« L’école crée une jeunesse peureuse et pleutre »
Le philosophe français Vincent Cespedes s’intéresse dans son dernier ouvrage, Oser la jeunesse (Flammarion), aux « nouveaux jeunes » dans une société qui, assure-t-il, ne rate jamais une occasion de les déconsidérer. Pour les sauver du suivisme consumériste ou du manichéisme des islamistes, il exhorte à leur réinsuffler l’élan de la passion alors que l’école, « usine à normaliser », n’est plus, selon lui, en mesure de remplir cette mission.
Vous écrivez que « la résignation est un plat qui se mange tôt ». Comment expliquez-vous cette résignation d’une partie de la jeunesse ?
Vincent Cespedes : On la résigne. On ne lui laisse aucun débouché qui pourrait conjuguer l’avenir et la passion. On lui dessine un avenir gris, triste, dépassionné, normalisé. Au lieu d’être emplie de désir, de passion, d’envie, d’héroïsme et d’ambition, la jeunesse est en attente de normalisation désactivée, dévitalisée, complexée qu’elle est de tout ce qu’elle a appris à l’école.
L’école aurait donc une grande responsabilité dans ce constat ?
Les jeunes entrent à l’école passionnés et gourmands de connaissances et ils en sortent complètement dévitalisés, sans plus aucune envie de lire ni d’écrire. Personne ne peut supporter de rester sur une chaise huit heures par jour. Même en milieu carcéral, on ne fait pas subir cela aux détenus. Il est hallucinant que cette jeunesse-là, reflet de la massification de l’enseignement qui n’est plus réservé à une petite élite, subisse encore les méthodes archaïques d’enseignement des années 1950 – 1960.
L’école forme-t-elle ou des suiveurs, ou des réactionnaires ?
Elle forme des consommateurs. Il n’y a aucune ouverture concrète et passionnée sur le débat. Les jeunes au sortir de l’école ne savent pas prendre la parole en public ou lire un livre en anglais. L’école crée une jeunesse peureuse et pleutre qui préfère la haine à des passions plus nobles. Elle ne pratique aucun exercice démocratique alors qu’elle devrait être une matrice démocratique. Il faudrait un budget par classe dont les élèves décident l’affectation et des créations collectives. Les seuls professeurs que l’on garde en mémoire une fois adulte sont des professeurs passionnés qui étaient, du coup, passionnants. L’école est une usine à normaliser, à légitimer les différences sociales. Elle permet de dire au fils d’ouvrier que s’il en est réduit à faire le boulot de son père, ce n’est pas de la faute du système injuste mais de la sienne parce qu’il n’a pas assez travaillé. L’école n’a que des codes bourgeois. Seuls les fils de bourgeois peuvent s’en sortir, au besoin avec des heures de cours particuliers. Regardez la crispation en France autour de la suppression du cours de latin. A quoi le latin peut-il encore servir ? Si on veut l’étymologie d’un mot, il y a Wikipédia. Si on veut l’apprendre, on peut commencer à 18 ans et être très bon en l’espace de deux ans. Les maths ? Sinus et cosinus ne m’ont jamais servi dans la vie. On nous dit que cela sert à former le jugement. Que dalle ! C’est une école de papa pour faire de bons fils à papa. Cela ne marche pas en banlieue. En France, 150 000 élèves sortent tous les ans du système sans aucun diplôme.
Comment expliquer ce conservatisme ?
Parce que la France est un pays où les vieux gouvernent et font l’opinion. On ne peut plus aller à la télé dire ce que l’on pense si on n’a pas plus de 40 ans. C’est un hold-up démocratique d’une classe âgée sur les jeunes. On veut les jeunes sous contrôle.
L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :
– comment la téléréalité a éloigné un peu plus encore les jeunes des espaces de débat
– pourquoi la soif des jeunes n’est pas celle de la liberté
– l’attraction du Front national
– « Les réseaux sociaux ne valent que par la passion »
– « L’ambition n’est pas démocratique »
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