Arnaud Pinxteren
Bruxelles, les fissures du rêve américain
Depuis plus de cinquante ans, nos dirigeants veulent une « Bruxelles drive in » où la voiture est le symbole ultime de la modernité. Comme si les embouteillages étaient un signe de réussite et le gage de la prospérité économique. Avec la fermeture du tunnel Stéphanie, n’est-il pas temps de faire de vrais choix ? Que voulons-nous pour notre capitale ?
Les fissures observées dans le plafond du tunnel Stéphanie ne mettent pas seulement à nu des armatures corrodées, mais également tout un modèle d’approche des questions urbaines liées à la mobilité, héritées des années d’abondance de l’État providence et du rêve de la ville américaine tel que le représentait l’Expo 58. Il s’agissait alors de régler les problèmes d’accessibilité posés dans une capitale, centre économique et commercial par excellence, en donnant plus de place à chaque mode de déplacement à grands coups d’investissements publics, financés par la productivité exceptionnelle des Trente Glorieuses.
Ce modèle reposait sur une vision où la ville, ses quartiers historiques, ses habitants et ses espaces publics sont remodelés au profit des déplacements des travailleurs et des consommateurs. Les travaux colossaux de la Petite Ceinture devaient servir ce modèle « drive in ». Désormais, il serait possible de rallier le coeur de la capitale, ses bureaux et ses centres commerciaux au volant de son véhicule particulier.
Mais, aujourd’hui, les conditions ont changé. L’espace se fait trop rare pour le donner exclusivement à un mode de transport. La puissance publique est désargentée. Les infrastructures sont usées jusqu’à la corde. Il s’agit maintenant de développer une approche intégrée de la mobilité et d’imaginer un nouveau partage inventif de l’espace public.
Car notre ville s’asphyxie, la voiture continue d’occuper près de 2/3 de nos rues, nos tunnels routiers se fissurent, et nos finances publiques se raréfient. On peut faire un peu plus de la même chose, faire comme si la voiture était toujours ce symbole ultime de modernité et de réussite. On peut continuer à essayer d’attirer un maximum de consommateurs-automobilistes au coeur de la ville. On pourrait continuer à investir dans le béton et l’acier. On pourrait procéder à des réparations de fortune sur des tunnels symboles d’une autre époque qui, après le viaduc Reyers et le tunnel Stéphanie, vont les uns après les autres, inéluctablement arriver en fin de vie. Oui, on pourrait garder notre « capitale Drive In ». Ou pas.
Ne serait-il pas temps, à Bruxelles, de revoir notre vision de l’avenir de notre ville ?
Outre-Altantique, nos « cousins d’Amérique » en sont revenus, eux, de ce modèle de ville ‘Moderne’ à l’américaine. Des modèles différents ont vu le jour ces 20 dernières années. Ils remettent les citoyens, les habitants des villes au centre de la réflexion. Ils veulent émanciper les villes de leur dépendance automobile. Ne serait-il pas temps, à Bruxelles, de revoir notre vision de l’avenir de notre ville ? Pourquoi ne pas faire, nous aussi, le choix de cette « nouvelle modernité » ?
Créons une ville européenne, cosmopolite, du XXIe siècle. Ne soyons plus l’exemple du mal belge « court-termiste ». Soyons plutôt la preuve qu’une transition écologique et sociale de nos sociétés et de nos villes est possible, aussi en matière de mobilité. C’est pour cela qu’Ecolo veut un Mobility shift qui réduit sensiblement la place dévolue à la voiture, dans les déplacements comme dans l’espace public. Cela passe par un investissement massif dans les transports publics de surface, par l’augmentation drastique de la part modale cycliste, l’intégration généralisée du déplacement piéton, par le développement massif du parc automobile partagé (voitures partagées, taxis, professionnels).
L’argent est là, il ne reste qu’à choisir le modèle de ville souhaité. Le Gouvernement bruxellois annonce dans le cadre de son budget 2016 et du plan d’investissement de la Stib, des investissements de 5,2 milliards sur 10 ans liés essentiellement à la réalisation de quelques kilomètres de métro. Dans le même temps, Beliris serait prêt à injecter des millions dans la rénovation des tunnels bruxellois. Ces moyens ne pourraient-ils pas être investis bien plus efficacement, au profit d’un espace public plus agréable, retravaillé grâce et en lien avec le développement d’un réseau de transport en commun de surface ? Au profit d’un air plus respirable dans tous les quartiers apaisés, pour préserver notre santé ? En organisant la desserte fréquente dès aujourd’hui de l’ensemble des gares bruxelloises au travers d’un réseau express ?
Suivons l’exemple de San Francisco, Grenoble, Vancouver, Copenhague…OEuvrons, autorités régionales et fédérales, à une capitale qui place la qualité de vie au coeur de la vision de notre ville, les transports publics de surface au coeur de notre stratégie de mobilité, l’interaction entre nos communautés d’habitants au coeur de notre projet et de notre prospérité.
Nous, Bruxellois, ne somme pas qu’un groupement de consommateurs. Notre ville, Bruxelles, n’est pas qu’une capitale administrative. Elle n’est pas qu’un noeud routier. Bruxelles et ses habitants vivent, mais se cherchent encore un destin propre.
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