Carte blanche
« Il appartient à la communauté musulmane de faire sa révolution »
Jonathan Claes a vécu de plein fouet les attentats de Bruxelles. Il a été interloqué par le texte du réalisateur Ismaël Saidi » Pourquoi les musulmans ne descendent pas dans la rue pour condamner ? Parce que… « . Voici sa réponse.
J’ai longtemps hésité à écrire ce commentaire. La raison première étant que je ne veux choquer personne, la seconde que je ne souhaite pas m’aliéner certaines de mes connaissances, ni m’attirer la foudre d’inconnus. Puis, je me suis rappelé combien j’abhorre cette chape de plomb qui semble s’être abattue sur le débat public et qui contribue à juger tabou et à exclure certains sujets de discussion. La première étape de la résolution d’un problème est de reconnaître son existence, la deuxième de savoir le nommer…
Le mardi 22 mars 2016, comme beaucoup d’autres belges, je me suis rendu à Bruxelles pour travailler. J’étais à la gare de Bruxelles-Schuman lorsque j’ai appris les explosions qui venaient de frapper l’aéroport. J’ai écrit à mes parents et à ma compagne, actuellement en congé de maternité, pour leur dire que je les aime et que j’allais me dépêcher à sortir du hall de la Gare du Nord lorsque mon train y arriverait, de peur d’un scénario similaire aux attentats du 13 novembre à Paris. Le futur me donnera raison, mais contrairement aux malheureuses victimes de la station Maalbeek, j’ai eu la chance que les terroristes ne choisissent pas ma gare d’arrivée comme cible, et que ma compagne s’occupe actuellement de notre nouveau-né?: elle transite par cette station de métro à la même heure chaque jour. J’ai donc passé la journée confiné dans un bâtiment, à prendre des nouvelles de mes amis, de ma famille et à leur donner des miennes. À constater l’absence de collègues (dont certains, je l’apprendrai plus tard resteront marqués à vie dans leur chair et dans leur esprit), à suivre les informations, à m’organiser pour le retour, à réfléchir sur le futur. Car c’est malheureusement loin d’être un cas isolé, et tous les experts s’accordent à dire que ce n’est certainement pas le dernier attentat de ce type sur le sol européen.
Depuis les années 2000 seulement, on comptabilise une liste non-exhaustive de plus de 156 attentats d’origine islamiste totalisant plusieurs milliers de victimes innocentes. De l’Irak, la Lybie, Israël, la Syrie, le Yémen, le Koweït, la Jordanie et l’Arabie Saoudite en passant par le Liban. Du Nigéria, du Tchad, de la Somalie, du Cameroun au Mali en passant par le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sans oublier le Maroc, l’Algérie et l’Égypte. Au Canada et aux États-Unis. De la Russie en passant par la Tchétchénie, l’Inde, le Pakistan et le trop évident Afghanistan. De la Tunisie à la Turquie pour nous mener à la Bulgarie, à l’Italie, à l’Espagne, la France, la Belgique, l’Allemagne, la Royaume-Uni, la Suède et le Danemark sans oublier les plus lointains Thaïlande, Indonésie et Australie. À travers le globe des dizaines de groupements terroristes sèment la mort et laissent derrière eux un cortège de tristesse et de désolation. Quels que soient leur origine, leur nationalité, leur âge ou leur histoire, tous proclament la même foi et le service d’une même religion pour justifier leur actes criminels.
Alors quand je lis l’article de Mr. Saïdi, je ne peux m’empêcher de penser que sous des abords de bonne volonté, se cachent le même communautaro-centrisme et la même victimisation qui sont les premiers arguments de défense que l’on voit poindre lorsque que l’on aborde la passivité de la communauté musulmane face aux attentats terroristes d’origine islamiste. C’est une réponse qui tend à vouloir clore le débat avant même qu’il n’ait pu prendre place. « Notre communauté est la première touchée, les coupables de ces crimes ne sont pas de vrais musulmans, l’Islam interdit la violence »: circulez, il n’y a rien à voir. Jusqu’au suivant.
Mr. Saïdi, lorsque vous citez très justement les nobles tâches entreprises par nos concitoyens de religion musulmane lors des attentats, vous semblez vouloir y opposer les belges d’autres obédiences. N’y avait-il pas de catholiques, de protestants, de juifs, de bouddhistes, d’athées, d’agnostiques, que sais-je encore parmi les services d’ordre, les pompiers, les ambulanciers, les militaires, les médecins, les conducteurs de taxi, de métro ou de tram? Leurs actions ont-elles moins de valeur à vos yeux? Et pour poursuivre sur le sujet premier de votre billet à savoir la révolte ou à tout le moins la remise en question, ces actions emplies d’humanité et de solidarité empêchent-elles par la suite d’entreprendre une réflexion approfondie sur la mauvaise interprétation qui mène beaucoup trop de croyants musulmans à commettre de telles atrocités de par le monde? Ces bonnes actions accomplies mardi après-midi empêchent-elles la communauté musulmane de se lever d’un seul corps et de crier son opposition à de tels massacres?
Car si je constate de brèves et individuelles condamnations de représentants de la communauté musulmane, je ne vois pas de grands rassemblements de masse passionnés tels qu’on sait cette même communauté capable lorsqu’un dessinateur à le malheur de caricaturer le prophète ou qu’un bulldozer israélien détruit une maison palestinienne. Encore une fois, la vie d’un être humain a-t-elle moins de valeur lorsqu’elle fait partie d’une religion ou d’une autre? Le mépris répété de la vie elle-même suscite-elle moins de passion qu’un blasphème?
Car de par le monde, et depuis plusieurs décennies maintenant ces actes barbares se répètent. Quel que soit le continent, la couleur de peau des victimes comme des perpétrateurs, la langue utilisée pour prier, il n’existe qu’un seul point commun: la religion des coupables et la justification communautariste qu’ils expriment.
À partir de combien d’attentats, de combien de morts et de blessés, de combien de familles innocentes détruites, de combien de pays touchés et de combien de nationalités différentes de terroristes se référant tous à la même idéologie va-t-on enfin oser admettre le fait que la source de tous ces maux réside dans la religion islamique?
Les racines socio-économiques du mal? Ben Laden n’était pas seulement riche, il avait fait ses études dans les plus grandes universités occidentales. Le terroriste qui a semé la mort sur une plage tunisienne était étudiant à l’université. Abaaoud était le fils d’un commerçant prospère et était inscrit dans un collège huppé de la capitale. Les frères Abdeslam possédaient un café, l’aîné travaille encore pour sa commune. Les exemples se multiplient qui discréditent la thèse de la pauvreté comme seule racine du mal.
Le racisme occidental comme matrice de la violence? De nombreuses vagues de communautés et nationalités se sont succédées en Europe depuis le 20ème siècle. Aucune ne réalise de fait un tel rejet envers la culture de sa société d’accueil après 3 générations. Ce rejet se traduisant notamment par un taux de mariages extra-confessionnels minimum, ou une surreprésentation dans les prisons comparativement à la proportion globale de citoyens musulmans. Aucune n’exprime une telle volonté d’imposer à l’organisation d’une société laïque des préceptes religieux éculés importés d’un pays pourtant abandonné (hallal dans les écoles et les prisons, abattage rituel, horaires/services différenciés pour les femmes musulmanes, voiles, burqas et autres attributs communautaires dans les institutions publiques, prières de rue, pressions conscientes ou inconscientes pour abandonner le nom de vacances, d’activités, de cours…). Que n’avons-nous fait de compromissions, « d’accommodements raisonnables »? Quand s’infléchira le poids de cette culpabilité qui pousse les sociétés occidentales a sans cesse effacer leur histoire et leur culture de peur de ne pas se montrer assez ouvertes?
Un problème de cohabitation culturelle donc? Les très riches monarchies moyen-orientales appliquant souverainement les principes religieux islamiques font montre d’une violence ordinaire et d’une discrimination patente envers les femmes, les homosexuels, ou les individus de confession différente. Combien de lapidations, de décapitations ou de flagellations peuvent se justifier au Moyen-Orient par le racisme occidental ou une situation socio-économique défavorable?
Les interventions occidentales au Moyen-Orient? La majorité des terroristes qui ont sévi en France et en Belgique sont nés en Europe, parfois même comme leurs parents avant eux et y ont vécu toute leur vie. Quelles victimes étaient nées pendant la colonisation? Combien des victimes ont participé ou soutenu une quelconque action en Irak ou en Afghanistan? Combien de cibles étaient strictement militaires? Comment peut-on haïr à ce point un pays dans lequel on a toujours vécu et qui offre à tout le moins une liberté au culte qu’eux-mêmes ne rêvent que d’imposer à des milliers de kilomètres de là.
Les autres confessions ont-elles aussi engendré des criminels? Assurément, des monstres sont nés au sein de nos cultures occidentales! Mais ces criminels, leurs forfaits aussi abjects soient-ils sont des individus isolés qui ne se revendiquent pas d’une même idéologie mortifère, qui ne partagent pas la même volonté d’imposer au monde un mode de vie décrit il y a plus de 1400 ans. Tous ne tuent pas aveuglément et indifféremment au non d’une seule et même religion, d’un seul et même livre sacré, du même prophète. Nous sommes en 2016, la religion catholique a su battre sa coulpe de ses crimes passés depuis bien longtemps.
Et puisque la communauté musulmane ne peut souffrir qu’une personne étrangère à sa culture et à sa religion ne mette en cause ses modes de croyances (sous peine d’être très vite publiquement catalogué de raciste, d’extrémiste, de xénophobe ou discrédité pour son manque de connaissance de cette culture), il n’appartient qu’à elle de se révolter, de faire sa révolution, de renier les extrémistes. Il est temps d’arrêter la complaisance aveugle, le détournement de regard hypocrite, l’entraide communautaire au-delà des lois. Mais la communauté musulmane en possède-t-elle seulement la capacité, et plus important encore, en a-t-elle la volonté? Que n’entend-on au lendemain de chaque attentat? Ces terroristes ne sont pas de vrais musulmans, l’Islam interdit la violence. Circulez, il n’y a rien à voir. La première étape pour la résolution d’un problème est pourtant sa reconnaissance…
Je citerai Edmund Burke: « La seule chose nécessaire au triomphe du mal, est l’inaction des hommes de bonne volonté ». L’histoire nous a tragiquement démontré à de nombreuses reprises que lorsqu’une partie d’une communauté verse dans l’extrémisme violent, la majorité silencieuse et passive est irrelevante.
Il me faut à présent vous avouer que j’écris ces lignes sous le coup de la colère et de la peur. L’une et l’autre sont très mauvaises conseillères, j’en conviens et vous le concède. Mais le problème que je décris n’est pas neuf, et ce n’est pas ce qui contribue le plus à mon état d’indignation et de frustration actuel. Je suis d’ordinaire une personne d’action, lorsqu’un problème surgit, je ne l’ignore pas, je ne le laisse pas pourrir, je ne m’apitoie pas sur mon sort: je l’analyse et je tente de le résoudre au mieux de mes capacités et à mon humble niveau. Dans le cas présent, j’ai l’impression que les citoyens non-musulmans sont muselés et stigmatisés s’ils osent vouloir promouvoir un débat sur le rôle de l’Islam dans nos sociétés, et que la communauté musulmane qui seule détient les clefs d’une solution pacifique et pérenne se refuse de reconnaître le moindre problème. Quel monde vais-je pouvoir laisser à mon fils…
Jonathan Claes – Cadre travaillant à Bruxelles
P.S. : Bien que de nationalité belge, je suis fils et petit-fils d’immigrés et mon fils est métis. J’ai travaillé dans 3 pays différents et j’ai voyagé épisodiquement de par le monde avec mon sac à dos pendant plus de 10 ans. Mes tribulations sur les 5 continents au contact et à la recherche d’autres cultures m’ont notamment mené en Malaisie, en Indonésie, en Palestine, en Jordanie et en Égypte. Je n’écris pas cela pour donner du poids à mes propos, mais au contraire afin d’éviter que mon commentaire soit discrédité pour des raisons fallacieuses. J’ai trop vu ces derniers temps d’articles voués à l’opprobre dû aux critiques sur la nature de leurs auteurs dont le seul crime était de ne pas posséder de « légitimité » pour aborder ce sujet. Comme si la réponse à 1+1 étant 2 se trouvait plus ou moins correcte voire même pouvait s’en trouver odieuse selon la nature de la personne qui répond…
Ma seule légitimité est d’être un citoyen belge, et je crois qu’il est encore de mon droit, si ce n’est de mon devoir en ce 23 mars 2016 de faire usage de ma liberté d’expression.
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