Electrabel, Ores, Publifin, etc : 20 milliards, la facture d’un système
Pendant plus de vingt ans, Electrabel et les intercommunales (Ores, Publifin…) auraient organisé une surfacturation permanente de votre électricité. Le monde politique était-il payé pour fermer les yeux?
C’est une « simple » interpellation, faite à répétition, par un conseiller communal, qui soulève un gigantesque pot aux roses. Et qui expliquerait les raisons profondes se cachant derrière l’affaire Publifin et les révélations en chaîne au sujet de pratiques en cours au sein des intercommunales. Au-delà de la question du nombre de mandats, de leurs rémunérations et des conflits d’intérêts qu’ils peuvent induire, il y aurait un système mis en place à dessein : les politiques, de leur plein gré ou contraints forcés, auraient fermé les yeux pendant une vingtaine d’années sur une tarification de l’électricité excessive au profit d’Engie Electrabel et des communes, via les intercommunales dont des « mixtes » (avec participation d’Electrabel), d’autres « pures », 100 % publiques, unies par un même souci de profit. Un « pillage organisé », à peine atténué par la régulation mise en place au début des années 2000. En voici le récit.
Depuis trois ans, Jean-François Mitsch, conseiller communal PS à Genappe, dans le Brabant wallon, se pose de très sérieuses questions au sujet d’Ores, l’intercommunale mammouth qui gère le réseau de distribution de gaz et d’électricité dans 197 communes wallonnes. En fait, toutes les communes wallonnes sauf celles de la province de Liège, où c’est Resa, intercommunale « pure », appartenant au groupe Publifin-Nethys, qui gère le réseau. Jean-François Mitsch est actif professionnellement dans une coopérative d’énergies renouvelables. A plusieurs reprises, il a interpellé les instances dont il est membre de droit, l’assemblée générale de l’intercommunale de financement Sedifin et celle de Ores Assets. Au centre de ses doutes : une grande opération de rachat par Ores de la dernière partie de la participation d’Electrabel dans le réseau de distribution d’électricité,. Opération entamée « il y a quelques années », selon certaines sources en 2009, et en tout cas terminée le 31 décembre 2016.
Pourquoi, se demande Jean-François Mitsch, ce rachat, finalisé fin de l’année dernière donc, a-t-il été réalisé pour un montant de 405 millions d’euros ? Selon ses estimations, la valeur des dernières parts d’Electrabel dans le réseau est inférieure de 200 millions. Le conseiller communal socialiste, pour qui le réseau de distribution d’électricité a été sciemment surévalué, réclame donc une contre-expertise indépendante (lire page XX). Le 21 février dernier, faute de réponse satisfaisante – on l’a, dit-il, « baladé » d’une instance à l’autre -, il a écrit aux conseils d’administration des deux instances, au nouveau ministre de tutelle des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne (PS), et à son collègue ayant repris l’Energie, Christophe Lacroix (PS). En lanceur d’alerte, donc, à l’image de Cédric Halin, échevin CDH d’Olne, dans la province de Liège, à la base des révélations qui ont abouti au scandale Publifin.
« Dans tout ce que j’ai lu dans la presse depuis les révélations sur le scandale Publifin, explique Jean-François Mitsch au Vif/L’Express, on se borne à critiquer les conseils d’administration, les comités de secteur, leur utilité. Mais c’est un écran de fumée. Qui cache les véritables enjeux. » Selon lui, ils seraient de deux ordres :
1. Le consommateur aurait payé plusieurs fois, dans sa facture, les investissements consentis pour la production et la distribution de l’électricité en Belgique;
2. Les investissements nécessaires pour la transition énergétique auraient été négligés.
Le tout avec l’assentiment ou l’aveuglement des nombreux mandataires politiques rémunérés, précisément à travers des intercommunales, pour contrôler l’activité des opérateurs énergétiques.
« Le vrai scandale, c’est la contrepartie ! »
Sollicité par nos soins, l’économiste Eric De Keuleneer ne tourne pas autour de pot: « Ce sur quoi vous mettez le doigt est extrêmement important. Je m’étonne de voir l’attention médiatique se concentrer uniquement sur les mandats et leurs cumuls. C’est gênant, peut-être, mais pas dans tous les cas de figure. Et l’on s’indigne qu’il n’y a pas de contrepartie aux rémunérations des mandataires. Or, le vrai scandale, c’est précisément la contrepartie ! Depuis vingt ans au moins, des responsables municipaux apportent leur soutien à diverses initiatives d’Electrabel pour retirer le plus possible d’argent du secteur électrique en Belgique. La société (NDLR: contrôlée depuis les années 1990 par Suez, puis entièrement rachetée par le groupe français en 2005) aurait retiré, selon mes estimations, environ 20 milliards d’euros, partis de façons diverses à Paris pour sauver le groupe Suez-Gaz de France-Engie, plusieurs fois au bord de la faillite. » Quelques milliards, ajoute Eric De Keuleneer, ont été versés aux communes et aux mandataires wallons sous forme de dividendes et de rémunérations, en guise de « remerciement » pour leur soutien au système.
Eric De Keuleneer est l’un des rares spécialistes indépendants du domaine de l’énergie en Belgique. Il a notamment été président du groupe d’experts chargé de préparer la libéralisation du secteur, à la charnière des années 1999 et 2000, et administrateur indépendant de Luminus en 2002-2005. Il a été quelques années, jusque l’an dernier, président du conseil d’administration de Lampiris, fournisseur belge d’électricité fondé en 2005. D’après lui, Electrabel et les intercommunales ont systématiquement surfacturé le prix de l’énergie, via des pratiques comptables et de lobbying politique, afin de doper les bénéfices. « Depuis des dizaines d’années, Electrabel et les intercommunales amortissent trop rapidement leur matériel, expose-t-il. Sous prétexte de prudence. Dans un régime de service public régulé, les tarifs doivent refléter les coûts, plus un bénéfice raisonnable ; l’investissement en matériel est un des coûts très important en électricité, et on devrait le traduire en coût annuel en fonction de la durée de vie du matériel. Un matériel qui dure vingt ans est traduit en coût, donc « amorti », en vingt ans : chaque année, 5 % du montant de l’investissement. Mais évidemment, si vous amortissez en dix ans du matériel qui va durer vingt ans, ça coûte beaucoup plus cher pendant ces dix années. Cela a été fait presque systématiquement par Electrabel et ses alliées intercommunales, tant « mixtes » que « pures », toujours avec la promesse que le consommateur en bénéficiera plus tard. Mais ce plus tard, qui devait commencer dans les années 1990, n’est jamais arrivé. »
Et donc, qui a payé l’amortissement et la revalorisation qui a suivi ? Le consommateur.
Comment une telle situation a-t-elle été possible ? Pour le comprendre, il faut pratiquement remonter aux origines du marché moderne de l’énergie en Belgique. Quand, dans les années 1950, une petite quarantaine d’entreprises publiques et privées sont actives dans le secteur de l’électricité. Les syndicats demandent des mesures pour diminuer les tarifs, bien trop élevés. La FGTB menace même de paralyser le pays. En découle une première « pax electrica », signée en 1956. Un comité de contrôle voit le jour : encadré par les partenaires sociaux, c’est lui qui donne son feu vert à la tarification avant que les politiques ne l’approuvent. Après une baisse initiale, les tarifs redécollent à nouveau, à cause d’une demande toujours croissante et du développement des technologies. Les producteurs et distributeurs d’électricité investissent dans la modernisation des installations. Il faut les payer, et on les paie rapidement, « par prudence ». Dans les années 1970, on entame la construction des centrales nucléaires Doel et Tihange. Le réseau à haute et basse tension est choyé, lui aussi. Des dizaines et des dizaines de milliards de francs belges pleuvent.
Le secteur subit progressivement une cure de rationalisation, jusqu’au monopole d’Electrabel, effectif à partir de 1989. Parallèlement, comme depuis la fin des années 1920, les communes, puis les intercommunales, gèrent les réseaux de distribution. Dans la plupart des cas, les intercommunales sont mixtes: pouvoirs publics + participation d’Electrabel allant de 40 à 60 %. « Pour presque tous les investissements, affirme Eric De Keuleneer, on a amorti le matériel à vitesse accélérée. » Et dans les années 1970-1980, les investissements sont considérables, faisant monter les prix, qui ne sont pas redescendus, comme ils auraient dû à partir des années 1990. « Electrabel a convaincu les politiques en leur montrant l’avantage pour les communes des tarifs plus élevés : des dividendes ! Il y a aussi eu une tendance multiplier les conseils d’administration, parfois inutilement empilés et élargis à de nombreux membres. Tous les partis y étaient représentés, avec des rémunérations démesurées. Cela s’est fait progressivement. Il n’y a peut-être pas eu un plan machiavélique, mais plus sûrement une très bonne gestion d’opportunité de la part d’Electrabel, qui s’arrangeait pour gagner à tous les coups, avec la complicité des roitelets locaux. Les intercommunales auraient dû avoir plus à coeur l’intérêt des citoyens, mais la plupart ont été complices, demandant même parfois plus encore. »
Un système « génial »
Luc Barbé était chef de cabinet du secrétaire d’Etat à l’Energie et au Développement durable, Olivier Deleuze (Ecolo), dans le premier gouvernement arc-en-ciel dirigé par Guy Verhofstadt (1999-2003). Il appuie le constat. A l’issue de son expérience, il publie un livre, en néerlandais, en 2005 : Kernenergie in de Wetstraat. Dissectie van de deals. On y lit que toutes les décisions en matière d’investissements « ont eu lieu loin de la presse et du public, de la Chambre et du Sénat, mais avec l’autorisation implicite du top des partis traditionnels. » Luc Barbé dénonce le système mis en place autour du monopole d’Electrabel : « Ce système était génial, écrit-il. On faisait en sorte que toutes les parties concernées reçoivent leur part du gâteau. Electrabel pouvait faire de gros bénéfices et chouchouter ses actionnaires. Les grandes entreprises belges profitaient de tarifs d’électricité plus bas. Les politiques étaient d’importants actionnaires du secteur via les communes et les intercommunales et recevaient de généreux dividendes. En outre, de nombreux bourgmestres et députés siégeaient dans les conseils d’administration de ces intercommunales où ils recevaient des jetons de présence. Ces politiques défendraient donc bec et ongles la politique menée, tant dans leur intérêt personnel que dans l’intérêt des communes. On faisait taire les syndicats en leur donnant l’impression qu’ils avaient leur mot à dire dans la politique d’investissements d’Electrabel et en soutenant la position concurrentielle d’entreprises grosses pourvoyeuses d’emplois via les tarifs plus bas. Les employeurs dans le secteur recevaient de très hauts salaires de telle sorte qu’ils défendent le pacte avec acharnement. Et qui payait cette politique de Saint-Nicolas ? Ceux qui n’étaient pas autour de la table: les familles et les PME. »
Un membre d’un autre cabinet fédéral de l’époque nous assure aujourd’hui que « la plupart des responsables politiques ne se préoccupaient que des dividendes aux communes et de leurs mandats. La facture des clients, ils n’en avaient rien à foutre. Trois ou quatre euros de plus par famille, ça ne se voyait pas. »
Un nouveau régime pointe au début des années 2000, avec la libéralisation annoncée du secteur de l’énergie. « En 2000, les recommandations faites au gouvernement Verhofstadt par le groupe d’experts que je présidais demandent que ces surfacturations du passé bénéficient aux consommateurs, comme cela avait été promis, raconte Eric De Keuleneer. Le matériel de transport – la haute tension – était très largement amorti. Les centrales nucléaires l’étaient pratiquement aussi dans leur intégralité – il restait quelques années sur deux centrales. Il fallait absolument mettre en place des mécanismes qui assurent ce retour aux consommateurs. »
La création, en avril 1999, de la Commission de régulation du gaz et de l’électricité (Creg) permet de diminuer sensiblement la marge de rentabilité d’Electrabel et des intercommunales. « Les gestionnaires de réseaux et les représentants d’Electrabel sortaient en pestant des réunions avec la Creg parce que celle-ci les contraignait à baisser les tarifs », se souvient un ministre. Un très haut responsable de la Creg confirme au Vif/L’Express que le combat pour faire baisser les prix était épique en raison des résistances venues de la rue de la Loi : « Les politiques ont toujours essayé de maintenir les prix trop élevés. En vertu de la législation, la Creg pouvait seulement dire si les prix étaient raisonnables ou pas. Nous avons demandé au Parlement d’obtenir des compétences normatives afin de pouvoir mener à bien notre tâche. Mais les partis ont carrément refusé. Pourquoi ? C’est évident : ils défendaient leurs intérêts et les dividendes qu’ils pouvaient obtenir pour les communes ! » A partir de 2011, la rente nucléaire permet malgré tout de grignoter ces marges plantureuses à raison d’un peu plus d’un demi-milliard par an. « On a récupéré une partie de l’argent, signale Eric De Keuleneer. Pendant quelques années… Sans cela, l’ardoise aurait été bien plus importante que 20 milliards.
Revaloriser, encore et toujours
Le 28 juin 2001, Elia, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en Belgique voit le jour. « Le gouvernement fédéral de Guy Verhofstadt a, dès le début de la libéralisation, très mal géré cette naissance, poursuit l’économiste. Elia est créé par l’apport des actifs d’Electrabel en haute tension. L’investissement avait été de l’ordre de 160 milliards de francs belges, mais il ne se trouvait plus dans les livres comptables d’Electrabel que pour 60 milliards – forcément, puisque cela avait été amorti en moyenne en dix ans. Or, les pylônes, les câbles, les stations de transformation…, c’est un matériel quasiment éternel. De notre point de vue, la création d’Elia devait se faire par rapport à la valeur comptable. Finalement, ça a été tranché par le gouvernement à 140 milliards. Electrabel a probablement fait une plus-value totale de 80 milliards de francs belges, soit 2 milliards d’euros sur Elia. Les intercommunales ont eu une petite partie du gâteau, via une décote sur la participation qu’elles ont pu prendre et ont donc soutenu l’opération, et la politique d’Electrabel dans Elia. »
Revaloriser, encore et toujours… Puisque ça avait marché avec Elia, le même système a été appliqué avec les intercommunales, qui vont fusionner en 2009 pour devenir Ores (intercommunales mixtes, sur toute la Wallonie) et Resa (intercommunale pure, à Liège). Par contre, pour la production qui entre théoriquement en concurrence, Electrabel veille à avoir les coûts de revient le plus bas possibles.
Contacté par Le Vif/L’Express, Jean-Pierre Hansen, administrateur délégué d’Electrabel de 1992 à 1999 puis de 2005 à 2010, refuse de s’exprimer publiquement car il « n’est plus dans le jeu ». Mais dans son entourage, on conteste formellement que des amortissements accélérés aient été pratiqués dans les investissements réalisés pour les outils de production: « On réécrit l’histoire a posteriori. Qu’aurait-on dit si les centrales avaient explosé ? »
En tout cas, « les intercommunales ont alors demandé à leur tour leur part du gâteau, enchaîne Eric De Keuleneer. En 2004-2005, elles ont obtenu de pouvoir réévaluer leurs réseaux de distribution. Or, de facto, c’est Electrabel qui gérait ces intercommunales mixtes. » L’actuel CEO d’Ores, Fernand Grifnée, était responsable juridique puis en charge de la communication chez Electrabel. C’est notamment lui qui a préparé l’opération de vente des parts d’Electrabel à Ores avant de prendre la tête de cette dernière, fruit de la fusion en 2009 des intercommunales mixtes.
La revalorisation des réseaux des intercommunales n’est pas anodine. Car en vertu de directives européennes – « auxquelles on fait dire ce que l’on veut », grincent plusieurs de nos interlocuteurs -, Electrabel est appelé à se retirer du capital de ces intercommunales. « Voilà pourquoi Electrabel voulait octroyer aux parts qu’elle devait vendre aux communes la valeur la plus importante possible, pointe Eric De Keuleneer. En 2005, leur valeur n’était pas très élevée, peut-être même négative si on tenait compte des charges de pension non financées qu’Electrabel est parvenu à leur faire endosser. En augmentant artificiellement le coût fictif des réseaux réévalués et les tarifs payés par les consommateurs, la valeur des réseaux de distribution et des parts Electrabel grimpaient automatiquement. Et donc la plus-value d’Electrabel aussi. Et donc le coût pour les communes. »
Dans le même temps, Electrabel Costumer Solutions (ECS), la filiale d’Electrabel créée en 2005 pour gérer les factures, le contact avec les clients, les formules de prix, etc. – soit une activité tombée en libre concurrence – est dévalorisée. « Les intercommunales mixtes devaient céder leurs clients, prolonge l’économiste. Ces clients avaient beaucoup de valeur – probablement de 300 à 400 euros par tête. Ces intercommunales mixtes ont pratiquement donné quatre ou cinq millions de clients (électricité et gaz) à ECS. Les communes n’avaient en retour qu’une toute petite participation dans ECS, mais on leur promettait 40 % des bénéfices. Et, surtout, il y avait des mandats d’administrateurs à la clé, notamment dans les comités de secteur ! Les deux premières années, ECS a fait quelques bénéfices. Après, comme par hasard, il n’en a plus fait ! Le groupe Electrabel-Suez-Engie leur vendait l’électricité et le gaz à des prix qui semblent très élevés, les bénéfices étaient donc probablement faits ailleurs… »
Ces deux volets (la surévaluation des parts d’Electrabel rachetées par les communes et la sous-évaluation des parts des communes dans ECS rachetées par Electrabel) composent le deal conclu en 2009 pour sortir Electrabel du capital d’Ores, en Wallonie. Et expliquent le montant surévalué au profit d’Electrabel. Les 405 millions au sujet desquels le conseiller communal Jean-François Mitsch pose des questions font partie d’un ensemble plus vaste : ils ne représentent que la moitié de la valeur globale de l’opération, qui se serait déroulée en deux tranches. On parlerait donc, pour Ores, d’un montant de 810 millions d’euros déboursés. « A cela, il faut ajouter les opérations similaires conclues en Flandre (Endeis) et à Bruxelles (Sibelga), précise Eric De Keuleneer. C’est un pillage organisé. »
Un pillage de quelque 20 milliards en tout, si l’on inclut la rente nucléaire de 1 à 1,5 milliard par an depuis plus de dix ans, les plus-values abusives sur les ventes des réseaux de transport et de distribution. Sans compter même la valeur des clients « donnés » par les intercommunales mixtes à ECS. « Dans toutes ces étapes, les administrateurs politiques ont visiblement été chloroformés. Ils n’ont en tout cas pas posé les questions importantes », conclut De Keuleneer.
Ores, cette fois, se trouve au coeur du système. « Ce n’est absolument pas comparable avec Publifin, proteste l’entourage de Jean-Pierre Hansen. Les rémunérations n’étaient pas aussi scandaleuses et Ores n’a pas investi dans un journal en Provence ! » En effet. Une différence, de taille, c’est que les marges bénéficiaires importantes réalisées par Publifin ont servi au déploiement tentaculaire du groupe, tandis que chez Ores, elles auraient nourri Electrabel.
Parole à la défense
Dans un long courrier au Vif/ L’Express, les quatre principaux responsables d’Ores – Fernand Grifnée, administrateur délégué d’Ores Scrl ; Didier Donfut, président du conseil d’administration d’Ores Scrl ; Cyprien Devilers, président du conseil d’administration d’Ores Assets et Claude Desama, ancien président d’Ores – reconnaissent que « le coût de l’énergie est effectivement élevé, personne ne peut en disconvenir ». Tout en précisant que « la facture du Wallon est inférieure en moyenne de près de 200 euros en 2016 par rapport à celle de son voisin flamand ». Le rapport financier 2015 d’Ores, auquel ils se réfèrent, évoque bel et bien « l’amortissement (20 % par an) du surprix payé en 2009 dans le cadre du rachat des parts du réseau wallon à Electrabel et activé en 2014 ». Mais les dirigeants d’Ores épinglent deux autres raisons à la hausse des prix : « Des obligations de service public à caractère social (gestion du système des compteurs à budget en cas de défaut de paiement, gestion de la clientèle protégée socialement, Commissions locales pour l’énergie, raccordement au gaz naturel gratuit…) et la décision du gouvernement fédéral en 2015 de soumettre les intercommunales à l’impôt des sociétés, ce qui a fait gonfler ces coûts de plus de 40 millions d’euros en 2015 et la facture annuelle du consommateur wallon d’une vingtaine d’euros en moyenne. »
Tous nos interlocuteurs, certains ayant été contraint de s’exprimer off the record en raison de la commission d’enquête Publifin actuellement en cours au parlement de Wallonie, estiment pourtant que le système pose à tout le moins d’énormes questions. Ils ajoutent que des pratiques similaires, avec des surfacturations au détriment des consommateurs, ont eu lieu dans le secteur de la télédistribution – où l’on retrouve VOO et Telenet. L’activité de télédistribution reste leur quasi monopole, dont ils sont parvenus à retarder et atténuer l’ouverture à la concurrence demandée par les régulateurs : à nouveau, sur le dos des consommateurs, et avec le lobbying politique habituel. « Ce n’est pas par hasard non plus que l’ancien Premier ministre Yves Leterme (CD&V) ou l’actuel président de la Chambre, Siegfried Bracke (N-VA), ont été conseillers chez Telenet », font remarquer plusieurs observateurs du secteur. Beaucoup concluent eux aussi par une mise en garde : « Un pillage similaire est en cours actuellement dans l’off-shore, dont le prix est nettement supérieur à celui pratiqué aux Pays-Bas. On y retrouve pratiquement les mêmes acteurs… »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici