Asile et Soudan : un retour volontaire… forcé ?
Alors qu’il venait d’obtenir une décision de justice favorable, Mohammad, Soudanais détenu en centre fermé en Belgique, a signé un accord pour un retour volontaire. Dans une langue qu’il ne comprend pas et sans présence d’avocat. Incompréhensible pour la Ligue des Droits de l’Homme qui dénonce un simulacre de consentement.
Mohammad est détenu depuis près de deux mois au centre fermé Caricole (Steenokkerzeel). Décrit comme fragile, supportant très mal cette longue incarcération, il a retiré sa demande d’asile après avoir appris que la Belgique allait collaborer avec le Soudan. Il recevra d’ailleurs la visite des fonctionnaires de la délégation officielle de Khartoum. Voulant sortir du centre, il a introduit une requête de mise en liberté. La Chambre du conseil du tribunal correctionnel de Bruxelles devait statuer sur son cas cette semaine, mardi 17 octobre, mais, problème, l’Office des étrangers avait l’intention de le remettre dans un avion pour le Soudan dès… le vendredi 13 octobre.
Les avocats de Mohammad (Robin Bronlet et Selma Benkhelifa, du Progress Lawyers Network) réagissent et déposent une requête unilatérale en extrême urgence auprès du Tribunal de première instance de Bruxelles : ils demandent de ne pas expulser Mohammad avant que sa demande de mise en liberté ne soit tranchée.
Jeudi 12 octobre. 16 heures. Le tribunal donne raison aux avocats et interdit le rapatriement de Mohammad tant que la décision de mise ou non en liberté n’est pas tranchée. Le tout avec une astreinte de 10 000 euros en cas de non respect de la décision.
Le même jour, vers 20 heures, Nabil, de la Plate-forme Citoyenne, très active dans le soutien de personnes sans papiers, reçoit un appel. C’est Mohammad. Bon nombre de personnes sans papiers ont le numéro de Nabil. Ce Bruxellois est très actif au Parc Maximilien et apporte son soutien et sa connaissance de l’arabe pour assurer quelques traductions. Ce qui est pratique pour Mohammad qui ne parle que l’arabe. Et qui est en larmes à l’autre bout du fil. « Il m’expliquait qu’il ne voulait pas retourner au Soudan, explique Nabil. Il disait qu’il était au bout du rouleau, qu’il en avait ras-le-bol. Il m’a donné l’heure du vol et j’ai averti des avocats, j’ai mobilisé via la page Facebook de la Plate-forme Citoyenne. »
Une mobilisation importante se met en branle, des personnes se rendent à l’aéroport. Mais les avocats se veulent rassurants : avec l’ordonnance, l’expulsion ne peut pas avoir lieu. La décision est d’ailleurs signalée à Mohammad, au centre Caricole, et à l’Office des étrangers, ce dernier étant averti dès jeudi soir par la voie très formelle d’un huissier.
Le lendemain, à 15h50, Mohammad est pourtant dans un avion d’Egypt Air, avec vingt euros en poche octroyé par l’Etat belge pour « frais de voyage ». Direction Le Caire, escale avant la destination finale : Khartoum. Qu’est-ce qui a permis ce retournement de situation ? Après avoir reçu un avis favorable de la justice, Mohammad a signé… un consentement pour un retour volontaire. Le document ? Une page sans en-tête, un contenu des plus lacunaires en anglais, et la signature de Mohammad.
Autant dire que pour la Ligue des Droits de l’Homme, la réalité de ce consentement est remise en question. Selon son président, Alexis Deswaef, « si c’est ça les rapatriements volontaires dont se targue Monsieur Francken (NDLR : le Secrétaire d’Etat à l’Asile) , on a un problème ! Qu’a-t-il compris, Mohammad ? Peut-on imaginer qu’une personne en prison, qui vient de recevoir une décision de justice en sa faveur, empêchant son expulsion, va signer un tel document ? C’est improbable. »
Le timing est en tout cas interloquant. Au cabinet Francken, on assure que Mohammad « a à plusieurs reprises demandé son départ. Il l’a répété à plusieurs reprises et est d’ailleurs parti sans une escorte dans l’avion. » Ce que confirme l’Office des Etrangers par la voie de sa porte-parole, Dominique Ernould. « C’était une première tentative de retour. Soit un départ sans escorte policière. Jusqu’à la dernière minute, il peut contester son départ et alors, on le ramène au centre. Or, ce départ s’est déroulé sans aucun heurt. Monsieur est parti calme. Serein. »
Une sérénité qui a visiblement quitté Mohammad une fois rentré au pays. Selon ses avocats, Mohammad s’est dit révolté, affirmant qu’on l’a obligé à signer ce document, lui assurant que son audience était annulée.
« Si ces pratiques sont avérées, un membre de l’exécutif crache à la figure du judiciaire pour essayer d’échapper aux effets d’une décision de Justice, estime Alexis Deswaef. Autre chose aurait été d’utiliser les outils légaux, de faire tierce opposition. Mais là, le Secrétaire d’Etat contourne une décision de justice. Cela pose un vrai problème de séparation des pouvoirs. Ce n’est plus possible. Je ne comprends pas que Charles Michel, le Premier ministre, ne reprenne pas le dossier en main. »
Ce qui ne changerait rien pour Mohammad, rentré à Khartoum.
Olivier Bailly
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