Groupe du vendredi
L’eau universitaire bénie du politique
Suite à la décision du gouvernement flamand de Geert Bourgeois de réformer les allocations familiales, des chercheurs de l’université d’Anvers qui avaient participé aux travaux préparatoires du nouveau système, ont attaqué virulemment le projet, ce sur quoi le Ministre-Président a rappelé que les universitaires étaient contractuellement tenu à la discrétion. De la censure, quoi.
C’est ainsi que la question si les universitaires peuvent ouvertement critiquer les plans politiques pour lesquels ils ont réalisé des travaux préparatoires s’est trouvée au centre de l’attention médiatique. Mais ce qui est bien plus intéressant que la réponse à cette question – qui est évidemment « évidemment – c’est le débat sur le lien entre la politique et l’université.
Il y a quelques semaines, nous avons reçu un consultant qui est venu nous expliquer la façon dont la Suède avait entrepris des réformes complexes. Ce processus de changement était conduit par un comité de pilotage composé de hauts fonctionnaires, de représentants issus de la société civile et qui – selon ses dires – avaient été « bénis d’eau universitaire ». Pour donner au groupe une crédibilité intellectuelle, donc. Etait-ce le style laconique de ce consultant scandinave, ou estimait-il que les universitaires n’étaient pas censés évaluer les réformes avec une bonne dose de scepticisme académique ? Son récit a en tout cas révélé que les professeurs étaient surtout instrumentalisés comme des sortes de labels de qualité pour les réformes, et n’étaient pas utilisés comme des penseurs critiques.
S’il s’agit là d’une évolution, elle est de toute évidence inquiétante, tant pour les décideurs politiques – qui d’autre pourrait leur tendre le miroir ? – que pour les universités – quel rôle social crédible peuvent-elles encore jouer ? La structure budgétaire des universités, qui repose de plus en plus sur des financements de projet externes, joue bien entendu un rôle, comme l’a souligné à juste titre le Professeur Loobuyck de l’Université de Gand. Mais les académiques et les médias et politiques qui les utilisent ou en abusent feraient bien aussi de balayer devant leur porte.
Noblesse oblige, commençons par les universitaires. Ceux-ci se laissent parfois docilement accaparer par des intérêts particuliers. Permettez-moi de vous donner un exemple personnel : il y a quelques mois, j’ai reçu un e-mail d’un bureau de relations publiques, me demandant si je voulais bien recevoir un groupe d’universitaires en vue de discuter du traitement des douleurs chroniques. D’ordinaire, les universitaires n’ont pas besoin de bureaux de communication pour obtenir un rendez-vous et je me suis donc méfié. J’ai appelé la personne qui m’avait envoyé l’e-mail et au bout de quelques questions, j’ai compris que la réunion avait en fait pour objectif de nous convaincre de rembourser un médicament. Du pur lobbying, donc.
D’autres universitaires essaient quant-à-eux de prendre position en rédigeant dans les 24 heures des tribunes libres critiques, parfois avec une connaissance approfondie du sujet, mais certainement pas toujours. On ne fait une première impression qu’une fois. Si une proposition est mal perçue, les politiciens luttent à armes inégales. Force est malheureusement de constater que, lorsque ces intellectuels publics sont conviés à une réunion, ils doivent parfois reconnaître « avoir peut-être été trop rapides et trop radicaux dans leur jugement maintenant que la proposition et le contexte sont plus clairs ».
Cette manière de tirer à blanc est bien évidemment liée à la culture moderne de l’information, dont les politiciens et les universitaires peuvent, contre toute évidence, devenir victimes. Il n’y a pas toujours de place pour la nuance sur le marché très concurrentiel de la communication et de l’information. Un débat peut être vif. Mais il doit également être contradictoire. N’est-ce pas le Saint Graal du journalisme ?
Je me souviens d’une première page où un choix politique avait été incendié par un professeur. Le journaliste avait senti l’odeur du sang et n’avait pas jugé nécessaire de contacter le politicien en question – imaginez que celui-ci ait pu apporter des arguments convaincants pour défendre ce choix ! Ce n’était pas le seul faux pas éthique de ce journaliste. Celui-ci n’a pas non plus jugé utile de vérifier les éventuels conflits d’intérêt du professeur en question. Le journaliste n’a non seulement manifesté aucun intérêt pour mes arguments, mais lorsque j’ai attiré son attention sur le fait que l’organisation de ce professeur avait reçu de l’argent de la part de l’entreprise concernée par sa prise de position, mon e-mail est resté sans réponse. Le journaliste a donc tout autant failli que le professeur.
Que les nuances se perdent, passe encore. Mais que les points de vue ne soient pas plus confrontés, c’est inadmissible. C’est également la raison pour laquelle nous ne pouvons accepter que les politiciens veuillent réduire certaines personnes au silence, comme le Ministre-Président flamand a tenté de le faire.
Les décideurs politiques ne sont donc pas non plus irréprochables. Il existe de nombreux exemples de rapports commandés par des politiciens qui jaunissent pendant des années dans un tiroir parce que les conclusions et recommandations ne semblent pas correspondre à leur agenda politique. Les réactions crispées, voire menaçantes, des politiciens lorsque les universitaires leurs posent des questions fondées et formulent des critiques ne contribuent pas non plus à une discussion constructive ni à une culture de débat saine. Il est clair que ce qui s’est passé ces derniers jours ne doit pas se répéter.
Les universités et les centres de recherche qui effectuent des travaux préparatoires pour les politiques, doivent pouvoir le faire en toute indépendance. Sinon, il faut se tourner vers des consultants. Il est tout à fait normal que les chercheurs universitaires communiquent les résultats de leurs recherches. Par définition, le travail de préparation d’une réforme politique implique que les politiciens doivent encore faire leur choix.
Les politiciens doivent-ils pour autant suivre chaque recommandation à la lettre ? Evidemment non. Tout d’abord, parce qu’il a été démontré que les universitaires commettent eux aussi des erreurs. Je me souviens par exemple avoir joué avec quelques collègues au jeu des « sept erreurs » dans la chronique d’un professeur qui préfère réagir qu’étudier. Ensuite parce que les universités et les politiques ont des objectifs différents. Les politiques doivent faire des choix et trouver des compromis. Ceux-ci sont parfois arbitraires et ne correspondent pas toujours à ce que disent les scientifiques. Un projet de société ne se dessine pas uniquement sur la base de notes et d’algorithmes, mais aussi en faisant des choix et en menant des négociations. Nous devons affectionner et non diaboliser le pluralisme et sa culture de compromis.
En conclusion : c’est évident, les universitaires doivent pouvoir critiquer les choix politiques qui s’écartent des travaux préparatoires qu’ils ont fournis et dans lesquels ils se sont étroitement impliqués. Toutefois, cela ne fait pas toujours preuve de classe, et les politiciens doivent savoir manier ça aussi et maintenir le débat à niveau. Chacun a son rôle à jouer, et c’est très bien ainsi.
Par Brieuc Van Damme. Président du Groupe du Vendredi, une plateforme politique pour des jeunes de tous horizons
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