L’étrange contact entre le cabinet Reynders et Etienne des Rosaies
Jean-Claude Fontinoy, expert au cabinet du ministre des Affaires étrangères et vieux compagnon de route de Didier Reynders, aurait été en contact avec le sulfureux conseiller de Nicolas Sarkozy lors de la vaine tentative d’anoblir l’homme d’affaires Georges Forrest. Et ce, après que le Kazakhgate a éclaté.
Les relations de Jean-François Etienne des Rosaies avec les Belges les plus fortunés et avec ceux qui entourent Didier Reynders semblent intenses. On sait que cet ancien préfet français et conseiller de l’ombre de Nicolas Sarkozy, qui se vantait d’être le « parent » d’Armand De Decker, a joué un rôle important dans l’affaire Chodiev. Un de ses mails, envoyé au ministre français Claude Guéant 48 heures après la conclusion de la transaction pénale conclue le 17 juin 2011 au parquet général de Bruxelles, impliquait d’ailleurs non seulement De Decker, mais aussi deux ministres CD&V, Steven Vanackere et Stefaan De Clerck, et surtout… Didier Reynders, alors ministre des Finances MR.
Les deux libéraux contestent les affirmations de Jean-François Etienne des Rosaies. « Je n’ai eu aucun contact avec qui que ce soit dans ce dossier, je renouvelle le démenti », répétait encore le vice-premier ministre ce week-end. Armand De Decker, lui, avait jadis qualifié les déclarations d’Etienne des Rosaies de « farfelues ». Pourtant, il semblerait que le conseiller de Sarkozy a encore entretenu des relations avec un autre proche de Didier Reynders, au sein même de son cabinet, et bien après que le scandale du Kazakhgate a éclaté, suite aux révélations du Canard Enchaîné, en octobre 2012.
Explications : outre Patokh Chodiev, Jean-François Etienne des Rosaies a travaillé pour un autre homme d’affaires belge, Georges Forrest. Comme le révélait l’an dernier Médiapart, celui-ci avait rétribué Jean-François Etienne des Rosaies, en 2013 et 2014, à hauteur de 95.000 euros. Un versement que Forrest n’a pas nié, mais qui n’était pas en lien avec Chodiev. Il se serait plutôt agi d’aider à l’anoblissement par le Royaume de Belgique de l’industriel, principalement actif en Afrique centrale et par ailleurs proche de plusieurs personnalités du Mouvement Réformateur. C’est en tout cas ce qu’a expliqué l’avocat de Jean-François Etienne des Rosaies à Médiapart, en juin 2015.
Or il nous revient à plusieurs sources que le cabinet Reynders se serait, lui aussi, investi dans cette quête de titre nobiliaire, et pas seulement parce que le Conseil de la noblesse et la Commission d’avis sur les faveurs nobiliaires dépendent du ministère des Affaires étrangères… Selon ces sources, à la fin de l’automne 2013, Jean-Claude Fontinoy, vieux compagnon de route de Didier Reynders et expert à son cabinet a, en personne, mobilisé certains milieux, diplomatiques notamment, autour de la personne de Jean-François Etienne des Rosaies.
Ce dernier est « Conseiller spécial du Grand Chancelier de l’Ordre de Malte », une fonction importante au sein de cet Ordre. Il est proche du Grand Chancelier, Jean-Pierre Mazery, ce qui aurait pu permettre de gonfler le projet d’anoblissement de Georges Forrest. Fin 2013, des Rosaies était pourtant déjà entouré d’une sulfureuse réputation, gênante pour Reynders parce que celui-ci a déjà été évoqué dans la note révélée par Le Canard. Pourtant, selon nos sources, cela n’aurait pas empêché Etienne des Rosaies d’avoir un contact, fin 2013, avec Jean-Claude Fontinoy.
Lequel conteste vivement la chose. « La commission d’avis sur les concessions de faveurs nobiliaires de haut rang est souveraine et elle ne relève pas de mes attributions au cabinet des Affaires étrangères », nous dit Fontinoy, avant de « démentir formellement » avoir jamais été en relation avec le sulfureux conseiller de Sarkozy. « Je ne le connais pas, je n’ai pas participé à la procédure d’anoblissement de Georges Forrest, même si on en parlait beaucoup à l’époque. Etienne des Rosaies n’avait rien à voir là-dedans ». Ce qui est certain, c’est que l’entreprise de des Rosaies pour Forrest n’a pas abouti comme les deux hommes l’attendaient. La Commission d’avis, citée plus haut, a opposé son veto. Mais Georges Forrest a tout de même reçu un lot de consolation. Sur proposition du ministre des Affaires étrangères, il s’est vu octroyer, en mars 2014, la distinction honorifique de Grand officier de l’Ordre de la Couronne.
Tout cela est évidemment interpellant, entre autres par rapport aux informations publiées par Le Soir de ce jour sur les relations entre la diplomatie belge et l’Ordre de Malte. Le quotidien rappelle qu’Armand De Decker entretenait de bonnes relations avec l’Ordre et Mazery, déjà aux débuts des années 2000, lorsqu’il était ministre de la Coopération. Plus tard, en 2012, sous l’office de Didier Reynders, la Belgique et l’Ordre se sont rapprochés. Et le ministre MR a effectué une visite officielle au Vatican, où est basée cette association caritative prestigieuse, fort prisée par l’aristocratie, et qui a le statut de sujet de droit international public, avec sa Constitution et ses propres institutions.
L’Ordre de Malte est également cité dans l’enquête sur Armand De Decker, à plusieurs reprises. Il aurait permis à des Rosaies de renouer le contact, fin 2010, avec l’ancien président du Sénat. Lequel est appelé « cousin germain » par des Rosaies dans une de ses notes adressées à Claude Guéant. D’après un spécialiste, « cousin germain » désignerait une personne qui travaille pour l’Ordre ou y est associée, mais sans en être membre. Pour cela, il ne faut pas nécessairement être d’obédience chrétienne.
Par Nicolas De Decker et Thierry Denoël (enquête avec De Standaard)
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