Faux mayeurs empêchés; la chasse est ouverte
Sous pression, le gouvernement wallon serre la vis de la gouvernance. A l’avenir, les bourgmestres nommés ministres, dont Paul Magnette et Maxime Prévot, devront effectivement passer la main et abandonner les prérogatives du pouvoir local. Et à Bruxelles ? Rien de neuf. Pourquoi ?
On allait voir ce qu’on allait voir : le gouvernement wallon mettrait fin à la confusion des cumuls de mandats. Le ministre-président Paul Magnette (PS) l’annonçait en tout cas le 19 août 2015. On a vu : dix-neuf mois plus tard, juste avant le 1er mai, voilà que l’exécutif wallon sort l’artillerie lourde.
Le plan présenté le jeudi 27 avril dernier, qui doit encore être avalisé par le parlement de Wallonie, prévoit de nouvelles règles en matière de transparence des mandats et des rémunérations, de balises pour ces rémunérations, d’incompatibilités et de sanctions. Il réduit aussi à néant la marge de manoeuvre, sur le terrain local, d’un ministre bourgmestre empêché : à l’avenir, il ne pourra plus assister au collège communal, présider le conseil communal, signer des documents officiels émanant de la commune ou des courriers d’invitation, ni porter l’écharpe mayorale, à de rares exceptions près. Seul le titre de bourgmestre faisant fonction sera encore admis, en lieu et place d’échevin délégué aux fonctions mayorales. L’appellation, tombée du ciel, de » bourgmestre en titre « , passe également à la trappe. Le MR wallon, qui avait déposé un projet renforçant l’empêchement il y a deux ans, rit sous cape.
Une révolution ? Juste le retour au principe initial de la loi, en fait. Car, en vertu de la loi communale, fédérale d’abord, puis régionalisée depuis 2001, un ministre élu bourgmestre ne peut assumer cette mission : il est de facto bourgmestre empêché. Autrement dit ? » Au niveau des principes, c’est limpide, résume Jérôme Sohier, directeur du Centre de droit public de l’ULB. Un bourgmestre empêché garde le titre sans pouvoir en exercer les fonctions. C’est la règle. On peut parader avec un titre de bourgmestre, point. Ensuite naissent les controverses. »
Et des controverses, il y en a eu ! Parmi les ministres francophones du pays, tous niveaux de pouvoir confondus, une dizaine sont aussi bourgmestres : les Wallons Paul Magnette (PS), Maxime Prévot (CDH), Carlo Di Antonio (CDH), les communautaires Rudy Demotte (PS), Isabelle Simonis (PS), les fédéraux Daniel Bacquelaine (MR), Charles Michel (MR), François Bellot (MR), les Bruxellois Rudi Vervoort (PS) et Didier Gosuin (DéFI). Certes, quelques-uns ont transmis les rênes de leur commune à d’autres. Mais certains bicasquettards sont bel et bien restés les patrons de leur localité, s’asseyant sans états d’âme sur le décret censé les en empêcher. C’est surtout le cas de ceux qui avaient juré, en campagne électorale, qu’ils se voueraient corps et âme à leur fonction communale, Paul Magnette et Maxime Prévot en tête. Promesses, promesses.
Le feu brûle
» Je continuerai à présider le conseil communal. Je participerai à toutes les réunions de collège, en tant qu’invité : je n’aurai pas de voix délibérative, mais j’aurai toujours le magistère de l’influence, déclarait ainsi, avec assurance, le mayeur de Namur, également vice-président du gouvernement wallon, Maxime Prévot, en 2014. Bref, je garde le leadership sur Namur. Pour ne pas créer de confusion (sic), il n’y aura pas de « bourgmestre faisant fonction » mais un « échevin délégué aux responsabilités mayorales ». » Touchant aveu.
Trois ans plus tard, la colère gronde. Les répliques de l’affaire Publifin n’en finissent pas et la population en a ras la carafe. Le PS perd des plumes dans les sondages tandis que la gauche radicale cartonne. Il y a désormais le feu. Il y a le feu depuis des années, en fait. Mais aujourd’hui, on dirait que le feu brûle. Donc, le gouvernement wallon a tranché.
Il était temps. Car au fil des ans, le concept d' » empêchement » pour un bourgmestre ministre avait tant évolué que les balises de ce statut s’étaient complètement effilochées. A l’origine, la loi prévoyait clairement que, dès sa prestation de serment, le ministre bourgmestre était remplacé dans tous les aspects de la fonction et ne pouvait accomplir aucun acte ressortant de la compétence du bourgmestre, qu’il soit de nature strictement administrative ou protocolaire.
» L’objectif était de permettre une disponibilité maximale du bourgmestre, indispensable à une bonne administration de la commune « , rappelle Marie Lambert de Rouvroit, spécialiste en droit constitutionnel à l’université Saint-Louis. Les concentrations de pouvoir et conflits d’intérêts devaient eux aussi être évités de la sorte.
Mais en Wallonie, une circulaire de 2012 va singulièrement détendre le filet légal tendu autour des bourgmestres ministres. L’encore ministre PS des Pouvoirs locaux, Paul Furlan, par ailleurs bourgmestre empêché de Thuin, la signe. Le texte précise la marge de manoeuvre d’un bourgmestre empêché.
Ce dernier ne peut poser le moindre acte qui engage juridiquement la commune. En revanche, il peut siéger au conseil communal, voire même le présider, et assister au collège des bourgmestre et échevins si on l’y invite à titre d’expert. Une qualité qu’il peut faire prévaloir sur toutes les matières… » Je suis de ceux qui pensent qu’une plainte pourrait être déposée auprès du pouvoir de tutelle lorsqu’un bourgmestre empêché assiste systématiquement aux réunions du collège. Toutes les décisions prises dans un tel cadre sont, pour moi, illégales « , assène Jérôme Sohier.
Une fois entendu, le ministre mayeur ne peut certes pas voter, précise la circulaire. Mais l’empêché peut assurer des missions officielles de représentation et porter l’écharpe mayorale. Il peut aussi disposer d’un bureau à la maison communale et y tenir des permanences. Un bourgmestre empêché peut encore utiliser un papier à en-tête communale et le signer comme bourgmestre empêché. Il peut enfin représenter le collège à toute manifestation sportive, culturelle ou folklorique. » Cette pratique est contraire au texte et à l’esprit de la loi, relève le constitutionnaliste Marc Verdussen (UCL). Il y a sous ces pratiques une arrogance à considérer qu’on est irremplaçable partout. »
La latitude instituée par la circulaire Furlan, Jacqueline Galant (MR), bourgmestre de Jurbise lorsqu’elle était encore ministre fédérale de la Mobilité, ou Paul Furlan lui-même, à Thuin, en profitent largement. Bien peu nombreux sont ceux qui pourraient par ailleurs citer le nom des bourgmestres faisant fonction à Namur et à Charleroi. » On a assisté à une dégringolade dans les contraintes qui étaient imposées initialement aux bourgmestres empêchés, note Anne-Emmanuelle Bourgaux, chargée de cours en droit constitutionnel à l’UMons-ULB. Un bourgmestre peut même être remplacé par un échevin qui devient à son tour empêché. Mais où va-t-on ? »
Vers l’iniquité, en tout cas. Car certains bourgmestres d’une petite commune ont dû renoncer à leur poste de député en raison de la nouvelle législation wallonne anticumul, alors que des ministres, par ailleurs élus dans de très importantes villes, ont, eux, pu conserver les deux fonctions.
» Les dispositions en vigueur jusqu’ici ne cadraient pas suffisamment les actions du bourgmestre empêché, analyse Geoffrey Grandjean, politologue à l’ULg. Il y avait là un vide juridique dont je ne pense pas qu’il ait été historiquement voulu. Il ne faut pas oublier que quand il n’est pas juridiquement interdit, le cumul est politiquement obligatoire pour survivre professionnellement et priver ses concurrents de ressources. »
Incompatibles ?
Au-delà de ces mesures toutes fraîches, certains s’interrogent toujours sur une incompatibilité complète de ces deux mandats. L’empêchement constitue une sorte de garantie professionnelle pour le ministre qui perdrait son mandat en cours ou en fin de législature. A travers ce filet assurantiel, c’est toute la question du statut de l’élu qui est posée. Un ministre n’a ainsi pas droit à des indemnités de chômage s’il perd son travail.
» Au lieu de limiter les mandats en interdisant le cumul, on a complexifié la situation par l’empêchement et augmenté le nombre de mandats, regrette Geoffrey Grandjean. Pourquoi la question du décumul temporel n’est-elle pas abordée ? Si les élus pouvaient avoir maximum deux mandats de suite, ils ne seraient pas obnubilés par leur réélection. » Rendre les casquettes ministérielle et mayorale non compatibles amènerait aussi davantage de renouvellement dans le monde politique.
» En fait, embraie Anne-Emmanuelle Bourgaux, l’empêchement permet à l’élu de ne pas choisir entre ses deux mandats. Il faudrait ne garder l’empêchement que pour les congés ponctuels, maladies ou congés parentaux. »
Du côté d’Ecolo, on prône à tout le moins un total décloisonnement entre les fonctions de bourgmestre et de ministre. » Même s’il existera toujours une zone d’influence qu’on ne peut réguler, reconnaît le député wallon Stéphane Hazée. Revenir à l’esprit de la loi résoudrait déjà beaucoup de problèmes parce qu’on en est aujourd’hui très loin. Sinon, il faut interdire totalement l’empêchement. »
A Bruxelles, rien ne presse
En Région de Bruxelles-Capitale, la décision prise par l’exécutif wallon n’a aucunement changé la donne : l’équipe de Rudi Vervoort (PS), ministre-président et bourgmestre empêché d’Evere, maintient son plan de travail et de réflexion sur la bonne gouvernance. Il devrait aboutir pour cet été. Dans ce contexte, le groupe de travail qui réunit des députés de la majorité et de l’opposition, piloté par Charles Picqué (PS), a évoqué le sujet du cumul des mandats de bourgmestre et de ministre. Mais il n’a pas encore été abordé.
Les membres du groupe de travail ont été invités à déposer leurs revendications et suggestions de façon anonyme. La question du cumul bourgmestre – ministre y figure. Ecolo assure l’avoir soumise. Qui d’autre ? Impossible à savoir. » Le MR soutient l’idée qu’un bourgmestre choisi pour être ministre doit redevenir conseiller communal et ne plus disposer d’aucun des attributs de pouvoir d’un mayeur, indique Vincent De Wolf, bourgmestre libéral à Etterbeek. Il ne s’agit donc plus de dire qu’il est bourgmestre empêché. Il n’est plus bourgmestre du tout. »
Chez Ecolo, on est pour un choix radical : ou on est ministre, ou on est bourgmestre. » On voit bien que le cumul, avec le concept d’empêchement, ne fonctionne pas, enchaîne Zoé Genot. Cela engendre des situations trop ambiguës. »
La position du CDH bruxellois est moins claire. La situation qui prévalait jusqu’ici pour Maxime Prévot ne rend pas la prise de parole facile. » Je suis pour le décumul total, mais je suis largement minorisé « , glisse néanmoins un élu humaniste.
» Au Canada, rappelle le député DéFI Emmanuel De Bock, on ne peut pas être candidat pour deux scrutins différents. Si l’on veut se présenter à une élection, on doit d’abord quitter son poste de mandataire public précédent.
Contrairement à ce qui se passe en Région wallonne, il ne semble pas qu’il y ait le feu au lac, à Bruxelles. » Je ne suis pas sûr que le cumul bourgmestre-ministre sera sacrifié sur l’autel Publifin « , avance Emmanuel De Bock.
Il faudrait en tout cas éviter que les différentes Régions du pays mettent en place des systèmes de cumul ou de décumul imposé différents. Ce n’est pas gagné…
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