Le bond est encore plus spectaculaire pour les appartements. Selon les statistiques du bureau Stadim, leur prix moyen est passé de 88.936 à 195.402 euros sur la période allant de 2000 à 2011. De quoi assurer à Bruno le complément de revenus qu’il recherche ? La question est bien évidemment de savoir quel sera le capital nécessaire pour assurer son train de vie. Et si les revenus de ce capital seront suffisants ou s’il devra être entamé. Mais « cela peut très certainement aider », avance Stijn Paredis, conseiller chez Optima où la proportion de nouveaux clients ayant opté pour un investissement immobilier a progressé de 16 à 20 % au cours des deux dernières années.
Il faut dire qu’en plus de sa fiscalité attractive (pas de taxation de la plus-value au-delà de cinq ans, pas de taxation des loyers sur base réelle), « l’immobilier belge présente une stabilité de valorisation très sérieuse qui gomme toute dimension spéculative, contrairement à l’immobilier espagnol, irlandais et même français », juge pour sa part Eric Verlinden, administrateur délégué du réseau Trevi. Oui mais, « l’immobilier n’est pas un rempart absolu contre les rendements plus faibles voire négatifs à certains moments, prévient malgré tout Julien Manceaux, senior economist chez ING Belgique. Les rendements du passé ne présagent jamais des performances futures. »
Gare au style de vie
Tout dépendra aussi du style de vie, avance pour sa part Bertrand Roland. « Quelqu’un qui est plusieurs fois grand-père, voyage beaucoup et joue au golf aura un style de vie forcément plus coûteux qu’un passionné de lecture qui n’a pas d’enfants. »
En règle générale, on estime que pour vivre confortablement en tant que pensionné, il faut veiller à avoir un revenu net équivalent à 80 % de votre dernier salaire (en tenant compte des avantages salariaux tels que la voiture, le GSM, les chèques-repas, etc.). Faites le calcul sachant que la pension tourne en moyenne autour des 1.000 euros nets par mois pour un salarié, 600 euros pour un indépendant et plus de 2.000 euros pour un fonctionnaire ( lire l’encadré « Des pensions relativement basses »). En clair, cela signifie que la majorité des Belges perçoivent environ la moitié de leur ancien salaire, une fois partis à la retraite. Celui qui bénéficie d’un second pilier pouvant espérer atteindre les 70 %, selon diverses estimations.
Le fait que d’ici-là les enfants de Bruno auront quitté la maison, et que comme de nombreux Belges lors de leur départ à la retraite il sera propriétaire de son logement, ne suffira pas à assurer l’équivalence attendue du train de vie par rapport à celui prévalant durant sa vie active. C’est qu' »il faut bien souvent alors faire face à des frais de rénovation », rappelle Benoît Lacheron faisant également allusion aux changements dans les habitudes de consommation et à d’éventuelles dépenses liés aux soins d’assistance. Voire de dépendance.
Quel complément de revenu ?
Avec des ressources estimées à plus ou moins 70 % du dernier salaire, comment très concrètement combler le fossé ? On considère qu’il faut à l’heure actuelle disposer d’un capital de 100.000 euros pour chaque tranche de 259 euros supplémentaires par mois. Autrement dit : pour chaque tranche de 100 euros supplémentaires par mois, il faudra à Bruno un capital de 38.530 euros. Une estimation qui se base sur une retraite à 65 ans et une espérance de vie de 100 ans, un rendement brut de 3,5 % par an et une inflation annuelle de 3 %. Et à condition d’accepter de manger son capital. A terme, il ne restera donc plus un centime pour les héritiers de Bruno.
Face à ce constat, un investissement dans l’immobilier a de quoi séduire. Pour faire simple, prenons l’achat d’un bien dont la valeur est estimée à 200.000 euros. Celui-ci est financé pour moitié-moitié sur fonds propres et par le biais d’un prêt hypothécaire classique sur 20 ans (taux d’intérêt de 3,5 %). En 2032, le bien aura une valeur estimée à 361.222 euros (en tenant compte d’une prise de valeur annuelle de 3 % par an). Placée pendant 20 ans sur un compte épargne, la même mise de départ de 100.000 euros vaudra à peine la moitié, soit 180.610 euros (en tenant compte d’un taux d’intérêt de 3 % alors que les meilleurs comptes d’épargne proposent pour le moment un rendement global d’à peine 2 %).
Bien sûr, il faut rembourser le prêt pendant 20 ans. Mais l’astuce, c’est que le loyer (revenus locatifs bruts estimés à 4 % de la valeur du bien, soit 666 euros par mois) couvre dans une large mesure les charges de remboursement mensuel (577 euros par mois). Bref, le calcul est vite fait. D’autant que ces loyers sont indexés. « Contrairement aux obligations et aux comptes d’épargne, rappellent Jean-Baptiste Van Ex, deux classes d’actifs considérées au même titre que l’immobilier comme peu risquées. Mais dont les revenus ne suivent malheureusement pas l’inflation. »
Hypothéquer sa pension extra-légale
Mais il y a mieux. Il est possible d’utiliser sa pension du second pilier (branche 21) pour financer un achat immobilier. La formule permet de disposer de la somme nécessaire sans pour ainsi dire s’endetter. Pour cela, il suffit de demander la mise en gage de son plan de pension. L’idée est d’utiliser le capital garanti à l’échéance pour rembourser un emprunt hypothécaire de type bullet, c’est-à-dire ou le capital n’est remboursé qu’à l’échéance. Seuls les intérêts sur le capital emprunté sont à la charge de l’emprunteur pendant toute la durée du prêt. Intérêts qu’il est possible de couvrir par les loyers retirés de la location du bien acheté. Avec comme résultat final, un patrimoine dont la valeur aura quasiment doublé en 20 ans ( lire l’encadré « Doubler son capital en 20 ans »).
Des enseignes comme AG Insurance, Record Bank ou Elantis (filiale de Belfius) acceptent ce genre de mise en gage. Moins aventureux que le prêt hypothécaire reconstitué par le placement dans un produit d’assurance de la branche 23 (dont le capital et le rendement ne sont pas garantis parce que soumis aux fluctuations boursières), le montage présente malgré tout certains risques. Outre l’incertitude liée aux revenus locatifs (entretien, travaux, vacances locatives, etc.), il faut être capable de constituer le capital espéré à terme. Il est aussi un peu plus incertain que par le passé dans la mesure où, comme évoqué plus haut, on se demande si les compagnies d’assurance pourront faire face à leurs engagements dans 10 ou 20 ans. Séduisante sur papier, la formule n’apparaît donc pas comme « la » solution pour se constituer un complément de retraite. « Dire le contraire serait faux », concède Bertrand Roland. Mais, négliger l’investissement immobilier et le levier du crédit hypothécaire dans un plan de développement patrimonial serait, selon lui, un tort.
Quel bien choisir ?
Outre ces risques potentiels, « le succès d’une telle opération dépendra bien sûr aussi du choix du bien », souligne encore Bertrand Roland. Appartements dans le quartier européen, studios, villas dans le sud de la France, maisons de repos : un facteur extrêmement important est la localisation. « Il faut avant toute chose regarder le potentiel locatif et éviter de fonctionner aux coups de c£ur liés à l’achat d’un logement dans lequel on compte habiter », conseille Eric Verlinden, administrateur délégué du réseau Trevi, recommandant de cibler les produits de masse tel que le moyen de gamme. Pas de produits de niche donc.
Même son de cloche chez Optima où Stijn Paredis préconise de jouer la carte du neuf pour petites unités confortables situées dans les grandes villes (Bruxelles, Anvers, Gand ou Namur). « Question aussi de mobilité », souligne-t-il.
Quant à Jean-Baptiste Van Ex, il recommande de cibler les centres villes et d’opter pour de petits logements à revenus modérés (loyer potentiel de maximum 1.000 euros par mois) ainsi que les maisons de repos ou résidences- services. D’ici 2030, une personne sur quatre aura plus de 65 ans, dit-il. « C’est donc dans ces créneaux qu’il faut investir ! » Et de préférence dans le neuf, normes énergétiques obligent.
Ne pas oublier vos enfants !
Intéressant d’un point de vue rendement, actif tangible, investissement stable, fiscalité attractive, etc. : l’immobilier pose malgré tout un problème. « C’est un actif illiquide », rappellent en ch£ur nos divers interlocuteurs. S’en séparer prend du temps. Et sa transmission aux héritiers coûte cher. Les biens immobiliers sont en effet lourdement taxés en cas de succession et de donation, alors que l’argent et les valeurs mobilières peuvent être données quasiment sans frais. Tout comme les sicafis et certificats immobiliers qui offrent en outre une grande diversification ( lire ci-contre). D’où l’importance de mettre en £uvre une stratégie de planification successorale de nature à alléger la facture fiscale. Mais qui ne parviendra jamais à l’annuler totalement. Surtout qu’avec la nouvelle loi anti-abus, certains montages comme la donation avec réserve d’usufruit sont devenus incertains. Sans oublier enfin qu’un resserrement de la fiscalité immobilière (taxation des loyers réels…) n’est pas à exclure, se dit Bruno. Mais bon, en matière de pension comme ailleurs, le pire c’est… l’immobilisme.
Sébastien Buron
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