Olivier Mouton
Joëlle Milquet: vivement les vacances!
La ministre de l’Education clôture une semaine dantesque au cours de laquelle notre pays fut la risée de l’Europe. Avec le sentiment d’être devenue la cible de personnes mal intentionnées. Politiquement, la diva francophone est fragilisée au moment où le CDH relevait enfin la tête.
Le parlement francophone se réunit d’urgence ce vendredi. Une situation exceptionnelle pour cette assemblée au rythme de travail traditionnellement « plan-plan ». Les députés doivent adopter en quatrième vitesse un décret visant à certifier l’année scolaire de milliers d’élèves dans l’incertitude. Une nécessité absolue après l’invraisemblable saga des fuites d’examens qui a émaillé la semaine. Une démarche en guise de sauve qui peut pour la ministre CDH de l’Education, Joëlle Milquet, dans la tourmente tous azimuts. Qui n’a sans doute jamais autant aspiré aux grandes vacances…
« Nous sommes la risée de l’Europe. » Le constat, implacable, venait jeudi du MR Jean-Luc Crucke, atterré par la succession de précédents survenus en cette fin d’année scolaire. Il est vrai qu’il fallait se pincer pour ne pas rêver : tour à tour, les examens d’histoire, pour les sixièmes secondaires, puis de sciences et de langues modernes pour les deuxièmes secondaires ont fuité sur les réseaux sociaux. En guise de réplique : une série d’annulation prises dans la précipitation. Du football panique n’ayant eu au fond qu’une vertu : amusés, passionnés, les élèves concernés ont scruté comme jamais les sites des journaux et les diffusions des JT afin de voir à quelle sauce ils seraient mangés. Un cours de citoyenneté en direct…
Face à « l’extrême gravité de la situation », Joëlle Milquet a fait une déclaration fustigeant « des comportements inadmissibles qui ne resteront pas sans suite », dépôts de plaintes contre X à l’appui. Elle laisse clairement entendre qu’elle se sent directement visée par ces actes malveillants à répétition. Parce qu’elle dérange le ronronnement du monde scolaire, certainement l’un des plus conservateurs du monde francophone ? Peut-être. A moins qu’il ne s’agisse d’une cabale politique ? La ministre fait par ailleurs l’objet d’une instruction judiciaire au sujet de recrutements de collaborateurs dans son ancien cabinet fédéral à l’Intérieur, en 2014, en pleine campagne électorale… Voilà Joëlle Milquet meurtrie, affaiblie, elle qui assure n’avoir rien à se reprocher, jurant mordicus qu’elle a toujours fait de la politique de façon parfaitement désintéressée.
Milquet énerve jusque dans ses propres rangs. La faute à ses attitudes parfois cassantes et à ses retards perpétuels
Pourtant, cette femme brillante, qui maîtrise comme personne les rapports de force, énerve jusque dans ses propres rangs. La faute à ses attitudes parfois cassantes et à ses retards perpétuels. La conséquence, aussi, de près de deux décennies passées à truster le sommet. Après une présidence de parti vigoureuse, liant le CDH au PS d’Elio Di Rupo, puis après des comportements fermes en tant que vice-Première fédérale (« madame Non ») et en tant que ministre de l’Intérieur, la voilà à la tête du département le plus redoutable de la Communauté française. Après les intermèdes de Marie-Dominique Simonet et de Marie-Martine Schyns, on l’a placée là pour qu’elle réforme en profondeur. Pour qu’elle déménage, en somme, au profit du CDH, poids lourd de son équipe face à Rudy Demotte. Tout en laissant la paix à son président Benoît Lutgen, surchargée qu’elle est par ses dossiers.
Jusqu’ici, la stratégie fonctionnait, même si Milquet ne cachait pas par moments son vague à l’âme. Du Pacte d’excellence au non-redoublement en passant par une flopée d’idées au service des enseignants, sa bonne volonté était manifeste, même si sa méthode chaotique perturbait. Jusqu’à ce que, en mars, l’arrêt de la Cour constitutionnelle ne précipite en débat tendu sur les cours philosophiques, la non-neutralité de la morale, la création d’un « cours de rien » avant un cours de citoyenneté. Le tout avec des relents de pseudo-guerre scolaire du 21e siècle.
Avec cette succession de faux pas ou de malchances, selon les cas, Joëlle Milquet devient soudain le maillon faible du CDH. Au pire moment : son parti retrouvait des couleurs ces derniers temps en marquant sa différence et gommant légèrement le sentiment de scotchage définitif avec le PS né de la formation des coalitions régionales, cet été. Il faut entendre les socialistes jubiler à demi-mots : le ministre-président francophone, Rudy Demotte, se dit soucieux de « sortir la ministre du feu », son collègue André Flahaut fustige « un éléphant dans un magasin de porcelaine »… Au MR, on s’amuse non sans cynisme de voir cette grande dame s’empêtrer dans les affaires, occupant de manière négative tout l’espace médiatique. Et au CDH ? Certains se disent petit à petit qu’il viendra un temps où « Joëlle » devra songer à arrêter les frais. Mais en 2019, au plus tôt…
« Milquet, ça suffit ! », clame Crucke. C’est le seul, en réalité, qui appelle sans le dire vraiment à sa démission. En l’état, il est vrai, la responsabilité ministérielle de Joëlle Milquet n’est pas directement engagée et rien ne dit que les procédures judiciaires n’accoucheront pas d’un souris. Le PS n’est pas prêt à la lâcher : par affection sincère, mais aussi parce qu’il boit du petit lait à l’idée d’avoir une telle super-ministre redevable, affaiblie dans le rapport de forces.
A vrai dire, certains ont déjà fait un pas de côté pour moins que ça. Joëlle Milquet, elle, va au contraire redoubler d’énergie pour préparer une solution structurelle visant à empêcher de telles fuites à l’avenir. Tout en poursuivant ses réformes. « Je ne suis pas là pour regarder les trains passer, je suis là pour les conduire », dit-elle cette semaine dans l’interview accordée au Vif/ L’Express. Risée de l’Europe ou pas, cette diva ne partira jamais par la petite porte. Ou alors, on devra l’y contraindre…
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