Armée dans la rue : les non-dits
Que cache la décision de faire appel à l’armée pour surveiller des sites sensibles ? Ce recours va-t-il devenir plus fréquent ? Eclairage sur les dessous politiques, militaires et budgétaires du plan Vigipirate à la belge.
Les militaires ont la cote auprès des bourgmestres : après Anvers et Bruxelles, les Villes de Liège, Huy et Verviers ont réclamé et obtenu le déploiement de soldats pour assurer la sécurité de certains bâtiments sensibles. Après l’augmentation du niveau de la menace terroriste, le gouvernement a décidé de mobiliser près de 300 militaires, en soutien et sous les ordres de la police. A ce stade, la capitale et la métropole ont accueilli chacune 120 hommes, issus du bataillon de chasseurs ardennais de Marche-en-Famenne et du 3e bataillon parachutiste de Tielen (province d’Anvers). Ils protègent « statiquement » des lieux de culte, des établissements juifs, des ambassades, des institutions internationales… Ainsi, un camion de l’armée, encore estampillé « KFOR » – la force multinationale déployée au Kosovo, à laquelle les militaires belges ont participé jusqu’en mars 2010 -, a pris position devant le siège de l’Otan, à Haren-Bruxelles. Quelque 55 soldats du 12e de Ligne de Spa, ont, eux, été affectés en province de Liège, autour des palais de Justice… Une mission inhabituelle pour ces militaires envoyés ces dernières années en Afghanistan ou au Mali.
Le chef des opérations est le numéro 2 de l’armée, le lieutenant-général Marc Compernol. En septembre dernier, il avait dénoncé, dans De Tijd, l’impréparation des soldats belges en mission : « Nous sommes sur les rotules… Nous devons économiser nos moyens lors des entraînements. Résultat : nos troupes sont moins bien préparées et leur sécurité en opérations est compromise. » Lors d’un briefing donné ce 20 janvier à l’état-major, il n’a pas caché ses réserves à propos d’options militaires : « L’armée exécute une décision du gouvernement, mais que ce n’est pas son rôle d’être dans la rue. » Un participant à la réunion commente : « Compernol craint que le recours à la surveillance militaire devienne récurrent, alors qu’il faut continuer à assurer les formations, les entraînements et les missions. »
Dès l’an dernier, inspiré par l’exemple français, Bart De Wever, bourgmestre N-VA d’Anvers, a réclamé à plusieurs reprises l’aide de l’armée pour protéger sa ville, invoquant les attaques perpétrées contre des intérêts juifs. Il a finalement obtenu gain de cause dans le climat émotionnel qui règne depuis les attentats parisiens et l’opération anti-terroriste à Verviers. Dès juin 2014, les motivations financières du lobbying de De Wever étaient connues : « Les policiers lourdement armés mobilisés à Anvers pour protéger des cibles potentielles pèsent sur le budget local, indiquait à l’époque son porte-parole. Une possibilité serait que la Défense intervienne. » L’appel aux services de l’armée vise donc à faire supporter le coût de la surveillance par le fédéral, au bénéfice des communes. Les salaires et autres coûts fixes des militaires déployés sont assumés par la Défense, tandis que les autres coûts, en particulier les primes de mission (50 à 70 euros par jour, selon le grade), seront à charge de l’Intérieur. Soit un budget primes d’environ 18 000 euros par jour. Lorsque ces primes devront être payées aux militaires, l’engouement du pouvoir fédéral pour la solution kaki pourrait quelque peu retomber.
Le dossier dans le Vif/L’Express de cette semaine
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