Xavier Desmit
Immobilités bruxelloises
Pour les Bruxellois, le mot « embouteillage » ne décrit plus un vague phénomène urbain mais un calvaire quotidien indépassable autour duquel la vie doit s’organiser coûte que coûte. Or le coût est élevé pour la santé, le temps libre et le travail. À cause de la réduction de la mobilité, la qualité de vie des Bruxellois et des navetteurs a considérablement diminué en un an, en parallèle avec la mauvaise qualité de l’air qui atteint des records européens. Les choix politiques en matière de mobilité et d’économie, les travaux éternels et les effondrements-surprises ont achevé d’immobiliser la ville. Comment en est-on arrivé là et comment en sortir ?
On y est parce que, face aux mutations rapides de la société, les politiques depuis trente ans en Belgique ont ignoré les solutions de mobilité écologiques et efficaces. L’absence de pensée cohérente fut telle que des paradoxes ont même émergé dans l’équation. Exemple : la politique duale qui a consisté, d’une part, à favoriser la production d’automobiles (diesel) et, d’autre part, à désinvestir dans les infrastructures routières. Le « tout à la bagnole » impose un minimum de suivi, même si ce n’est pas la meilleure solution. Ce suivi a manqué et les structures construites jadis n’ont même pas été entretenues ou renouvelées. Elles s’effondrent tout simplement, e.g. viaduc Reyers , tunnels Louise et Montgomery. À noter que les embouteillages ainsi créés ont la propriété d’aggraver la pollution puisque les moteurs tournent plus longtemps et de manière plus concentrée. On ne compte plus les articles parus dans la presse ou les actions citoyennes qui se réfèrent aux problèmes de sécurité et de stress [1], de santé et de pollution[2], de mobilité[3], tous liés à l’incohérence des politiques en cours. On répondra : il n’y a pas que la voiture, tout de même ! Eh bien, parlons-en des alternatives car le désinvestissement a touché toutes les infrastructures de la mobilité.
Le transport public n’est pas du tout à la hauteur des enjeux en Belgique et à Bruxelles. Outre l’augmentation des prix, le secteur est rongé par la « réduction des coûts » qui affecte la sécurité du rail, les travailleurs et les citoyens. Rien qu’en 2016, environ 30.000 trains ont été supprimés, en plus des retards. D’après Navetteurs.be, c’est un problème de financement. Il n’y a plus assez de matériel ni de personnel pour offrir des alternatives en cas de problème[4]. En sous-effectif, le personnel de la SNCB doit encore affronter la perte annoncée de 2200 emplois pour 2018[5]. La construction d’un RER wallon a été appelée depuis vingt ans et aujourd’hui on nous promet un RER pour « dans 25 ans peut-être »[6]. Ne riez pas ! Une infrastructure nécessaire à la mobilité et à lutte contre la pollution aura donc « peut-être » pris 45 ans pour être construite en Belgique, l’un des pays qui affichent la plus haute production de richesses par habitant au monde[7]. C’est long 45 ans ! C’est à peu près la carrière d’un travailleur. Or si un jour on construit un RER Wallonie-Bruxelles, il sera peut-être à ranger dans les travaux inutiles parce que d’ici là, si on suit la tendance actuelle, il n’y aura presque plus de gares ni de trains en Belgique. En 1939, il y avait 5000 km de rail en Belgique, tandis qu’aujourd’hui il en reste 3600 km. La diminution du nombre de gares et de cheminots est une tendance désespérante en Belgique[8]. Puisqu’on est dans les chiffres et qu’on parle de bagnoles et de trains, rappelons que les cadeaux fiscaux faits aux utilisateurs de voitures de société s’élèvent à environ 4 milliards d’euros par an, et que la moitié suffirait pour restaurer les petites lignes de la SNCB, un service digne et sécurisé, et rendre le train gratuit en Belgique[9]. Ça laisse rêveur…
Oui mais il reste le vélo ! C’est vrai et c’est peut-être une partie importante de la solution comme l’ont compris des pays frères de culture et de climat (e.g. Pays-Bas, Allemagne). Seulement dans ces pays, il y a eu un investissement financier dans ce sens et une volonté politique accompagnée d’une vision (inventaire des solutions, ingénierie dans la conception, études de cas, intégration, etc.) Selon toute évidence, ce n’est pas du tout ce qui a animé les politiques bruxelloises depuis trente ans. Ici, faire du vélo est dangereux pour la vie à cause du manque d’infrastructures. Combien de rues et de trottoirs ont été reconstruits en 2016 sans une seule pensée pour les cyclistes qui doivent se battre dans l’arène des voitures contre les pavés, les rails, les klaxons, la fumée et les portes qui s’ouvrent ? La solution pour sortir de cette situation est probablement multiple mais elle en appelle certainement à des transports publics du XXIème siècle (gratuits, confortables, fréquents et ramifiés), et aussi à des réseaux sains et sécurisés pour les cyclistes. Un investissement qui créerait de l’emploi ! En fait, le problème de la mobilité à Bruxelles met en lumière un principe fondamental de la politique belge depuis trente ans : pour encourager les citoyens à changer de comportement, les gouvernants ne proposent pas d’alternatives crédibles et désirables. Ils suppriment l’une des alternatives existantes, même si cela va à l’encontre de tout ce qu’ils ont promu auparavant. Le XXIème siècle et ses défis appellent à un changement radical de cet état d’esprit.
[1] http://www.lalibre.be/debats/opinions/la-reponse-d-une-mere-irresponsable-a-velo-57d81b79357055f1ebe87621#c7b24
[2] http://www.lesoir.be/1322823/article/debats/cartes-blanches/2016-09-21/carte-blanche-inacceptable-mourir-cause-l-air-qu-on-respire
[3] http://www.lesoir.be/1322543/article/actualite/belgique/2016-09-21/heure-pointe-difficile-dans-et-autour-bruxelles
[4] http://www.lalibre.be/actu/belgique/annee-noire-sur-le-rail-deja-32-000-trains-supprimes-en-2016-57e21ddbcd70410bc88f1d49
[5] http://ptb.be/articles/sncb-la-direction-propose-l-emploi-minimum-pour-un-service-minimum
[6] L’inauguration du RER de Paris a eu lieu en 1977.
[7] Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_PIB_(PPA)_par_habitant
[8] http://www.levif.be/actualite/belgique/sncb-la-ministre-galant-veut-elle-faire-derailler-les-trains/article-opinion-442185.html
[9] http://www.toutautrechose.be/pour-une-sncb-forte-accessible-et-de-qualite
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