Dans les années 1980, les Cellules communistes combattantes ont multiplié les attentats, entre autres contre les banques (ici, à Louvain, en mai 1985) © BELGA

Comment la Belgique a découvert le terrorisme

Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Etonnant : alors que le pays est devenu, aux yeux de certains, la base arrière du terrorisme djihadiste, l’incrimination du terrorisme en Belgique est très récente.

L’incrimination du terrorisme n’a que douze ans, chez nous. Ce n’est qu’en décembre 2003, et dans un contexte post-11 septembre, que notre pays a inscrit définitivement les infractions terroristes dans son Code pénal. Un rapport du Sénat constatait à l’époque : « En Belgique, il n’existe pas de législation distincte sur le terrorisme. On utilise souvent, dans la lutte antiterroriste, des techniques qui servent aussi dans la lutte contre la criminalité organisée. Force est toutefois de constater que notre arsenal législatif présente des lacunes quand on veut lutter efficacement contre le terrorisme. Il n’existe pas de définition pénale de la notion de terrorisme. »

Jusque-là, les actes les plus communément qualifiés de « terroristes » par le grand public – notamment ceux qui ont secoué le pays dans les années 1980 à travers les attentats commis par les Cellules communistes combattantes, les CCC – étaient jusqu’alors soumis au régime du droit commun, sans que leur qualification pénale ne soit influencée par la dimension proprement politique de ces actions. Ce régime pénal « ordinaire » appliqué au terrorisme connaîtra même une dernière application judiciaire en juin 2004, avec la peine de dix ans d’emprisonnement infligée à Nizar Trabelsi, accusé d’avoir projeté un attentat à l’explosif contre une base militaire belge en lien avec Al-Qaeda.

Pourtant, tout au long de son histoire et bien avant cette pénalisation du terrorisme, notre pays avait connu une longue série d’attentats. En 1902, il y eut une tentative d’attentat contre le roi Léopold II par l’anarchiste italien Gennaro Rubino après la répression impitoyable des manifestations pour le suffrage universel, faisant six morts à Louvain. Durant le second conflit mondial, les actes de résistance comme les sabotages, les destructions, voire les assassinats de collaborateurs en Belgique furent qualifiés d’actes terroristes par l’occupant. Des hommes considérés comme des terroristes durant l’Occupation furent considérés plus tard comme des héros. C’est le cas de Jean de Selys Longchamps qui, le 20 janvier 1943, piqua avec son avion pour mitrailler le building de la Gestapo, situé avenue Louise à Bruxelles.

Le 22 juillet 1950, Léopold III revient à Bruxelles. La veille, à Boussu, dans la région montoise, un attentat à l’explosif cible le retour au pouvoir du roi. Le début d’une longue série. Plus d’une dizaine visèrent les voies de chemin de fer et les centrales électriques au moment de la Question royale, sans faire de victimes.

Les années de plomb

A la fin des années 1960, ce fut le début d’une longue litanie d’attentats antisémites. Le 8 septembre 1969, un attentat à la grenade est commis au Cantersteen, à Bruxelles, contre les bureaux d’El Al, la compagnie aérienne israélienne. Deux employés seront blessés. Le 10 septembre 1972, un fonctionnaire de l’ambassade d’Israël à Bruxelles est blessé de trois balles de revolver par un inconnu, place de Brouckère. A la suite de la sanglante prise d’otages aux Jeux olympiques de Munich en 1972, le gouvernement belge donna l’ordre à la gendarmerie de créer une unité « apte à faire face à ce genre de situation ». Ce sera la brigade Diane, du nom de la déesse romaine de la chasse. En 2007, elle est renommée CGSU pour Commissariat général Special Units. Le 15 janvier 2015, celui-ci procèdera au démantèlement de la cellule terroriste de Verviers.

La création de la brigade Diane n’a pas empêché, en 1980, qu’un commando terroriste jette deux grenades vers un groupe d’une soixantaine d’enfants montant dans un autocar, rue Lamorinière à Anvers. David Kuhan, un jeune Français de 15 ans, est tué. Une quinzaine d’autres enfants seront blessés. Le choc dans l’opinion publique belge est alors considérable. Le roi Baudouin adresse un message à la communauté juive : « Je suis choqué par l’odieux attentat commis sur le territoire belge. » Deux terroristes, se revendiquant du Fatah, seront arrêtés. Le 1er juin 1981, Naim Khader, représentant de l’OLP en Belgique, est assassiné devant son domicile d’Ixelles. Retour à Anvers où, le 20 octobre 1981, une voiture piégée explose près de la synagogue de la Hovenierstraat. Deux personnes tuées, plusieurs autres blessées. Le 18 septembre 1982, à Bruxelles cette fois, un homme armé d’un pistolet-mitrailleur ouvre le feu à l’entrée de la synagogue, rue de la Régence. Il vise des fidèles. Il y a quatre blessés. Ironie de l’histoire, cet attentat s’est produit quelques semaines après l’attaque d’un restaurant juif, rue des Rosiers à Paris. Cet attentat sera à l’origine de la création du GIA, le groupe interforces antiterroriste, qui ne commence à fonctionner concrètement que deux ans plus tard, au début de la campagne d’attentats des CCC.

Les années 1980, à côté de ces attentats antisémites, ce sont aussi les années de plomb. Quand la première bombe des CCC explose, le 2 octobre 1984, au siège de l’entreprise américaine Litton, à Evere, la Belgique ne s’émeut guère. Certes, cette attaque fera des dégâts seulement matériels, comme la plupart de celles qui vont suivre, mais elle arrive surtout après que les tueurs « fous » du Brabant, qui ont déjà tué 12 fois depuis 1982. Mais la gueule de bois arrivera cependant très vite car, le 3 octobre, un nouvel attentat survient à Dilbeek contre la firme allemande Man, puis un autre encore, le 8, contre l’américaine Honeywell à Evere, et le 15 à Bruxelles contre le siège du PRL, le 17 à Gand contre celui du CVP…

En décembre 1984, les terroristes, désormais célèbres par leur sigle – l’étoile rouge à cinq pointes – s’en prennent à des oléoducs de l’Otan, avec une facilité qui étonne. Ce sera la stupéfaction quand, le 1er mai 1985, les CCC tuent deux fois. Elles ont disposé une camionnette piégée dans l’impasse de la rue Ravenstein, rue des Sols, à Bruxelles. Elles visent le siège de la FEB, symbole des entreprises belges. Le véhicule dégage de la fumée, les pompiers interviennent. L’explosion se produit, en blesse trois, en tue deux, Marcel Bergen et Jacques Vanmarcke. La valse des 28 attentats, à Bruxelles, Charleroi, Bierset, Anvers et Louvain, prend fin le 16 décembre suivant à Namur, où Pierre Carette, Bertrand Sassoye, Didier Chevolet et Pascale Vandegeerde sont arrêtés dans un fast-food proche de la gare. Il faut attendre le 24 mai 2014, et la tuerie du Musée juif, pour que le terrorisme tue à nouveau en Belgique. Depuis, le pays vit dans le surréel murmure de l’alerte.

Par Pierre Jassogne

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